Vive la politique industrielle

Voilà un président qui limoge le P-DG d’une grande entreprise privée, qui fixe un ultimatum pour obtenir un plan de restructuration et qui trace des perspectives à

Voilà un président qui limoge le P-DG d’une grande entreprise privée, qui fixe un ultimatum pour obtenir un plan de restructuration et qui trace des perspectives à moyen terme. Cela pourrait se passer en France mais c’est aux Etats-Unis que la politique industrielle fait ainsi son grand retour.

Barack Obama, qui s’est installé à la Maison Blanche le 20 janvier, a décidé de prendre en main la restructuration du secteur automobile américain, en poussant vers la sortie le P-DG de General Motors, Rick Wagoner, en donnant à ce groupe 60 jours pour prouver sa viabilité. Il a donné à Chrysler un mois pour boucler un projet d’alliance avec Fiat, faute de quoi il n’aurait pas de nouvelle aide de l’Etat. Ford est pour le moment à l’écart, ayant renoncé à solliciter un soutien public. Dans son discours, le président américain a expliqué qu’il voulait sauver l’industrie automobile de son pays. “Année après année, décennie après décennie, nous avons vu les problèmes dissimulés et les choix difficiles reportés, même quand les concurrents étrangers nous ont dépassés.

Eh bien, nous sommes au bout de ce chemin”, a-t-il expliqué. Il est clair que les pouvoirs publics américains ont tout fait ces dernières décennies pour aller dans le sens des trois grands constructeurs nationaux. Ils n’ont jamais imposé des normes strictes en matière de consommation de carburant. Conséquence : les Américains ont longtemps privilégié des véhicules consommant énormément, un choix qui leur coûte énormément alors que l’heure est aux économies d’énergie. En outre, ces gros véhicules étaient particulièrement polluants, tels les SUV. Pas étonnant que les Etats-Unis génèrent 25% de la pollution globale alors que leur population représente 5% de la population mondiale. Les autorités ont préféré érigé des barrières face aux voitures importées, sans grand succès. Selon les données du cabinet Autodata, les constructeurs nationaux ont vu leur part de marché combinée tomber sous les 50% l’an dernier (contre 51% en 2007) à 47,5% tandis que les groupes asiatiques totalisaient 44,6% et les Européens 7,8%. Face à une telle situation et conscient de l’impact macro-économique du secteur automobile, Barack Obama a donc décidé de mettre en oeuvre une politique industrielle ambitieuse, alliant aides financières et contraintes. On peut se demander si ce n’est pas trop tard.

Mais nul ne peut prédire que l’industrie automobile va disparaître totalement. Elle va devoir se réinventer. Les constructeurs seront probablement plus petits mais cela leur permettra peut-être de mieux comprendre les attentes des consommateurs. Il est rassurant de voir que la première puissance économique adopte enfin une telle attitude. D’autant que la nouvelle administration est à l’offensive dans les domaines comme l’énergie et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Et en Europe ? Les gouvernements nationaux ont aidé leurs constructeurs mais ont largement utilisé les méthodes du passé en se focalisant sur les emplois pouvant être sauvés sur leur seul territoire. La France est même jusqu’à réclamer une relocalisation de la production délocalisée ces dernières années en Europe de l’Est. Certains dirigeants politiques réclament de temps à autre le lancement d’un grand emprunt pour financer un vaste programme d’infrastructures. Mais il s’agit essentiellement de créer des emplois pour une période donnée et non pas d’une stratégie permettant de consolider voire de consolider la compétitivité de la zone.

Dans ce contexte, le silence de la Commission européenne, qui est en principe une force de proposition, est assourdissant. Face aux efforts désordonnés des différents Etats, l’exécutif bruxellois préfère se tenir à l’écart, se contentant de rappeler les règles du marché unique ou de se focaliser sur la question du vin rosé. Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, il convient de rappeler que la Commission propose d’autoriser de mélanger du vin rouge et du vin blanc pour produire du vin rosé. Une hérésie pour les amateurs de vins et pour les producteurs de rosé. La réponse des eurocrates est imparable : certains pays importent déjà du vin rosé résultant du mélange et donc l’Union européenne doit pouvoir en produire. Et si la Commission européenne s’occupait un peu des choses sérieuses, en l’occurence de politique industrielle. Il est clair qu’avec le collège actuel, dont le mandat s’achève avec les élections de juin prochain, ce terme relève du tabou. José Manuel Barroso ont poussé ces dernières années à une dérégulation et ont chercher à s’attaquer à des géants nationaux au prétexte de favoriser l’investissement. Un credo libéral bien connu qu’ils ont cherché à appliquer au secteur de l’énergie en poussant les feux pour que des groupes comme EDF, E.ON et RWE soient démantelés.

Personne n’a compris comment la scission des activités de production et de distribution pouvait doper les investissements nécessaires. Et de fait, Paris et Berlin s’y sont opposés avec succès. En revanche, la Commission européenne s’est révélée incapable d’imposer la suppression des tarifs régulés, qui permettent aux gouvernements, en particulier en France, d’utiliser les géants du secteur comme variable d’ajustement de la politique industrielle. Même approche dans la téléphonie, où Bruxelles publie un comparatif des prix entre les différents pays de l’Union européenne sans tenir compte des parités de pouvoir d’achat.

Les dirigeants européens devraient sortir de cette approche idéologique et adopter l’attitude pragmatique de la nouvelle administration européenne. Oui, une politique industrielle européenne est nécessaire. Il convient d’établir une liste des secteurs industriels dans lesquels l’UE est en mesure de s’imposer face aux Etats-Unis, au Japon, à la Chine ou à l’Inde. Ensuite, il faut définir une stratégie. Par exemple, que faut-il faire pour sauver l’industrie automobile ? Comment maintenir l’avance dans l’énergie électrique ? Comment s’imposer dans les énergies renouvelables ? Comment reprendre l’offensive dans les nouvelles technologies de l’information ? 

Bref, le moment est venu de sortir des textes datant de plusieurs décennies et de mettre enfin en oeuvre une vraie politique industrielle au service de l’économie, de l’innovation et de l’emploi.