Une taxe pour la presse ?

On pensait que le principe typiquement français “ A chaque problème, une taxe” était réservé aux milieux politiques.

On pensait que le principe typiquement français “ A chaque problème, une taxe” était réservé aux milieux politiques. Tous les gouvernements, de droite comme de gauche, y ont eu recours plutôt que réformer en profondeur l’Etat afin de le rendre plus économe et plus efficace. La France est ainsi devenue l’un des pays où la pression fiscale est la plus forte tandis que les dépenses publiques sont parmi les importantes rapportées au Produit intérieur brut (PIB).

Evidemment, tous les dirigeants politiques promettent d’y remédier. Sans résultat jusqu’ici. Et voilà qu’un responsable d’une entreprise privée s’y met aussi. Face au déficit de son quotidien, Laurent Joffrin, directeur de Libération, propose de créer une taxe pour financer la presse, en l’occurence les quotidiens et les sites d’information. Le mécanisme, tel qu’il l’a présenté dans l’hebdomadaire Challenges, est le suivant : demander aux fournisseurs d’accès Internet de facturer “quelques euros” à leurs abonnés et répartir les recettes entre les rédactions en fonction de la fréquentation du site et du nombre de journalistes. Au 31 mars 2009, la France comptait environ 18,3 millions d’abonnés à l’Internet à haut débit. En réclamant à chacun d’entre eux une somme forfaitaire de 2 euros par mois, on aboutit à une recette brute de 432 millions d’euros sur une année. Les revenus annuels de la presse en France totaliseraient 840 millions, selon les déclarations des dirigeants de Libération. Le secteur pourrait ainsi augmenter son chiffre d’affaires de plus de 50% grâce à cette nouvelle taxe.

A titre de comparaison, la taxe de 0,9% sur le chiffre d’affaires des opérateurs pour compenser la suppression de la publicité sur les télévisions publiques rapporterait environ 380 millions d’euros.

La proposition du directeur de Libération n’est pas si étonnante qu’elle en a l’air. La presse écrite en France est particulièrement aidée par les pouvoirs publics, que ce soit par le biais des tarifs postaux privilégiés ou par des subventions pour favoriser le pluralisme. Pourquoi pas ? Mais il ne faut pas oublier qu’un journal ou un site d’information est aussi une entreprise et qu’à ce titre il doit respecter quelques règles de gestion. Si un journal perd des lecteurs et accuse un déficit, sa direction doit prendre des mesures pour rétablir l’équilibre financier, mesure indispensable pour assurer la pérennité de l’entreprise et des emplois. Si cela ne suffit pas, cela signifie tout simplement que le produit proposé n’est pas satisfaisant. Il faut donc accepter une profonde remise en cause. On le voit dans plusieurs secteurs industriels tous les jours.

Qu’ont fait les éditeurs de presse pour redresser la barre ces dernières années ? Ils ont augmenté le prix de vente et réduit les effectifs et la pagination. De quoi réaliser des économies, insuffisantes toutefois, face à la concurrence des quotidiens gratuits et de l’Internet.

L’internet est la bête noire des patrons de presse. Ils soulignent à juste titre que les internautes lisent gratuitement leurs articles sur l’Internet. Mais qui a décidé de publier gratuitement ces articles en ligne ? Les éditeurs de presse ont cru qu’en mettant à la disposition des internautes du contenu qu’ils vendent par ailleurs sur papier ils parviendraient à bâtir une audience considérable permettant de générer des revenus publicitaires conséquents. Ce pari a été perdu car un internaute génère en moyenne dix fois moins de recettes publicitaires qu’un acheteur d’un quotidien. En outre, la publicité sur l’Internet stagne et même recule désormais. Ce n’est pas un hasard si des magnats de la presse comme Rupert Murdoch (News Corp), John Malone (Liberty Media) et Jeff Bewkes (Time Warner) militent aujourd’hui pour un passage au payant.

Le quotidien économique The Wall Street Journal, racheté l’an dernier par Murdoch, a montré la voie depuis longtemps. Il compte environ un million d’abonnés, qui paient chacun 39 dollars par an. Ce qui représente un chiffre d’affaires de près de 40 millions, auxquels il faut ajouter les recettes publicitaires. C’est insuffisant pour financer une rédaction aussi importante que celle de ce journal mais cela montre que les internautes sont prêts à payer pour certains contenus. Les informations financières en font partie. ESPN, qui appartient à Disney, pense que c’est aussi le cas pour le sport puisque cette chaîne spécialisée vient de décider de faire payer les visiteurs de son site.

Mais peut-on faire payer pour les informations politiques et générales ? Le New York Times a envisagé d’instaurer un abonnement pour ses éditoriaux avant de faire machine arrière. S’il y a un mouvement général aux Etats-Unis pour faire payer les contenus des journaux nul doute que le plus prestigieux quotidien du pays suivra. Compte tenu de la qualité de ses articles, il ne fait guère de doute que nombre d’internautes accepteront de lui verser un abonnement. Est-ce le cas en France ? Force est de constater qu’à quelques exceptions près les quotidiens français ont fortement réduit leur pagination ces dernières années et les ventes ont continué de reculer. Le traitement de l’actualité a été recentré sur la France et les grandes questions économiques liées à la mondialisation ont été laissées aux journaux spécialisées alors que les Français étaient demandeurs d’explications. Dans ces conditions, les quotidiens français ont-ils suffisamment de contenus pour passer à un modèle tout payant ? Le Monde, du fait de sa position de quotidien de référence national, a réussi à séduire des abonnés pour son édition en ligne. Toutefois, pour des raisons incompréhensibles, il a décidé de ne pas faire payer son édition iPhone, qui a été téléchargée plus de 500.000 fois).

Les Echos, premier journal économique, ont opté depuis le départ pour un modèle payant. Les autres peuvent-ils suivre cette voie ? En militant pour une taxe, les dirigeants de Libération montrent qu’ils ne le pensent pas. Il faut dire que du fait de ses difficultés financières le quotidien n’a cessé ces dernières années de réduire sa pagination, ce qui se traduit par une moindre couverture de l’actualité. Cependant, le positionnement politique du journal, qui se place clairement dans l’opposition au pouvoir actuel, peut lui attirer la sympathie de certaines catégories de la population prêtes à soutenir une démarche politique. D’une manière générale, on peut considérer que les éditeurs de presse qui ont décidé d’offrir leurs contenus gratuitement sur l’Internet ont commis une erreur stratégique en donnant l’impression que l’information était gratuite. Or, l’information coûte cher. Si un internaute juge qu’une information lui est utile, il doit payer. Les sites des journaux doivent trouver d’autres sources de revenus, notamment dans le commerce électronique. Les pistes ne manquent pas. Au lieu de réclamer une nouvelle taxe, qui serait comparable à la redevance audiovisuelle et qui reviendrait à subventionner un peu plus les quotidiens français, les éditeurs de presse auraient intérêt à ouvrir une vraie réflexion sur les modèles économiques possibles sur l’Internet.