Tragédie grecque ou tragédie européenne ?

La gestion du dossier du sauvetage de la Grèce depuis 2010 montre une incroyable légèreté de la part des dirigeants de la zone euro et du Fonds monétaire international (FMI), qui se comportent comme des maîtres d’école face à un élève turbulent alors que la situation exige des mesures politiques fortes. Il est temps de traiter ce dossier de manière rationnelle afin de préserver l’avenir de la monnaie unique.
 
Le comportement le plus caricatural est celui de la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a déclaré ainsi : l'urgence est de rétablir le dialogue, avec des adultes dans la pièce », laissant supposer que les responsables grecs sont de grands enfants.
 
Il est clair que les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro n’ont jamais accepté la victoire d’Alexis Tsipras, devenu Premier ministre site aux élections législatives de janvier 2015. Mais si le chef du parti de gauche Syriza a obtenu 36% des suffrages (soit 149 députés sur les 300 du Parlement), c’est parce que la population était à bout de souffle après plusieurs années d’austérité et que les partis traditionnels (Nouvelle démocratie à droite et Pasok à gauche) étaient totalement discrédités du fait de leur incompétence et de la corruption de certains de leurs membres.
 
On ne peut pas défendre la démocratie et refuser le résultat quand celui-ci ne nous convient pas. Tsipras a un mandat du peuple grec, qu’on le veuille ou pas. L’opinion aujourd’hui, en particulier en Allemagne mais aussi en France, est que les Grecs méritent ce qui leur arrive et qu’ils devront quasiment expier jusqu’à la fin des temps.
 
C’est certain que la Grèce a menti sur l’état de ses finances publiques lors de son admission dans la zone euro en 2001 mais la responsabilité est pour le moins partagée : les audits des experts de la zone euro ont été menés avec rigueur ? 
 
Le deuxième reproche tient au fait que les réformes ne seraient pas mises en œuvre. Les différents gouvernements grecs ont mené une politique d’austérité sévère au cours des dernières années, supprimant des emplois dans les services publics, réduisant les salaires et les pensions de retraite, augmentant les impôts. Ce programme d’ajustement est considéré comme le plus sévère depuis celui mis en œuvre aux Etats-Unis dans les années 1930, suite à la Grande Dépression. Conséquence, la Grèce a affiché l’an dernier un excédent budgétaire primaire de l’ordre de 6% du Produit intérieur brut (PIB). Notons que la France n’est jamais parvenu à l’équilibre depuis 40 ans. 
 
Tsipras a remis en cause certaines mesures pour soulager une partie de la population qui est dans un état de pauvreté extrême et pour plaire à son électorat, ce qui a fait déraper les finances publiques. Il joue avec le feu en refusant certaines réformes de bon sens, comme l’imposition des grandes fortunes, notamment dans l’armement des bateaux, ou de certaines institutions comme l’Eglise. Il est incroyable que le pays ne soit toujours pas doté d’un service fiscal digne de ce nom et que certaines rentes soient toujours en place. D’autant plus surprenant que le pouvoir actuel se dit de gauche…
 
Pour autant, comme le soulignent nombre d’économistes, les demandes de la zone euro et du FMI n’ont aucune chance d’aboutir : exiger de la Grèce un excédent budgétaire primaire en échange d’une nouvelle aide est inutile tant que l’on n’a pas réglé le problème de la dette dont le niveau (350 milliards d’euros) est ingérable. Il faudra donc bien, d’une façon ou d’une autre, effacer une partie de la dette grecque.
 
Christophe Donay, chef économiste de Pictet, souligne que « la Grèce n’est plus un risque systémique » car « le MES, la BCE et le FMI portent l’essentiel des actifs à risque » du pays. Mais, au delà des échéances à court terme, il y a un problème politique, la Grèce devant rembourser 25 milliards d’euros dans les deux prochaines années.
 
« La Grèce peut faire un défaut partiel, donc renégocier mais il faut passer par un référendum ou de nouvelles élections afin que le gouvernement ait un mandat pour le faire », explique-t-il en évoquant un autre risque politique : « L’Espagne, le Portugal et, pourquoi pas la France, peuvent demander à renégocier leur dette ».
 
Pour Jean Marcilly, économiste en chef de Coface, « Tout le monde a intérêt à ce qu’il y ait un accord, y compris la BCE » car les conséquences peuvent être dramatiques pour la zone euro. « S’il n’y a pas d’accord, on ne peut pas exclure un effet de panique. Avant la faillite de Lehman, on disait qu’il n’y avait pas de risque à ce qu’il y ait une faillite car cette banque n’était pas systémique. On a vu le résultat », déclare-t-il en constatant que les dépôts dans les banques grecques sont en forte baisse et qu’à ce rythme il n’y en aura plus dans un délai de quelques mois.
 
Il estime qu’un compromis est aujourd’hui nécessaire. « Ce n’est pas la peine d’exiger un excédent primaire très élevé alors que la Grèce est en récession. Il faut laisser jouer les stabilisateurs automatiques en pareil cas et obtenir des engagements pour rétablir la situation quand la croissance reviendra. »
 
Bizarrement, les marchés financiers ne jouent pas une sortie de la Grèce de la zone euro. Comme le souligne Christophe Donay, si c’était le cas, le taux d’intérêt à 10 ans ne serait pas autour de 10% mais plutôt à 30%. Et si les marchés boursiers ont chuté ces dernières semaines, on peut penser que la Grèce a servi de prétexte à des prises de bénéfices plus qu’elle n’a été un véritable sujet d’interrogation.
 
Les investisseurs semblent plus donc conscients que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’importance politique de la zone euro. Ils font le pari qu’une solution sera trouvée car la dimension politique du projet européen leur semble plus importante qu’une renégociation financière de quelques milliards. Il est nécessaire que le gouvernement grec formule des propositions sérieuses. Il est encore plus crucial que les dirigeants de la zone euro, en particulier en Allemagne, prennent conscience des enjeux politiques de ce dossier afin d’éviter que cette tragédie grecque ne devienne une tragédie européenne…