C’est un chiffre qui laisse songeur : en 2015, les entreprises européennes cotées disposaient de quelque 800 milliards d’euros dans leurs bilans. On pourrait se réjouir de cette situation mais l’investissement ne repart toujours alors que les conditions sont favorables avec un prix du pétrole bas, des taux d’intérêt à zéro et un euro affaibli.
Ce cash devrait totaliser 900 milliards en 2017. Selon Yves Maillot, directeur de la gestion des actions européennes chez Natixis Asset Management, le coût d’opportunité atteint désormais 6%. « C’est une aberration qui pourrait compromettre l’avenir », dit-il.
Depuis plusieurs trimestres, la faiblesse des investissements pèse sur la croissance européenne. Au troisième trimestre 2015, la croissance du PIB a ainsi ralenti (0,4% après 0,5% au deuxième trimestre) du fait de la stabilisation des investissements malgré une progression de la consommation, tant privée (0,4%) que publique (0,6%).
Le faiblesse des investissements est d’autant plus surprenante que la dette demeure sous contrôle (ratio dette sur fonds propres de 30% en moyenne contre 60% en 2008 pour les entreprises non financières) et que le taux de versement de dividendes, même s’il est légèrement au-dessus de sa moyenne (55% contre 52%), apparaît en retrait par rapport au pic de 70% atteint au début des années 2000.
Compte tenu des incertitudes en Europe – croissance molle même si le FMI a relevé ses prévisions de 0,1 point à 1,7% pour 2016 et de 0,2 point à 1,7% pour 2017, tensions politiques dans certains pays comme l’Espagne, risque de Brexit au Royaume-Uni, crise des migrants – et des risques géopolitiques (Syrie, Arabie saoudite-Iran, Ukraine, etc.) et des interrogations sur la Chine, les entreprises demeurent prudentes.
Mais, comme elles ne peuvent pas garder tout ce cash dans leur bilan, que peuvent-elles faire ? Elles augmenteront sans doute la rémunération des actionnaires, via un relèvement des dividendes et des programmes de rachats d’actions. Surtout, elles se positionnent pour des opérations de fusion et acquisition.
Celles ci ont totalisé 4.700 milliards de dollars en 2015, dont 2.500 milliards aux Etats-Unis et 1.100 milliards en Europe. Parmi les secteurs concernés par les rapprochements ces derniers mois : les boissons (ABI/SABMiller) la santé/pharmacie (Pfizer/Allergan), les équipements de télécoms (Nokia/Alcatel-Lucent).
Le mouvement est loin d’être terminé. La « bulle de cash » sera sans aucun doute utilisée pour racheter des concurrents. Des négociations sont par exemple en cours dans le secteur des télécoms en France, en Italie et au Royaume-Uni.
Globalement, les opérations de fusion et acquisition animeront les marchés boursiers et pourraient satisfaire les actionnaires. Mais la question de l’investissement demeure posée. Que faire pour enclencher un processus indispensable pour soutenir la croissance en Europe ? Les gouvernements doivent engager des réformes et pour le moment, malgré des discours, les choses ne bougent pas dans des pays comme le France et l’Italie. Tant que les dirigeants politiques ne prendront pas des mesures pour offrir une visibilité aux entreprises, celles-ci préfèreront garder leur cash en attendant, éventuellement, de saisir une proie…