par Philippe Waechter, Directeur de la Recherche Economique de Natixis Asset Management
L'intervention massive des Etats, les politiques monétaires très accommodantes, les marchés financiers fébriles, une économie à l'arrêt ou encore le retour de situations de crise dans les pays émergents : autant d’éléments qui suscitent des interrogations sur les raisons et les enjeux de cette "invasion de l'économique" dans notre quotidien.
Pour clarifier le débat et en comprendre les ressorts, il faut rappeler deux constats historiquement proches et aborder la situation actuelle sous trois angles distincts.
Les constats historiques
- La crise financière a démarré suite aux excès du marché immobilier américain et du mode de financement de ces acquisitions. Au début des années 2000, les taux d'intérêt longs et courts se situaient à des niveaux très bas aux Etats-Unis, bien au-dessous de ceux qui auraient été cohérents avec le cycle économique. Le retournement à la baisse du marché de l'immobilier a engendré une hausse des taux de défaut, puisque les ménages ne remboursaient plus leurs emprunts immobiliers. Cette situation a provoqué un réétalonnage du risque chez l'ensemble des intervenants financiers et bancaires. La première phase de la crise a provoqué une dévalorisation rapide et marquée de nombreux actifs dans les bilans des banques. Elle a finalement entraîné un durcissement des conditions bancaires.
- Si la croissance globale était restée forte et homogène depuis le début des années 2000, cette concordance du cycle trouve ses limites depuis 2007. Plusieurs de ses moteurs se font plus hésitants. Après avoir atteint le point haut du cycle global, chaque zone géographique ralentit donc, mais à un rythme différencié.
L’enchaînement de la crise
Depuis le début de la crise à l'été 2007, les turbulences de l’environnement économique et financier se sont traduites par une hausse progressive du prix du risque. Autour de cette tendance haussière, on a cependant pu nettement distinguer des phases d'accélération (comme lors des problèmes posés par Bear Stearns), auxquelles ont succédé des phases d'accalmie lorsque les investisseurs se sont montrés convaincus de l'intervention des Etats pour sauver les banques en difficulté.
Mi-septembre 2008, un nouveau choc a pris forme lorsque les autorités américaines ont "accepté" la faillite de la banque Lehman Brothers. S’en est suivi une recrudescence de l’incertitude et des tensions sur le marché interbancaire. D’autres faillites bancaires devenaient en effet envisageables parmi les banques en difficulté dès lors que la garantie de l'Etat venait à disparaître. De cette situation complexe est née une défiance mutuelle qui a entraîné le blocage du marché monétaire. Ce dernier ne fonctionnait plus malgré les injections répétées et massives de liquidités par les banques centrales.
Trois incertitudes majeures demeurent…
Aujourd'hui, trois éléments d'incertitude se manifestent simultanément. Conséquences logiques de situations antérieures, ils entretiennent cependant clairement la fébrilité générale. La nouveauté réside dans le fait que la crise s’est "généralisée" via ces trois facteurs et n'est donc plus simplement circonscrite au secteur financier.
- Le marché monétaire : il est toujours peu efficace malgré l'intervention massive des Etats et les apports spectaculaires de liquidités de la part des banques centrales. Les gouvernements ont pris des mesures de recapitalisation et de garantie des dettes interbancaires tandis que les banques centrales élargissaient le spectre de leurs opérations. Autant de mesures qui, pour l'instant, semblent insuffisantes pour redonner confiance à l'ensemble des acteurs de ce marché.
- Le ralentissement de la croissance dans les pays industrialisés : le cycle économique des pays industrialisés s'ajuste très fortement à la baisse, provoquant désormais des inquiétudes sur l'emploi et accentuant les incertitudes pour le consommateur.
- Les évolutions dans les émergents : depuis de longs mois, une sorte de tendance commune aux pays émergents semblait éliminer les particularismes locaux. Ainsi, quand certaines situations déséquilibrées apparaissaient, elles étaient rapidement gérées. Mais depuis l'été, les interrogations se multiplient : cette tendance "vertueuse" a perdu en intensité. Les spécificités régionales resurgissent, provoquant ici et là des situations de crise que viennent aggraver le retrait des capitaux "occidentaux" dans les pays les plus fragiles. La Hongrie comme l'Ukraine ou les pays baltes ont récemment été touchés par ce phénomène.
Conclusion
D'un seul coup, trois risques économiques majeurs, bien que de nature différente, se sont déclarés. Avec des racines communes puisées dans la crise des subprimes et de son financement, ils avaient suivis des sentiers et des tempos différents, mais viennent de resurgir comme un seul homme. Ce deus ex machina effraie d’autant plus les marchés qu’il couvre un large éventail d’incertitudes : du financier à l'émergent, en passant par de véritables interrogations sur la capacité des économies industrielles à retrouver le chemin de la croissance.
Aucune facette ne semble plus "avenante" que l’autre. Le monétaire reste fragile et constitue une source forte de préoccupation, car la croissance ne pourra pas repartir tant que cette situation ne sera pas réglée. Les pays émergents sont moins homogènes qu'imaginé, laissant la voie ouverte aux plus robustes d’entre eux tandis que les autres vont devoir faire face à d’importantes crises de change ou de dette.
Comment, dès lors, traiter efficacement ces différents points d’achoppement et dans quel ordre ? Autant de questions incontournables et autant de défis à relever pour les membres du G20 lors de la réunion du 15 novembre à Washington. Mais ce challenge, s'il est de taille, ne signifie pas pour autant qu'on en viendra à parler d’un "Bretton Woods II".