Immobilier résidentiel en France : dégonflement plutôt qu’éclatement

par Laurent Quignon, économiste chez BNP Paribas

Les prix des logements anciens ont crû de +155% dans l’ensemble du pays au cours des dix dernières années et de +191% à Paris. En termes réels, les progressions s’établissent à respectivement 112% et 143% depuis 1998.

Les prix ont commencé à diminuer depuis la fin de l’été en province et en banlieue parisienne. La capitale enregistre actuellement une importante baisse des transactions et ne devrait pas faire longtemps exception. 

Volumes de ventes et prix des logements devraient refluer de concert en 2009, tant en Ile-de-France qu’en province. Une baisse des prix réels comprise entre 30% et 40% nous paraît probable, à l’issue d’un ajustement qui s’étalerait sur plusieurs années.

Le refroidissement du marché de l’immobilier résidentiel, attendu de longue date par les observateurs, devient aujourd’hui réalité. Sur l’ensemble du territoire, les prix des logements anciens ont vu leur glissement annuel diminuer régulièrement de 16,0% à la fin de 2004 à 2,8% au deuxième trimestre 2008. Paris fait encore figure d’îlot de résistance. Après y être tombé à 8,5% au deuxième trimestre 2007, le glissement annuel des prix est ponctuellement repassé au-dessus du seuil de 10% au quatrième trimestre 2007, puis de nouveau au deuxième trimestre 2008. Les chiffres de la FNAIM font état d’une baisse des prix dans l’hexagone depuis le mois d’août, en variations mensuelle et trimestrielle. La baisse des prix des logements anciens atteignait, en octobre, 4,3% par rapport à juillet et 1,2% par rapport à septembre tandis que la variation annuelle moyenne devenait négative (-0,7%), pour la première fois depuis 1996.

Les limites de la solvabilité

Conséquence de la flambée des prix, la solvabilité immobilière des ménages s’est dégradée continûment depuis 2002. Notre indicateur rapporte la capacité d’emprunt nominale d’un ménage représentatif, calculée en fonction de son revenu et des conditions moyennes de crédit (taux et durée), aux prix au m2 des logements anciens. Mesurée de la sorte, la capacité d’achat immobilière des ménages a renoué avec les niveaux modestes du début des années 1990 en province. Son niveau demeure sensiblement supérieur à celui qui prévalait au début des années 1990 à Paris, mais le point de comparaison est sans doute discutable. Le marché était largement animé par les marchands de biens dans le cadre d’opérations d’achat-revente, et nombre de particuliers en étaient, de fait, évincés. Les transactions annuelles s’y élevaient à plus de 44.000 en 1989 alors qu’elles ont atteint 36.800 en 2005 au plus haut du cycle actuel. Le marché immobilier provincial, alors épargné par l’emballement, fournit sans doute un point de comparaison plus pertinent.

Freinage de la demande de crédit

La contrainte qui s’exerce sur la solvabilité des ménages se traduit par un moindre recours à l’emprunt : la production nouvelle de crédit reculait, en moyenne annuelle, de 15,8%, en août 2008. Le niveau des taux variables, supérieur à celui des taux fixes depuis la fin de 2006, a entraîné un report de la demande des premiers (-39,2%) vers les seconds (-10,6%). La proportion des prêts à taux variables qui avait culminé à 34,8% de la production nouvelle au printemps 2005, est retombée à 13,2%.

De la même manière que les banques n’avaient répercuté que partiellement la hausse des taux du marché interbancaire, il est vraisemblable que les taux à la clientèle ne reproduisent que de façon incomplète la baisse des taux directeurs et la diminution attendue de la prime sur l’Euribor 3 mois. Les marges d’intermédiation apparentes sur le crédit à l’habitat apparaissent, en effet, encore plus étroites qu’à la date à laquelle la Commission bancaire s’était émue de leur faiblesse(1), et les établissements pourraient, en conséquence, affecter une fraction de la diminution des coûts de refinancement à la reconstitution desdites marges, en particulier dans un contexte où les nouveaux emprunteurs présentent, en moyenne, un risque de contrepartie plus élevé.

Tassement des volumes

Relativement stables entre 2000 et 2007, les volumes de transaction sont en repli depuis le début de 2008. Nous évaluons la baisse des ventes de logements anciens à 15% en France entre les deuxièmes trimestres 2007 et 2008 à l’échelle nationale. Dans le même temps, les notaires faisaient état d’un repli des ventes de 18,9% à Paris. Les derniers chiffres disponibles (mai-juillet 2008) témoignent d’un prolongement de la tendance en région parisienne (-17% sur un an à Paris, -14% dans l’ensemble de l’Ile-de-France, -10% en petite couronne, -15% en grande couronne). Le repli des volumes se révèle encore plus sensible dans le neuf : -30,6% entre les deuxièmes trimestres 2007 et 2008. En dépit des efforts d’ajustement de l’offre des promoteurs à la demande, le niveau des stocks a dépassé son précédent record de 1991, atteignant 110 500 logements en juin 2008(2). Les délais d’écoulement se sont allongés de plus de 3 mois, tous biens confondus, durant le premier semestre 2008, à 13,7 mois, mais demeurent encore sensiblement inférieurs à ceux qui prévalaient en 1992 (18 mois) au plus fort de la crise immobilière.

La poursuite de la progression des prix de l’immobilier s’est traduite par une forte érosion des rendements locatifs. Si la baisse des taux des prêts, dans le sillage de celle des rendements obligataires, avait permis de maintenir l’écart positif entre le coût de financement et le rendement de l’investissement locatif à des niveaux acceptables pour l’investisseur, la remontée du coût du crédit a limité le nombre d’opérations permettant de dégager un TRI suffisant. En conséquence, la proportion d’achats de logements à des fins d’investissement locatif a reculé, passant de 57% en 2005 à 49% en 2007.

 Un marché fondamentalement cyclique

Le marché de l’immobilier résidentiel est, par essence, cyclique, obéissant à une dynamique largement endogène. L’étude des cycles passés depuis le début des années 1970 permet d’en dégager les grands traits au sein des pays développés. Ainsi, selon l’OCDE, à la phase d’expansion qui dure environ six ans succède une phase de baisse de durée légèrement inférieure (5 ans). Le cycle actuel se singularise à la fois par sa durée, même si des phases de hausse plus longues ont pu être observées à l’échelle de quelques pays dans les années 1970 (Irlande, 11 ans), et à partir du début des années 1980 (Finlande, 10 ans, Japon et Suisse, 13 ans). Ce constat tend à limiter la portée de l’argument selon lequel la baisse des prix, en rendant de nouveau solvables certains candidats à l’achat, offrirait un second souffle au marché.

En réalité, la demande de logement apparaît au moins aussi sensible à l’idée que les acheteurs se font de l’évolution ultérieure des prix qu’à leur niveau instantané. Elle s’intensifie en période de hausse de la valeur de la pierre et se détend lorsque les prix se sont retournés, entretenant de la sorte leur mouvement de recul.

Démographie et contrastes régionaux

L’histoire économique met en relief la primauté des facteurs financiers et des anticipations des agents économiques sur l’offre et la demande physiques de logements, aucune équation dite « structurelle » ne parvenant à expliquer de manière suffisante l’évolution des prix dans le temps. Cela étant, la démographie et la construction ont, selon toute vraisemblance, contribué à expliquer les écarts de progression de prix entre régions au cours des dernières années. A titre d’exemple, la croissance plus vive des prix des logements au sein des régions Ile-de-France, Rhône- Alpes, Midi-Pyrénées trouve sa justification dans une pression démographique relativement élevée au regard de la construction résidentielle depuis 2000. A l’inverse, l’augmentation plus contenue des prix des logements au sein d’autres régions (Champagne-Ardennes, Limousin, Lorraine) n’immunise pas ces dernières contre un ajustement sensible de la valeur de la pierre, dès lors qu’elle constitue simplement le reflet de moindres tensions.

La moitié de la hausse pourrait être effacée

Se pose alors la question de l’amplitude de la baisse des prix. Empiriquement, la baisse des prix réels au cours de la phase baissière efface environ 60% de la progression des prix constatée durant la période précédente dans les pays développés qui ont connu des cycles prononcés depuis le début des années 1970.

Selon l’OCDE, les prix réels des logements s’y sont accrus, en moyenne, de 40% au cours des phases de hausse avant de reculer de 25% durant les années suivantes. Ce constat ignore, toutefois, l’influence des évolutions financières structurelles (désinflation, décrue des taux d’intérêt réels) sur le prix fondamental des logements et ne renseigne donc que sommairement sur l’ajustement à venir. 

Le calcul d’une valeur dite « fondamentale » permet d’apprécier la valorisation du marché et de détecter, en théorie, la présence d’une éventuelle bulle. Le prix théorique est déterminé par une formule de type Gordon-Shapiro, dans laquelle les loyers(3) ont été substitués aux cash-flows. Le taux de croissance anticipé des loyers est supposé égal à l’inflation sous-jacente, laquelle constitue un meilleur point d’ancrage des anticipations que l’inflation globale.

Le taux d’actualisation est celui de l’OAT majoré de la prime de risque de 2% communément admise par les évaluateurs immobiliers. L’écart entre le prix observé et sa valeur fondamentale doit être interprété avec circonspection car cette dernière n’est pas figée dans le temps mais susceptible de varier au gré de la valeur des paramètres. Les prix observés en province et à Paris ont épousé les évolutions de leur valeur fondamentale entre 1998 et 2005, date à laquelle ils s’en sont dissociés vers le haut. Au regard de cette analyse, la progression globale de 191% des prix dans la capitale depuis le premier trimestre 1998 s’explique donc environ pour moitié par la baisse des taux d’intérêt réels et l’augmentation des loyers de marché (+50% depuis 1998).

Sous l’hypothèse d’une stabilisation des prix des appartements à Paris au troisième trimestre 2008(4), l’écart entre le prix au m2 moyen observé et sa valeur théorique représentait 32% de cette dernière. Les valeurs des paramètres utilisés (inflation sous-jacente lissée sur un an de 1,9%, taux de l’OAT de 4,4%), voisines de niveaux de moyenne de cycle, suggèrent une valeur théorique proche de sa valeur d’équilibre de long terme. En d’autres termes, l’indicateur fournirait ainsi une mesure pertinente de la force de rappel susceptible de s’exercer sur les prix réels des logements durant la phase baissière dont l’épilogue se situerait vers 2014.

Notes
(1) Cf. « Les prêts à l’habitat », Rapport de la Commission bancaire 2004, juin 2005, p. 173 et s.
(2) Le stock des logements achevés progresse fortement (+71% sur un an) mais sa part demeure modeste (3,4% du stock de logements offerts à la vente en juin 2008 contre 2,5% en juin 2007).
(3) Le loyer moyen utilisé est celui des « emménagés récents » fourni par l’OLAP dans la mesure où les prix moyens de l’immobilier parisien sont ceux des appartements libres d’occupation et où les loyers des baux en cours, dont la révision est régie par la loi de 1989, échappent en partie à la logique de marché.
(4) Les prix des logements anciens du troisième trimestre 2008 seront publiés par les Notaires au début de janvier 2009.