par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis
Nous avons déjà analysé les tendances suicidaires de l’Allemagne : compression totalement non coopérative des coûts salariaux conduisant au recul de la demande intérieure ; croissance basée sur les gains de parts de marché vis-à-vis des autres pays européens sans remise en cause de cette stratégie alors même que les marchés intérieurs de ces pays reculent ; refus de la solidarité avec les pays en difficulté au risque d’une part de faire chuter leur demande de produits allemands, d’autre part de créer un problème de crédibilité de l’euro qui fasse monter les taux d’intérêt y compris en Allemagne.
Il s’y ajoute maintenant la proposition du gouvernement allemand d’exclure de la zone euro les pays qui n’en respecteraient pas durablement les critères. La conséquence de cette proposition serait une appréciation effective réelle forte du taux de change de l’Allemagne, faisant disparaître les bienfaits de la politique de gain de compétitivité-coût.
L’Allemagne n’est pas seulement non coopérative, elle est aussi définitivement suicidaire.
1- L’impasse du modèle non coopératif allemand
Les allemands présentent le plus souvent leur modèle comme étant le modèle « vertueux » comparé au modèle dangereux des autres pays, et ne voient pas pourquoi ils s’aligneraient sur le modèle dangereux des autres simplement pour assurer l’homogénéité de la zone euro.
Ils ont donc décidé de réduire leurs coûts salariaux unitaires avec comme objectif de gagner des parts de marché vis-à-vis des autres pays de la zone euro qui ne le feraient pas, ce qui s’est révélé jusqu’à la crise une stratégie payante.
Les excédents commerciaux de l’Allemagne se situent vis-à-vis de l’UE (de la zone euro), mais pas du Reste du Monde.
Mais la stratégie de croissance basée sur les gains de parts de marché vis-à-vis des autres pays européens atteint sa limite avec la crise, en raison :
- de l’affaiblissement de la demande et des importations dans les pays européens. L’Allemagne ne peut donc plus baser sa croissance sur les ventes aux autres pays européens, puisque la demande s’y est beaucoup affaiblie ;
- la compression de la demande intérieure qui résulte de celle des coûts salariaux n’a donc plus aucun effet positif sur les exportations et ne conserve que l’effet négatif sur la demande.
Il reste donc aujourd’hui à l’Allemagne le coté négatif de sa politique économique : la dépression de la demande intérieure sans la croissance par les exportations.
2- Les propos surprenants d’A. Merkel
Pour des raisons qui nous dépassent (populisme électoral…), la chancelière A. Merkel a potentiellement aggravé, du point de vue de l’Allemagne qui est celui qui nous intéresse ici, la situation que nous décrivons plus haut avec :
- le refus de la solidarité avec les pays qui seraient transitoirement en difficulté pour financer leurs déficits publics ;
- la proposition que soient exclus de l’euro les pays qui ne respecteraient pas de manière répétitive les critères de la zone euro (déficits publics…).
Certains pays, comme la Grèce, peuvent faire l’objet d’attaques spéculatives transitoiresalors que la situation de leur économie ou de leurs finances publiques n’est pas pire que celle des autres pays de la zone euro. Ne pas aider ces pays (« not one euro for Greece ») conduit à dégrader leur économie avec les taux d’intérêt trop élevés,
Par ailleurs, l’exclusion de la zone euro de certains pays provoquerait une appréciation réelle de l’euro dramatique pour son industrie, donc pour l’Allemagne. Rappelons-nous les effets très négatifs sur l’économie allemande de la sortie de l’Espagne, de l’Italie, du Royaume-Uni, du Système Monétaire Européen en 1992-93.
L’opinion allemande refuse :
- d’aider les autres pays de la zone euro en difficulté (avec des attaques spéculatives…) ;
- de comprendre que leur modèle de compression des salaires est non coopératif et inefficace aujourd’hui avec l’affaiblissement de la demande dans les autres pays européens.
Suivant l’opinion, le gouvernement allemand semble choisir :
- de maintenir la stratégie de compression des salaires ;
- de maintenir la stratégie de refus de l’aide aux pays en difficulté et même de suggérer qu’ils quittent l’euro.
Cette stratégie suicidaire de l’Allemagne est incompréhensible : si certains pays conservent des demandes intérieures déprimées par la hausse des taux d’intérêt (des spreads) ou voient leur monnaie se déprécier par rapport à l’Allemagne, tout l’effort de gain de compétitivité-coût de l’Allemagne sera mis à terre.
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