par Edgardo Torija-Zane, économiste chez Natixis
A l’heure de la crise financière mondiale –dont l’impact en Asie émergente se fait par les retraits des flux de capitaux de court terme ainsi que par la dépréciation des devises, la probabilité d’une crise de change accompagnée de restrictions des flux de capitaux suscite des inquiétudes.
Afin d’évaluer le risque d’attaque spéculative pouvant déboucher sur l’inconvertibilité des monnaies asiatiques, nous construisons un indicateur d’adéquation du niveau de réserves de change. Celles-ci doivent :
- être au moins égales à trois mois d’importations, soit le seuil de liquidité externe minimum pour éviter l’ajustement externe sous forme de dépression de la demande domestique ;
- couvrir la totalité des échéances (amortissements, intérêts) de la dette extérieure privée et publique à court terme (jusqu’à fin 2009) en devises, puisqu’en cas de rationnement externe, le refinancement de la dette en devises devient problématique
- couvrir le montant maximum des capitaux susceptibles de quitter le pays. Nous calculons ce montant en agrégeant les 3 dernières années d’investissements externes (nets) en bourse ou en obligations (investissements de portefeuille).
Le « ratio de couverture » est estimé comme la proportion de la somme des trois facteurs couverte par des réserves de change. Si l’ « excédent » de liquidités en devises est positif (ratio de couverture au-dessus de 100 %), il y a alors peu de risque d’une inconvertibilité forcée sur le court terme. Les risques ne disparaissent néanmoins pas totalement, les résidents pouvant toujours essayer de transformer leurs actifs domestiques en actifs étrangers en cas de panique.
La Chine, Taiwan, l’Inde et la Corée du Sud (détenant respectivement les 1ère, 4ème, 5ème et 6ème réserves mondiales en devises) mais aussi la Malaisie et la Thaïlande intègrent ce premier groupe « sans risque », avec un ratio de couverture des réserves en devises supérieur à 100 %.
Une dépréciation involontaire de la monnaie est aussi improbable dans ce groupe, à l’exception des économies présentant des déficits de la balance des paiements courants, ce qui alourdit encore la pression pesant sur la demande nette de devises. Ce pourrait être aujourd’hui le cas de la Corée du Sud et de l’Inde, dont les devises ont fait largement moins bien que leurs pairs asiatiques depuis janvier 2008.
Un deuxième groupe se compose de pays ayant suffisamment de réserves de devises pour couvrir trois mois d’importations et la dette à court terme mais manquant de liquidités externes suffisantes pour permettre des flux sortants de capitaux massifs. Bien que le risque d’inconvertibilité de devises reste modéré dans ce groupe, d’importants mouvements de devises ne sont pas à exclure en cas de stress. Ce groupe comprend Hong Kong, l’Indonésie et les Philippines.
Le Vietnam et le Pakistan figurent dans le groupe « à risque » étant donné que les réserves de la banque centrale ne couvrent pas la dette à court terme et trois mois d’importations. Le Pakistan a officiellement demandé une aide financière au FMI fin octobre afin de diminuer les risques de défaut extérieur.
Les marchés semblent prendre en compte avec plus ou moins de précision ces risques via les différentiels de spread JPM EMBI ou les primes CDS (tableau 2). Néanmoins, un effondrement financier à grande échelle en Asie, semblable à celui connu en 1997-1998, est improbable. À la mi-1997, certains indicateurs de liquidités en devises annonçaient des difficultés à venir, avec un ratio de couverture des réserves en devises significativement inférieur à 100 % pour plus de la moitié des économies asiatiques.