France : le plus dur commence pour la consommation des ménages

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Depuis dix ans, le principal moteur de la croissance française est la consommation des ménages. Cette dernière a ainsi progressé en moyenne de 2,2 % par an (contre à peine + 0,6 % en Allemagne), contribuant pour plus de 85 % à la hausse de 16 % du PIB hexagonal enregistré sur la période 2000-2009. Plusieurs facteurs expliquent cette performance. D’une part, à la différence de l’Allemagne, le partage de la valeur ajoutée sur la période a été bien moins défavorable aux ménages. La part des revenus du travail est ainsi restée relativement stable alors qu’elle a baissé d’environ cinq points en Allemagne. En conséquence, les salaires ont progressé plus rapidement de ce côté-ci du Rhin (+ 2,5 % par an en moyenne depuis dix ans, contre + 1,8 % en Allemagne).

D’autre part, les transferts sociaux sont plus généreux et ont plus progressé en France qu’en Allemagne depuis dix ans. En augmentant en moyenne de 4 % par an (respectivement 2,1 %), ces derniers représentent désormais 30 % du revenu disponible brut (RDB) des Français1 (contre un peu plus de 25 %). A l’arrivée, le pouvoir d’achat des ménages français a progressé de 2,4 % en moyenne chaque année, alors que celui des Allemands n’a crû sur la période que de 0,5 % par an. Si, en outre, on prend en compte la hausse de l’endettement des Français (+ 20 points de RDB) qui leur a permis d’accroître significativement leur patrimoine immobilier (à l’inverse des Allemands), on comprend que, sur la première décennie du vingt-et-unième siècle, la situation des ménages a été sensiblement plus favorable de ce côté-ci du Rhin.

D’ailleurs, cette tendance s’est confirmée en fin d’année dernière. En effet, la consommation des ménages français s’est encore très bien tenue au quatrième trimestre 2009. Désirant profiter au maximum de la fin de la partie la plus généreuse de la prime à la casse (1 000 euros de subvention jusqu’à fin 2009, contre 700 euros désormais), les Français ont en effet massivement acheté des véhicules. Ainsi, alors que l’automobile ne représente que 6 % environ de leurs dépenses, le secteur explique à lui seul 60 % des 1,5 % de hausse de la consommation totale entre la fin 2008 et la fin 2009 !

Toutefois, comme on pouvait s’y attendre2, les chiffres publiés en ce début 2010 amorcent un retournement de tendance. Ainsi, après avoir connu une année 2009 exceptionnellement favorable (+ 10,8 % en moyenne), les immatriculations de voitures neuves ont nettement reculé en janvier (- 17 %), puis à nouveau en février (- 0,2 %).

D’ailleurs, sur les deux derniers mois, la consommation des ménages en produits manufacturés a enregistré son plus fort recul (- 3,7 %) depuis novembre 1996 et l’arrêt de la « jupette3 ». Ce repli semble donc confirmer l’idée que le dynamisme observé en 2009 n’est pas reconductible cette année.

Même si les mesures publiques continuent encore de soutenir le revenu des ménages (les impôts sur le revenu et le patrimoine reculent de 6,8 % sur un an et les transferts sociaux progressent de 4,5 % sur un an), leurs effets devraient progressivement s’estomper. En outre, la remontée de l’inflation observée ces derniers mois (de – 0,7 % en juillet 2009 à + 1,3 % désormais) commence à peser sur leur pouvoir d’achat. Dans ce cadre, avec la poursuite de la dégradation du marché de l’emploi et la confirmation de la modération salariale, le pouvoir d’achat des ménages va nettement ralentir (croissance inférieure à 1 % par an tant en 2010 qu’en 2011, contre + 2,1 % en 2009). Or les enquêtes de confiance montrent bien que le moral des consommateurs reste très faible. De plus, ces dernières révèlent que l’arbitrage consommation / épargne devrait se réaliser en faveur de la seconde. En conséquence, la consommation des ménages ne devrait quasiment pas progresser sur l’ensemble de l’année 20104 et ne se redresser que très modérément en 2011.

NOTES

  1. Et même presque 45 %, si on intègre les prestations sociales en nature (rapportées au revenu disponible ajusté).
  2. Cf. Bourgeois A. (2010), « Edito : Consommation : les Français ont mangé leur pain blanc en 2009…», Eco Hebdo n°1, Natixis.
  3. Mis en place par le gouvernement d’Alain Juppé entre octobre 1995 et octobre 1996, cette prime s’élevait selon les cas à 5 000 ou 7000 francs.
  4. Les + 0,7 % de croissance moyenne annuelle que nous prévoyons pour 2010 doivent tout à l’effet d’acquis de la fin 2009.

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