par Clemente de Lucia, économiste chez BNP Paribas
La conjoncture économique s’est considérablement dégradée au cours des derniers mois. Au T3, le PIB s’est contracté pour le second trimestre consécutif, signe que la zone euro est entrée en récession. Les indicateurs avancés suggèrent que le recul de l’activité devrait se poursuivre au cours des prochains trimestres.
Les mauvaises performances économiques affectent le marché du travail. Les résultats d’enquête signalent que le mouvement actuel de ralentissement de la croissance de l’emploi devrait s’accentuer au cours des prochains trimestres. Le taux de chômage devrait sensiblement remonter en 2009 et en 2010.
Au deuxième trimestre (T2), les rémunérations par tête ont considérablement augmenté et cette progression s’est probablement poursuivie au T3. Toutefois, ce mouvement devrait rapidement se ralentir. L’augmentation attendue du taux de chômage laisse anticiper une nette décélération des rémunérations par tête. Dans ces conditions, les craintes d’effets de second tour sur les salaires se dissipent.
Au total, la brutale détérioration de la conjoncture économique et le recul de l’inflation militent en faveur d’une nouvelle baisse des taux d’intérêt. Nous prévoyons une diminution du taux refi de 75 points de base, qui le ramènerait à 2,50%, le 4 décembre.
Selon l’estimation flash Eurostat, le PIB s’est contracté de 0,2 % au deuxième trimestre. Il s’agit du deuxième trimestre consécutif de baisse du PIB, ce qui signifie que la zone euro est désormais en récession. Autre signe de la poursuite du ralentissement dans la zone euro, la croissance du PIB en rythme annuel a été ramenée à 0,7 %, la moitié de la performance du trimestre précédent et une chute de 2,6% par rapport au haut de cycle du quatrième trimestre 2006 qui avait vu la croissance culminer à +3,3 % en rythme annuel.
Les perspectives de la zone euro s’assombrissent incontestablement. Les résultats d’enquêtes déjà publiées pour le quatrième trimestre mettent en évidence la probabilité d’une nouvelle contraction au quatrième trimestre 2008. L’indice composite des directeurs d’achat, habituellement un bon indicateur avancé du PIB, a atteint un point bas en novembre et laisse anticiper une contraction du PIB de l’ordre de 0,5% t/t au quatrième trimestre. Pour l’ensemble de l’année 2008, nous anticipons une croissance limitée à 1%, après la performance soutenue de 2,6% enregistrée en 2007. Pour 2009, nous prévoyons une contraction du PIB de l’ordre de 1%.
Reflétant les mauvaises performances récentes ainsi que la détérioration des perspectives économiques, les indicateurs du marché du travail ont déjà commencé à fléchir. Les entreprises, qui doivent faire face au durcissement des conditions de crédit, à une utilisation moindre de leurs capacités, à la baisse de leurs profits et à l'affaiblissement de la demande, devraient revoir en baisse, sinon abandonner, leurs projets d’investissement. Dans ces conditions, elles revoient également à la baisse leurs plans de recrutement. Les perspectives d'emploi des entreprises, telles que mesurées par la Commission européenne (pour le secteur manufacturier), se sont considérablement dégradées au cours des derniers mois.
L'indice d'emploi (issu de l’enquête PMI secteur manufacturier) enregistre une évolution parallèle. En novembre, il est tombé à 41,3, son plus bas historique. La situation devrait continuer à se dégrader. Les perspectives pour la production industrielle sont à leur niveau le plus bas depuis 15 ans, ce qui devrait déboucher sur un nouveau ralentissement de la production, affaiblissant encore les perspectives d’emploi.
La situation du secteur des services, qui représente environ 50% de l’activité totale de la zone euro mesurée en termes de valeur ajoutée (contre 21% pour l’industrie), n’est pas plus favorable. En octobre, l’indice de confiance du secteur s’est effondré à un niveau jamais atteint auparavant, affecté par la détérioration attendue de la demande. Il en résulte que les perspectives d’emploi dans le secteur sont tombées à leur niveau le plus bas depuis début 2004.
La détérioration de la situation économique et du marché du travail affecte également les prévisions de dépenses des ménages. Les craintes autour de l’emploi grandissent, ce qui suggère une faible croissance de la consommation au cours des prochains trimestres.
La croissance de l’emploi devrait encore ralentir
Au cours du T2 08, données les plus récentes disponibles, l’emploi continuait à croître, quoiqu’à un rythme moins soutenu, avec une progression de 0,2% t/t, après +0,3% t/t enregistré au T1 08. En rythme annuel, l’emploi progressait de 1,2%, en baisse de 0,3 pb par rapport au T1 08, et de 2,6 pb par rapport au haut de cycle du T3 07. Compte tenu du retard de l’emploi par rapport au cycle d'activité, nous pensons que cette tendance devrait se poursuivre au cours des prochains mois.
L’indice PMI composite emploi (qui combine les résultats de l’indice du secteur des services et de l’indice du secteur manufacturier) indique que le mouvement actuel de ralentissement de la croissance de l’emploi devrait s’accentuer au cours des prochains trimestres. En ligne avec nos prévisions de croissance du PIB, nous anticipons que la progression en rythme annuel de l’emploi devrait fortement décélérer au cours des prochains trimestres. L’emploi pourrait reculer à partir du T2 08, pour ne recommencer à croître en rythme annuel qu’à partir du second semestre 2010, après que le PIB aura renoué avec la croissance (à la fin de 2009).
Dans ces conditions, nous attendons une progression sensible du taux de chômage au cours des prochains mois. Actuellement de 7,5% au T3, il devrait atteindre 7,8% au T4 et terminer à la fin de l'année prochaine au-dessus de 9% (pour une moyenne annuelle de 8,9% en 2008). En 2010, il devrait augmenter davantage.
Les risques d’effets de second tour diminuent
Les coûts salariaux ont été relativement élevés au cours du premier semestre 2008 (dernières données disponibles). L’indice des salaires négociés calculé par la BCE a augmenté en rythme annuel de 2,8% g.a. au T2, en baisse de 0,1 pb par rapport au T1 2008, mais très au-delà du rythme de progression de 2,2% enregistré en 2007. Les coûts salariaux unitaires ont crû un peu moins rapidement que prévu au T2, en hausse de 2,7% g.a., contre une hausse de 3,5% g.a. au T1.
Toutefois, en tout état de cause, la hausse moyenne pour les deux premiers trimestres de l’année (3,1%) reste très supérieure à celle enregistrée au cours des quatre dernières années (2,5%). Au T2, les rémunérations par tête ont considérablement augmenté, avec une progression de 3,5% g.a., contre 3,1% au T1 et cette dernière s’est probablement encore poursuivie au T3. Cela reflète une certaine tension sur le marché de l’emploi au cours des derniers mois et un mouvement de rattrapage des rémunérations, dans un contexte de hausse de l’inflation.
Toutefois, le mouvement de progression des rémunérations devrait rapidement ralentir. La hausse attendue du chômage laisse anticiper une nette décélération des rémunérations par tête. Cette analyse se fonde sur le creusement de l’écart entre le taux de chômage NAIRU (non accelerating inflation rate of unemployment), tel que calculé par l’OCDE, et le taux de chômage réel. L’écart a été négatif depuis le début de 2007, suggérant une plus forte pression salariale.
Toutefois, il a commencé à se réduire depuis le T2 2008. Compte tenu de la détérioration de la conjoncture économique, le taux de chômage devrait être supérieur au taux NAIRU au T4 2008.
Dans ces conditions, les craintes d’effets de second tour sur les salaires se dissipent. C’est ce qu’ont exprimé divers membres du Conseil des Gouverneurs de la BCE lors de leurs dernières interventions publiques. Ainsi, le 5 novembre, M. Stark soulignait que "nous n’anticipons pas réellement d’effets de second tour" compte tenu de la gravité du ralentissement économique.
A cet égard, on peut relever qu’IG Metall, principal syndicat allemand signait début novembre un accord préliminaire prévoyant une hausse de 4,2% des salaires des ouvriers des industries sidérurgiques et métallurgiques, soit une hausse beaucoup moins alarmante que les 8% exigés début septembre. La crise économique a probablement influencé cette négociation et aura un effet sur celles en cours et à venir.
Ce qui compte, en termes d’inflation, n’est pas tant les salaires que les coûts salariaux unitaires, c'est-à-dire les salaires ajustés de la productivité. De ce côté, des pressions à la hausse sur l’inflation sous-jacente pourraient persister. En effet, au cours des prochains trimestres, l’évolution des coûts salariaux unitaires ne sera pas aussi modérée qu’on pourrait l’imaginer. Le ralentissement économique a généralement pour conséquence une détérioration de la productivité du travail. Nous ne pourrons observer une amélioration de la dynamique d’évolution des coûts salariaux unitaires qu’au printemps prochain, lorsque le ralentissement des salaires se confirmera et que la productivité du travail commencera à se redresser légèrement.
Une nouvelle baisse des taux d'intérêt
Par conséquent, à court terme, un risque de hausse de l’inflation sous-jacente subsistera. Au cours des deux prochains trimestres, l’inflation sous-jacente devrait se maintenir aux alentours de 1,8 à 1,9%. Toutefois, l’élargissement de l’écart de production devrait contribuer à équilibrer les pressions inflationnistes. L’inflation sous-jacente devrait revenir vers 1,4 – 1,5% à la fin de l’année prochaine et s’inscrire à moins de 1% en moyenne en 2010.
L’évolution de l’inflation globale est encore plus modérée. Avec un rythme mensuel de 3,2% en octobre, en baisse de 0,8 pb par rapport au point haut de juillet, l’inflation connaît un net reflux, principalement sous l’effet d’effets de base favorables liés à l’énergie et aux produits alimentaires. Entre juillet et la mi-novembre, le cours du baril a chuté d’un sommet de $147 à moins de $60. Aussi, des effets de base très favorables, liés au prix énergétiques, feront probablement passer l’inflation globale bien au-dessous de 1%, particulièrement au troisième trimestre 2009 (les prix énergétiques élevés de l’été 2008 constituant alors la base de référence de calcul de l’inflation).
Au total, la brutale détérioration de la conjoncture économique et l’amélioration des perspectives inflationnistes militent en faveur de nouvelles baisses des taux d’intérêt directeurs de la BCE. Ils devraient être réduits de 75 pb à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil des gouverneurs le 4 décembre, le refi revenant à 2,50%. Il serait ramené sous 1,5% d’ici à la mi-2009.