par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
La publication des comptes nationaux américains du quatrième trimestre 2009 a dévoilé un taux de croissance impressionnant1. Le PIB a ainsi progressé de 5,6% en rythme annualisé (0,1 % en glissement annuel). Derrière ce chiffre, les tendances économiques restent toutefois moins encourageantes. Premièrement, cette croissance exceptionnelle est principalement attribuable au cycle de déstockage (les stocks expliquent plus des deux tiers de la hausse trimestrielle du PIB). Deuxièmement, la hausse marquée de l’investissement productif est à 90% due à l’investissement de remplacement du capital à faible durée de vie, surtout des logiciels et des ordinateurs.
En l’absence de hausse prononcée de la demande et dans une situation de surcapacités de production2, les entreprises restent prudentes par rapport à leurs plans d’investissement. Enfin, malgré le stimulus fiscal, la consommation reste freinée par la situation toujours dégradée sur le marché de l’emploi et par la poursuite du désendettement des ménages. En conséquence, la croissance devrait légèrement ralentir en début d’année 2010. Le PIB américain pourrait ainsi croitre en moyenne de 2,3 % en rythme annualisé au premier semestre.
La deuxième partie de l’année devrait ensuite montrer un profil encore moins favorable, en raison de la baisse ou de la disparition des effets du stimulus fiscal. De plus, les statistiques montrent que même si l’activité reprend, les entreprises restent très prudentes dans leurs projets d’embauche, préférant augmenter les heures travaillées des salariés (dans l’industrie) ou réaliser des embauches à l’aide de contrats temporaires (dans les services).
Par conséquent, nous n’anticipons pas de baisse du taux de chômage au cours de l’année, la création d’emplois n’étant pas suffisante pour le faire diminuer d’une manière prononcée. Certes, le recensement décennal (Census 2010) devrait se traduire par des créations d’emplois massives au printemps (environ 800 000 emplois3). Toutefois, dès l’automne, cette tendance devrait s’inverser, empêchant ainsi une baisse prolongée du chômage. Au final, avec un indice de confiance qui reste très faible, la baisse du taux d’épargne observée au cours des derniers mois pourrait s’interrompre et les dépenses des ménages ralentir (+ 1,6 % en moyenne, selon nous, tant en 2010 qu’en 2011).
En outre, même si les fondamentaux semblent s’améliorer (baisse des stocks, prix plus accessibles, dynamisme démographique…), la hausse du nombre de saisies de maisons suite à des défauts de remboursement de prêts immobiliers pourrait peser sur le marché. Ainsi, après avoir été vitalisé par les mesures budgétaires en faveur des primo-accédants (mesure prolongée jusqu’en juin 2010), le marché immobilier pourrait marquer une pause dans son redressement. D’ailleurs, Ben Bernanke l’a récemment confirmé, l’emploi et l’immobilier restent les deux domaines d’inquiétude principaux aux Etats-Unis4. Enfin, avec un commerce extérieur qui ne devrait plus s’améliorer significativement, la croissance américaine devrait atteindre 2,4 % cette année et 2 % l’an prochain.
Cette performance, qui pourrait apparaître tout à fait satisfaisante au regard des chiffres européens (croissance attendue d’environ 1 % tant en 2009 qu’en 2010), traduit en fait une nette rupture avec le passé. En effet, lors des sorties de récession précédentes, l’économie américaine a toujours enregistré une croissance soutenue, dans tous les cas durablement et / ou fortement supérieure à la croissance potentielle. En un mot, après avoir reculé, la première économie mondiale compensait rapidement son repli et reprenait le chemin de la croissance soutenue (2,7 % par an en moyenne depuis trente ans). Ainsi, après la récession de 1982 (- 1,9 %), la croissance américaine s’est élevée à respectivement 4,5 % et 7,2 % en 1983 et 1984. De même, après la récession de 1991 (- 0,2 % en moyenne), le PIB crût pendant neuf ans sur un rythme moyen de 3,8 %. Cette fois, la croissance revient certes sur des niveaux « satisfaisants », proches de la croissance potentielle (environ 2 % actuellement). Toutefois, personne ne s’aventurerait à prévoir des hausses de PIB proches ou supérieures à 4 %. En conséquence, à la différence des autres sorties de récession, l’économie américaine va mettre du temps pour corriger le net repli du PIB enregistré lors de la « Grande Récession5 » (- 3,8 % entre la mi-2008 et la mi-2009).
NOTES
- Cf. Julien T. et Mufteeva I. (2010), « Etats-Unis : le retour de la croissance demeure fragile », Note mensuelle, Mars, Natixis.
- Le taux d’utilisation des capacités de production atteint 72,7 %, un niveau inférieur de cinq points à sa moyenne de long terme.
- Cf. Julien T. et Mufteeva I. (2010), « Etats-Unis : quel est l’impact du recensement de la population (Census 2010) sur le marché de l’emploi ? », Note mensuelle, Avril, Natixis.
- « Beaucoup d’Américains sont encore touchés par le chômage, les saisies immobilières, voire les deux ».
- Ainsi qualifiée par le Directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn, en référence à la « Grande Dépression » des années 30.