par Nathalie Navarre, stratégiste chez Amundi Asset Management
L’inflation est remontée dans la zone euro à 1,4% en mars, au plus haut depuis décembre 2008. Cette évolution est largement imputable à la hausse des prix de l’énergie et notamment du pétrole qui avait touché un point bas au T1 2009. Mais elle n’illustre pas de pressions inflationnistes. En effet, l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) est très clairement orientée à la baisse depuis plusieurs mois dans la zone euro.
Ces pressions désinflationnistes domestiques devraient perdurer en 2010 et 2011 tant que les excédents de capacités n’auront pas été résorbés. Mais le risque d’inflation importée des pays d’Asie émergente au travers notamment du prix des matières premières est quant à lui plutôt orienté à la hausse, ce qui affecterait le pouvoir d’achat et ralentirait le chemin de la reprise.
Des pressions déflationnistes liées aux excès de capacité
A 0,9% en février (glissement annuel), l’inflation sous-jacente dans la zone euro est au plus bas depuis 13 ans (la moyenne se situe à 1,6%). La hausse du chômage entraîne d’une part une demande plus faible de la part des ménages et d’autre part une baisse des pressions salariales autorisant les entreprises à baisser les prix. Or ce mécanisme devrait se poursuivre en 2010 et 2011. En effet, les coûts salariaux unitaires avaient fortement progressé pendant la crise car les entreprises ont tardé à ajuster le niveau de l’emploi à la demande. Ainsi, pour l’ensemble de la zone euro au T1.09, ils étaient en hausse de 5,8% sur un an. Ils ont depuis ralenti (à +1,3% au T4.09). Mais dans un contexte de reprise molle, les entreprises vont continuer à reconstituer leurs marges en augmentant la productivité et en baissant les coûts salariaux. L’ajustement reste donc à venir, si ce n’est en termes d’emploi, au moins en termes de modération salariale. Par ailleurs, les excès de capacité de l’appareil productif sont également élevés : le taux d’utilisation des capacités de production se redresse, mais à 72% pour la zone euro, il reste très inférieur à sa moyenne historique de 81%. Il est donc fort probable que les pressions désinflationnistes perdurent dans la zone euro sur 2010 et 2011.
De fortes disparités existent au sein des pays de la zone euro. On constate que les pays où l’inflation est la plus faible sont ceux dont le marché du travail s’est le plus fortement dégradé pendant la crise. L’Espagne apparaît à cet égard atypique avec une inflation sous-jacente qui reste positive alors que le taux de chômage est supérieur de 10 pp à son niveau deux ans plus tôt. On doit donc s’attendre à la poursuite des pressions désinflationnistes dans le pays. Notons en revanche que la hausse de la fiscalité (TVA notamment) pourrait générer de l’inflation dans les pays contraints à la discipline budgétaire (« PIGS »). En Allemagne, mais aussi en France et en Italie, les marchés de l’emploi ont été globalement plus résistants que dans les autres pays de la zone euro et leur taux d’inflation est supérieur à la moyenne de la zone euro. Notons qu’en Allemagne la très faible progression du chômage a été compensée par un fort ralentissement des salaires (+0,5% en 2009 contre 1,5% en France) en raison des mises à temps partiel mais également de accords salariaux particulièrement modérés.
Ces disparités soulignent encore l’hétérogénéité de la reprise économique et pourraient poser un dilemme à la BCE lorsqu’il s’agira de relever les taux directeurs.
Mais des risques d’inflation importée
La baisse de l’euro (-6% sur le taux de change effectif sur deux ans) pourrait avoir un impact non négligeable sur l’inflation importée. En effet, les modèles estiment en général qu’une baisse de la devise de 10% génère une hausse de l’inflation de 0,8 pp l’année qui suit. Dans l’hypothèse où l’euro se stabilise sur ses niveaux actuels, la baisse passée pourrait donc ajouter 0,5 pp à l’inflation. Par ailleurs, des pressions inflationnistes pourraient venir de l’Asie au travers du prix des matières premières et de la fin de la désinflation mondiale sur les prix des biens. Dans une phase de croissance molle dans les pays développés et en cours de ralentissement dans les pays émergents asiatiques, l’offre de matières premières nous parait suffisante pour ne pas générer de tensions sur les prix. Néanmoins, le risque reste orienté à la hausse en raison des perspectives de long terme résolument haussières sur la plupart des matières premières. En outre, les pressions déflationnistes sur les prix des biens devraient diminuer avec le rééquilibrage de l’économie mondiale au profit des pays émergents.
Les pressions désinflationnistes domestiques vont donc persister dans la zone euro jusqu’en 2011. Mais le risque de tensions inflationnistes importées des pays émergents est orienté à la hausse. Sur un horizon de deux ans, les obligations indexées sur l’inflation, avec un point mort proche de 2%, apparaissent chères. Mais sur des horizons plus lointains (à partir de 5 ans), si l’on croit au scénario de consolidation de la reprise économique, les obligations indexées offrent une bonne protection contre les risques d’inflation.