par Philippe Waechter, Chef économiste chez Ostrum AM
Le concept clé de l’Accord de Paris pour que la température du globe converge vers 1.5°C dans la durée est celui de la neutralité carbone. L’idée est que les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) doivent être compensées à l’échelle globale pour que le solde net entre émissions et leur retrait soit nul. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus rien émettre mais que toute émission doit avoir un retrait en contrepartie. C’est à cette condition, répétée dans le récent rapport du GIEC, que sera limité le risque de divergence par rapport à une température qui se situerait de façon durable à 1.5°C au-dessus de la moyenne préindustrielle.
Il existe des façons naturelles d’absorber le CO2 et les autres GES. La forêt et les océans sont des puits qui absorbent le carbone mais on constate qu’ils sont insuffisants pour faire face au volume émis en raison du développement économique. L’exemple islandais récent tend à le prouver. Jamais jusqu’à présent l’échelle de ces technologies n’a été satisfaisante.
La neutralité carbone est conditionnée par la mise en œuvre de politiques convergentes au sein de chaque pays ou partie. Chacun doit s’engager à adopter la stratégie la plus efficace pour s’assurer de la réalisation de la neutralité carbone globale.
Lors de l’Accord de Paris, en 2015, chaque pays s’était engagé sur une trajectoire cohérente avec cette neutralité carbone. Cet engagement est à revoir tous les cinq ans en fonction des progrès réalisé ou des manquements constatés. C’est la mesure de cet engagement pays par pays qui est au cœur de la COP26 qui se réunira à Glasgow du 1er au 12 novembre (décalée d’un an en raison de la pandémie).
Jusqu’à présent, la trajectoire suivie par les émissions ne se cale pas sur la bonne allure. Un rapport des Nations Unis publié à la fin septembre suggère que le compte n’y est pas encore. Selon les données disponibles, et en fonctions des engagements pris, les émissions de GES augmenteraient de 16% entre 2010 et 2030.
Pour converger vers la trajectoire menant à une hausse de 1.5°C au-dessus de la moyenne préindustrielle, il faudrait une baisse de ces émissions de 45% entre 2010 et 2030. Les pays sont loin du compte.
Dans le rapport de l’ONU, la trajectoire constatée mènerait vers une température de 2.7°C au-dessus de la moyenne préindustrielle, bien éloigné de la valeur souhaitée de 1.5°C.
Les comportements ne sont pas homogènes et certains pays se comportent mieux que d’autres. Cependant, l’objectif ne peut être que global. Chacun doit faire les efforts nécessaires même si les autres prennent du retard. Mais il faudra que tout le monde converge.
Cette question de la neutralité carbone met en exergue l’opposition entre les tenants du techno-optimisme et les tenants de la décroissance pessimiste.
Pour les premiers, l’idée est que l’on trouvera toujours une solution aux problèmes posés. Soit le basculement des énergies fossiles vers les énergies renouvelables se fera plus vite qu’anticipé en raison de technologies nouvelles, soit parce que la technique de la séquestration de CO2 fera un bond en avant très rapidement. De la sorte, la technologie permettrait de faciliter la convergence et d’atterrir sur la bonne allure. Il y a implicitement l’idée que l’homme s’est toujours sorti des mauvaises passes. La technologie en serait.
Du coté des décroissants pessimistes, le modèle de développement est trop conditionné à l’utilisation des énergies fossiles et à l’incapacité de sortir de cette situation. Pour limiter le réchauffement de la température moyenne du globe, il faut réduire la production globale afin de contraindre les émissions de GES. L’insuffisance des technologies pour séquestrer le CO2 est un élément clé de cette réflexion qui semble d’un autre âge.
Au delà de ces postures, l’enjeu est la baisse de l’utilisation des énergies fossiles. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, il faudrait, pour réaliser la neutralité carbone que la consommation des énergies fossiles tombe à 20% de la consommation en 2050. En 2020, selon les chiffres de BP, la consommation d’énergies fossiles représentait 83% de la consommation totale d’énergie. L’histoire montre que la décrue dans l’utilisation des énergies fossiles est très lente. En 1965, la part était de 94%. Il aura fallu 55 années pour que celle ci se réduise de 10%.
Dans le rapport de l’IAE, il est indiqué que 90 % de l’électricité devra, en 2050 lors de l’atteinte de la neutralité carbone, être d’origine renouvelable dont 70% pour le solaire et l’éolien, le reste étant d’origine nucléaire. C’est une rupture profonde et durable par rapport à la dynamique issue de la révolution industrielle.
Il est encore indiqué dans ce rapport que la technologie qui permettra d’atteindre ces objectifs mais aussi celle qui permettra d’absorber le carbone et de la séquestrer n’existent pas encore. Outre la question du stockage se pose celle de la taille des installations génératrices d’énergie. Le solaire et l’éolien occupent une surface considérable bien supérieure à celle des énergies fossiles pour un rendement énergétique plus faible. Il faut donc investir massivement pour que ces technologies se transforment et gagnent en performance. Les investissements massifs ont été insuffisant depuis le rapport Stern d’octobre 2006. Plus on tarde, plus le coût associé est fort.
L’allocation de ressources doit rapidement être bousculée si l’objectif global est celui de la neutralité carbone. Il faut agir rapidement, bousculer l’économie pour que cette neutralité carbone devienne tangible. Elle ne l’est pas encore. Il faut une mise en œuvre rapide et des investissements considérables du secteur privé et du secteur public. Nous n’avons plus le temps d’en reporter l’exécution.
La neutralité carbone est un concept clé pour la stabilisation du climat. Mais pour qu’il se matérialise il faut que les gouvernements s’engagent réellement sur ce chemin, ce qui n’est pas le cas, et que les investissements et les innovations deviennent réalité, on en est encore loin. 2050 est une échéance proche et les manifestations du changement climatique sont déjà nettement perceptibles. L’opportunité est à Glasgow pour changer de tempo.