par Frédérique Cerisier, François Faure et Raymond Van der Putten, économistes chez BNP Paribas
- L'économie mondiale se redresse, quoiqu’en ordre dispersé. C’est dans les ‘BRIC’ (Brésil, Russie, Inde et Chine) que la reprise est la plus forte.
- La dernière récession s’est soldée par une sérieuse dégradation des finances publiques dans les pays de l’OCDE. En plus, les coûts liés au vieillissement de la population pèseront de plus en plus sur les budgets des Etats.
- L’autre défi à relever pour les pays de l’OCDE et les économies émergentes est la mise en place d’un modèle de croissance à faible émission de carbone.
par Frédérique Cerisier, François Faure et Raymond Van der Putten, économistes chez BNP Paribas
- L'économie mondiale se redresse, quoiqu’en ordre dispersé. C’est dans les ‘BRIC’ (Brésil, Russie, Inde et Chine) que la reprise est la plus forte.
- La dernière récession s’est soldée par une sérieuse dégradation des finances publiques dans les pays de l’OCDE. En plus, les coûts liés au vieillissement de la population pèseront de plus en plus sur les budgets des Etats.
- L’autre défi à relever pour les pays de l’OCDE et les économies émergentes est la mise en place d’un modèle de croissance à faible émission de carbone.
- Il est important que l’économie mondiale s’engage de nouveau sur une trajectoire de croissance durable. Ilfaudra pour ce faire un rééquilibrage de la demande mondiale et une réduction des déséquilibres commerciaux.
La reprise mondiale est bien plus forte que prévu. Pour 2010, BNP Paribas table aujourd’hui sur une croissance de l’économie mondiale d’environ 4 % contre 3,5 % il y a trois mois à peine. L’évolution favorable des pays développés comme des marchés émergents est largement imputable à des politiques budgétaires et monétaires extrêmement accommodantes, sans précédent dans l’histoire mondiale.
C’est dans les marchés émergents que la croissance est la plus robuste. En particulier, les BRIC1, à l’exception de la Russie, ont bien résisté à la crise financière et économique mondiale. A la fin 2009, le PIB cumulé des big three (Brésil, Chine et Inde) était même supérieur de 22% au niveau atteint avant la crise, contre 4 % pour les autres pays émergents et en développement. La Russie, en revanche, qui est de loin l’économie la moins diversifiée des quatre, a connu une sévère récession en 2009 (-7,9 % contre -0,2 % au Brésil, 7,2 % en Inde et 8,1 % en Chine) sous l’effet de la correction brutale des cours du pétrole. Cependant, depuis le second trimestre 2009, les économies des quatre pays BRIC ont rebondi (Brésil, Russie) ou connu une nouvelle accélération significative (Chine, Inde), davantage portée par la demande intérieure (injection massive de crédits en Chine, programmes de relance basés sur l’investissement au Brésil et en Inde) que par la demande extérieure (à l’exception de la Russie). A l’évidence, le Brésil et la Russie ont bénéficié du redressement des prix du pétrole et des denrées agricoles.
Dans les pays de l’OCDE, on observe également une reprise mais à plusieurs vitesses et en grande partie due à l’assouplissement notable des politiques budgétaires et monétaires. Quoi qu’il en soit, la production reste partout bien inférieure aux niveaux antérieurs à la crise. La reprise est plus vigoureuse aux Etats-Unis. Cette évolution, d’autant plus surprenante que la crise a précisément éclaté dans ce pays, tient à l’important dispositif de relance budgétaire et monétaire mis en œuvre, à un secteur des entreprises moins tributaire du crédit bancaire et à une restructuration rapide de l’industrie. Au premier trimestre, le taux de croissance annuel du PIB était de 3,2 %, troisième hausse trimestrielle consécutive et la production à 1,2 %, à peine en dessous de son niveau antérieur à la crise. L’économie japonaise s’est également redressée après avoir connu la pire récession de l’après-guerre, à la faveur d’un plan de relance budgétaire de grande ampleur et des liens étroits de ce pays avec les économies émergentes asiatiques. En Europe, la reprise est à la fois très lente et inégale. Dans la zone euro, la croissance est restée morose après la fin de la récession au troisième trimestre de l’année dernière. Le Royaume-Uni, sérieusement touché par la crise des marchés financiers et de l’immobilier résidentiel, n’est sorti de la récession qu’au quatrième trimestre (0,4 %), affichant une croissance bien modeste au premier trimestre 2010 (0,2 %).
Le vieillissement de la population et les préoccupations liées à l’environnement viennent s’ajouter aux problèmes budgétaires
La récession que nous venons de connaître s’est soldée par une sérieuse dégradation des finances publiques dans les pays de l’OCDE. Les déficits budgétaires devraient rester relativement élevés dans les années à venir tandis que, dans certains pays, la dette publique risque encore d’augmenter. Pour 2015, le FMI table sur une augmentation des ratios dette/PIB de plus de 60 points de pourcentage (pp) au Japon et de plus de 45 pp au Royaume-Uni et aux Etats-Unis par rapport au niveau antérieur à la crise. Toujours d’après les prévisions du FMI, ce ratio devrait connaître une hausse plus modeste de près de 30 pp dans la zone euro et enregistrer, en revanche, une légère diminution dans les BRIC à l’exception de la Russie.
Dans les pays de l’OCDE, le vieillissement démographique va de plus en plus peser sur les finances publiques. Au cours de la prochaine décennie, avec le départ à la retraite de la génération du «baby boom», les caisses de retraite publiques seront soumises à des pressions grandissantes. En Europe, malgré les réformes engagées au cours des années précédentes, les dépenses liées au vieillissement de la population pourraient augmenter à hauteur d’environ 1 % du PIB. Ces coûts devront être supportés par un plus petit nombre d’actifs et, dans le même temps, le taux de dépendance des personnes âgées augmentera, selon les prévisions, de 25 % en 2007 à 31 % en 2020.
Cette évolution va rendre les pays de l’OCDE plus vulnérables aux chocs négatifs, en particulier ceux qui ne pourront plus soutenir leur système financier ou l’économie réelle. Seule une croissance plus forte de l’économie mondiale permettra à ces pays de revenir à une meilleure santé budgétaire.
A cet égard, il est important pour ces économies d’augmenter substantiellement la croissance de leur production potentielle. Suite à la crise des subprime, la production potentielle a reculé de 2% en moyenne selon les estimations. De plus, en raison de la baisse des investissements, la croissance de la production potentielle pourrait avoir reculé à 1,4 % en moyenne contre 2 % sur la période 2006-2008. Les gains en la matière pourraient venir de la suppression des restrictions qui entravent encore les marchés de produits et du travail, ainsi que de l’accroissement de la main-d’œuvre en favorisant le travail des seniors. De nombreux pays de l’OCDE ont renoncé à leurs plans de retraite anticipée et sont progressivement en train de relever l’âge légal de départ à la retraite.
Les pays en développement sont dans une situation bien plus favorable. Même si le taux de dépendance des personnes âgées est également appelé à augmenter, il reste bien en deçà de celui des pays développés. De plus, conformément à l’amélioration des transferts sociaux, ces pays vont probablement mettre en place des régimes plus complets de retraite et d’assurance maladie. Ces mesures permettront aux ménages de réduire leur épargne, aujourd’hui très élevée, et de doper ainsi les dépenses de consommation.
Autre défi à relever pour les pays de l’OCDE et les économies émergentes : la mise en place d’un modèle à faible émission de carbone. Lors de la Conférence de Copenhague sur le climat l’année dernière, tous les pays ont admis la nécessité de réduire les gaz à effet de serre, mais sans fixer d’objectifs précis. Par ailleurs, le financement de technologies peu émettrices de carbone dans le monde en développement constitue un autre obstacle majeur à la conclusion d’un accord dans ce domaine. Les pays développés, déjà confrontés à la détérioration de leurs finances publiques, pourraient être moins enclins pour le moment à apporter les fonds nécessaires. Des méthodes de financement innovantes s’imposent. Le FMI a ainsi suggéré de créer un Fonds vert qui fournirait des aides pouvant aller jusqu’à 100 MdUSD par an en l’espace de quelques années.
Malgré l’absence de convention mondiale et d’engagements fermes, l’Europe et le Japon ont déjà annoncé des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de carbone. Des dispositifs comme la fixation d’un prix pour les émissions de CO2 par le biais de taxes carbone ou de systèmes dits de « cap-and-trade » (quotas carbone échangeables) vont probablement être mis en œuvre ou être encore améliorés. L’application d’éco-taxes pourrait jouer un rôle important dans les stratégies d’assainissement budgétaire.
En général, les entreprises ne sont pas opposées à la réduction des émissions. Le développement des technologies vertes ouvre en effet de nouvelles perspectives commerciales. De plus, les pionniers dans ce domaine bénéficieront certainement d’un avantage compétitif. Pour les entreprises, la préoccupation majeure est néanmoins que le durcissement de la réglementation relative aux émissions dans un petit nombre de pays seulement risque de fausser la concurrence. Ces mesures pourraient se traduire par une délocalisation des industries très consommatrices d’énergie au profit de pays dotés de réglementations moins restrictives sur l’environnement (phénomène de «fuite carbone»).
La forte croissance des «BRIC» va contribuer au rééquilibrage de l’économie mondiale
Dans les pays développés, la priorité est au retrait des mesures extrêmement accommodantes mises en place pendant la crise. Les banques centrales sont précisément en train de renoncer à leurs politiques monétaires non conventionnelles. De plus, le FMI, l’OCDE et d’autres organisations internationales ont appelé leurs Etats membres à engager des programmes d’assainissement à moyen terme et à communiquer clairement en la matière. Toutefois, ces mesures d’austérité auront ainsi un impact sur l’activité, et nombreux sont ceux qui craignent de ce fait une croissance inférieure au potentiel pendant une longue période dans le monde développé.
Tant que le secteur privé est encore en phase de désendettement, les déficits publics risquent de rester élevés malgré la mise en place de mesures de consolidation budgétaire, dans un contexte de stagnation de la production. C’est exactement ce qui s’est passé lors de la décennie perdue au Japon. Les mesures de relance s’épuisent, le gouvernement a de plus en plus de mal à emprunter, et on peut ainsi aboutir à une crise majeure de la dette souveraine.
Dans les années à venir, les économies émergentes devraient rester la principale locomotive de la croissance mondiale. En Asie, notamment, elles pourraient même croître au taux de 7 % à 8 % par an dans la première moitié de la décennie. Cependant, ce rythme de croissance pourrait s’essouffler, si l’activité dans les pays développés venait à accuser un net ralentissement.
Par conséquent, il importe par-dessus tout que l’économie mondiale s’engage de nouveau sur un sentier de croissance durable. Il faudra pour ce faire un rééquilibrage de la demande mondiale et une réduction des déséquilibres commerciaux à l’échelle de la planète. Au cours de la récession, ces écarts se sont nettement comblés mais pour se creuser de nouveau avec le redressement de l’activité. Dans les pays déficitaires, la demande intérieure va probablement rester léthargique le temps que les ménages assainissent leur bilan. Pour que la croissance se confirme, ces économies devront enregistrer une hausse de leurs exportations nettes. Confrontés à un ralentissement de la demande de la part de ces économies, les pays excédentaires tenteront peut-être de rééquilibrer leur croissance en faisant en sorte qu’elle s’appuie désormais davantage sur la demande intérieure.
Par le passé, ce type d’ajustement s’est fait à la faveur de l’appréciation du taux de change et des politiques macroéconomiques visant à stimuler la demande intérieure. Cependant, les pays exportateurs peuvent hésiter à adopter de telles politiques de crainte qu’elles ne ralentissent la croissance. La Chine, en particulier, a résisté aux pressions en faveur de l’abandon du rattachement du renminbi. Les épisodes antérieurs de retournement de l’excédent des comptes courants montrent que l’appréciation d’une devise n’a pas nécessairement un impact négatif sur la croissance. Dans de nombreux cas, la demande intérieure se substitue à la demande extérieure, entraînant une expansion du secteur non exportateur. Quant aux exportations, elles s’orientent vers des produits à forte valeur ajoutée. On note même une amélioration de l’emploi, les créations de postes dans les secteurs non exportateurs compensant les destructions dans les secteurs travaillant pour l’exportation.
Au sein de la zone euro, une coordination plus étroite des politiques s’impose pour réduire les déséquilibres commerciaux internes qui font peser une menace certaine sur la monnaie unique.
Au cours de la période 2010-2020, les BRIC devraient continuer à combler leur retard sur les pays développés en termes de croissance du PIB réel. La Chine et l’Inde pourraient enregistrer une croissance moyenne annuelle de 9 % et 8 % respectivement, quasiment deux fois plus que le Brésil (5 %) et la Russie (entre 4% et 5 %, mais uniquement si les cours du pétrole se maintiennent à un niveau relativement élevé, soit au moins 60 dollars le baril). Par conséquent, en termes de part de marché, la Chine et l’Inde arriveraient en tête avec un PIB réel, toujours mesuré en termes de parité de pouvoir d’achat, atteignant respectivement 45 % et 17 % du PIB cumulé des pays développés (contre 25 % et 10 % à présent et dans l’hypothèse d’une croissance du PIB réel de 2,5 % pour les pays développés). La situation est toute autre en termes de parité de pouvoir d’achat par habitant : la Russie se situerait à 55 % du PIB moyen par habitant des pays développés alors que l’Inde serait à la traîne avec 13 % à peine mais uniquement en raison de tendances démographiques divergentes ainsi que de niveaux de PIB/habitant au départ très différents.
Ces projections tiennent compte de la diversité des situations au sein des BRIC. En Chine, la pérennité de la croissance dépendra de la capacité des autorités à canaliser et rationaliser la distribution du crédit en vue d’améliorer les infrastructures et non de développer les capacités de production ou d’alimenter des bulles immobilières, tout en faisant de la consommation des ménages le moteur de la croissance au lieu des exportations. En Inde, malgré l’approche progressive et conservatrice du gouvernement à l’égard des réformes visant à libéraliser le marché sur la base d’un consensus démocratique, le développement des infrastructures semble en bonne voie, de même que les mesures d’assainissement budgétaire.
Au Brésil, malgré des progrès significatifs en matière de stabilisation macroéconomique, l’accélération de la croissance potentielle à moyen terme est toujours teintée d’incertitude, car l’accumulation du capital reste insuffisante (en particulier dans les infrastructures), le niveau de qualification des ressources humaines est faible, et beaucoup reste à faire pour améliorer l’efficacité du marché de l’emploi, du cadre réglementaire et du régime fiscal. Enfin, en Russie, l’absence de diversification et les difficultés auxquelles se heurtent les plans de modernisation constituent de sérieux obstacles à la croissance potentielle, qui est bien plus fragile que dans d’autres pays.
NOTES
- Les pays dits “BRIC” sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. La production dans ces pays (mesurée en termes de parité du pouvoir d’achat) représente environ 50 % de celle de tous les pays émergents et en développement.
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