par Patrick de Fraguier, stratégiste chez Amundi Asset Management
La nervosité des marchés a plusieurs origines qui paraissent évidentes. Elles se matérialisent de diverses manières mais se cumulent dangereusement.
C’est la première fois, depuis le fin de la 2ème guerre mondiale, que réapparaît le risque de défaut souverain d’un pays occidental avec une crise de liquidité (et donc de refinancement) qui bascule vers un risque d’insolvabilité.
Les « postures » des différents gouvernements sur les mesures d’austérité budgétaire donnent l’impression d’une certaine cacophonie qui peut faire douter de la crédibilité des plans de stabilisation ou de sauvetage.
La crainte d’une extension systémique du risque souverain maintient un niveau élevé d’aversion au risque. Les différents indicateurs qui la mesurent témoignent de cette exacerbation : retour de la corrélation taux / bourse, hausse de la volatilité bourse et change.
Cette défiance se traduit progressivement sur les différents segments de marché : le change, l’or et même sur l’interbancaire (spread 3 mois – OIS) qui revient à nouveau comme mesure de propagation de la détérioration des conditions de crédit.
Des investisseurs à la recherche de confiance
Début 2010 avait été marqué par un retour de la volatilité implicite sur la moyenne historique de long terme. Son explosion actuelle remet sur le devant de la scène l’intervention nécessaire des autorités publiques (monétaires, budgétaires et réglementaires). C’est le passage obligé pour la purge de la bulle (des bulles ?) provenant de l’excès de dettes accumulées : cela devrait se traduire par un impact sur le potentiel de croissance, une dispersion accrue du consensus, une normalisation des politiques monétaires challengée par le non-conventionnel (quantitative easing), des taux capés par la révision de la croissance potentielle, le taux d’épargne et par la correction à venir des valorisations sur le marché des changes.
Les mesures massives du plan de sauvetage européen et l’effort fiscal considérable qui se prépare, sont apparus nécessaires pour stabiliser les marchés et faire baisser l’aversion au risque des investisseurs. Mesurée par les écarts de rémunération sur les obligations gouvernementales 10 ans contre le Bund allemand ou par les primes de CDS à 5 ans, le message est le même. La contagion du stress a été plus que significative sur la volatilité implicite des actions. Paradoxalement, en plus ce marché souffre (comme en 2008-09) de sa plus grande profondeur en termes de liquidité, comparé au marché obligataire qui est par nature décentralisé : ainsi l’indice VIX relatif au S&P 500 a plus que doublé par rapport à son plancher de fin avril pour atteindre le niveau des 42% (certes encore la moitié de ce qui a prévalu lors de l’épisode Lehman Brothers).
Capacité à encaisser des chocs de volatilité
Tout ceci démontre une plus grande interaction (corrélation) de ces paramètres et une sensibilité renforcée aux variables de dette (à la fois en niveau de ratio et en différentiel de déficits).
Un des nouveaux canaux de transmission de ces phénomènes de contamination du risque réapparaît et passe plus ou moins directement par les bilans bancaires, et ce d’autant plus que la liquidité est abondante et bon marché depuis 2008 et que la pente de la courbe pousse à la transformation. Dans cet environnement tendu ou incertain sur l’actif sans risque (Etats / entreprises), il est difficile de stimuler l’appétit au risque des épargnants via des flux de transfert sur les actions et les obligations privées malgré les niveaux de valorisation et la dynamique micro des résultats des entreprises.
Dans un contexte où la perception collective peut devenir irrationnelle (offre / demande) et où les marchés ne reflètent plus la réalité (valorisation / prix), le phénomène du stress de contagion si ce n’est de défiance est propice à se développer. Le mimétisme dans ces circonstances résulte de :
- l’élargissement du spectre des scénarios possibles et d’une balance des risques accrue (faillibilité des Etats)
- règles de gestion automatiques et donc amplificatrices des limites de risque (changement de notation par les agences de rating, VaR)
- de l’attrition simultanée de la liquidité (nombre d’intervenants ou règles d’encadrement des transactions comme l’interdiction désordonnée des ventes à découvert). Les doutes sur les capacités des banques centrales ont effectivement stérilisé les injections faites dans le système financier.
Les défis pour les placements européens
D’autant plus qu’actuellement l’appétit au risque en termes de placements se traduit par une préférence pour les produits de performance absolue dans un contexte qui doit intégrer des exigences accrues en terme de passif (y compris la liquidité et la solvabilité à court terme) ainsi qu’une volatilité exacerbée sur quelques classes d’actifs faisant perdre pour certaines d’entre elles leur pouvoir de diversification. Cela pouvant même se traduire par une perte de repères même sur les valeurs refuge (le traditionnel mouvement de flight to quality) à l’approche de situations potentiellement extrêmes.
Malgré les mesures innovantes des autorités monétaires à nouveau « non conventionnelles », les mesures comptables à venir (prudentielles ou créatives) et les rumeurs sur la suspension des méthodes de valorisation marked-to-market pour les dettes gouvernementales, le repricing du risque implique :
- au moins à court terme, une plus grande diversification géographique, une sélection de valeurs sensibles aux exportations et,
- à moyen terme, la prise en compte que les taux euro resteront bas plus longtemps et que la parité EUR/USD subira encore des pressions baissières.