par Jesus Castillo, Economiste chez Natixis (avec la participation d’Alice Beguier)
L’économie italienne continue de digérer le choc de la pandémie. Bien qu’elle n’ait pas retrouvé complètement son niveau d’avant crise, le rebond du T2 2021, poursuivi au T3, suggère une récupération rapide de l’activité économique tirée par la consommation et l’investissement privé.
Où en est la croissance ?
Après un premier confinement entre mars et début mai 2020, l’Italie enregistrait une chute inédite de son PIB de -13,1% T/T (-18,2% en GA) au T2 2020. Malgré les +16% de croissance trimestrielle enregistrés au T3 2020 – largement expliqués par un effet de base – le PIB s’est finalement contracté de -8,9% en 2020. LA reprise a stagné pendant le premier semestre 2021 en raison de la résurgence du nombre de contamination à la COVID 19. Ce n’est qu’à partir de l’été que la croissance s’est accélérée.
La reprise de l’activité italienne a été soutenue par les mesures engagées par le gouvernement dans son Plan National de Reprise et de Résilience (PNRR), l’avancée de la vaccination (au 17 novembre 2021 plus de 84% des plus de 12 ans ont complété leur cycle vaccinal) et l’extension du pass sanitaire à tous les travailleurs depuis la mi-octobre permettant de réduire les pressions sur le système de santé.
Au T3 2021, la croissance italienne a été estimée à +2,6% T/T (+3,8% en GA), tirée par la consommation intérieure et extérieure. L’expansion de la valeur ajoutée dans les secteurs des services (très affectés par la pandémie) et de l’industrie a contribué positivement à l’inverse du secteur primaire qui s’est contracté au T3 2021. L’acquis de croissance est évalué à +6,1% au T3 2021. A ce stade le détail des comptes nationaux n’a pas encore été publié.
Au T2 2021, le PIB a enregistré une hausse de +2,7% T/T (+17% en GA). La consommation privée a augmenté de +5% T/T (+14,4% en GA) et la FBCF de +2,6% T/T (+37,9% en GA). Ensemble, elles expliquaient environ 88% de la croissance du PIB du T2 2021 (Graphique 1). Avec la reprise de l’activité à l’échelle mondiale, le commerce extérieur a aussi contribué à la reprise économique, mais dans une moindre mesure (+2,5p.p.).
Du côté de l’offre, la paralysie des services en 2020 a fait chuter la valeur ajoutée brute (VAB) au plus fort de la crise dans des proportions inédites. Les services qui représentent environ les trois-quarts de la VAB italienne restent aujourd’hui encore en-dessous de leur niveau pré-Covid bien qu’ils aient fortement contribué à la reprise de l’activité économique au T2 et T3 2021. A la fin du T2 2021, seul le secteur de la construction a dépassé son niveau d’avant crise alors que les autres secteurs restent toujours en retrait.
Quelles perspectives à court-terme ?
La confiance dans l’industrie italienne (hors construction) s’est réaffirmée en octobre après une inflexion à la fin de l’été du fait de goulots d’étranglement paralysant les chaînes de valeur mondiales (pénuries de biens intermédiaires et retards d’approvisionnement). Néanmoins, ces difficultés continuent d’entraver l’activité des entreprises industrielles. Après un plus haut historique à 62,3 en mai 2021, le PMI manufacturier a oscillé autour de 60, c’est-à-dire à un niveau très élevé, contrairement à l’Allemagne, la France ou l’Espagne où l’indice a eu tendance à baisser depuis le mois de juin. Du côté des services, l’évolution a été un peu moins positive. Le PMI services est sorti à 52,4 en octobre contre 55,5 en septembre, restant néanmoins à des niveaux compatibles avec une croissance de l’activité.
En parallèle, la situation du marché du travail s’est améliorée. Après un pic à 10,1% en janvier 2021, le taux de chômage est revenu à 9,2% en septembre. Pendant l’été 2021, le secteur tertiaire a particulièrement bénéficié de l’assouplissement des restrictions ce qui s’est traduit par 251K nouveaux emplois par rapport au T1. Toutefois, les tensions récentes sur le marché du travail, notamment dans le secteur manufacturier, témoignent d’un potentiel désajustement entre offre et demande de travail.
Vers une croissance robuste en 2022
La croissance italienne comptera ainsi sur des facteurs robustes qui lui permettront d’atteindre +6,5% en 2021 et +4,9% en 2022 selon nos prévisions. Il s’agit de chiffres largement au-dessus des valeurs historiques et supérieurs aux prévisions de croissance pour la France et l’Allemagne en 2022.
De même que pour le T2 2021, l’investissement et la consommation des ménages devraient contribuer le plus fortement aux +3,8% de croissance du T3, respectivement de 1,6p.p. et 1,1p.p. selon nos estimations. En l’absence du détail des comptes, nous estimons la progression de la FBCF à +8,5% T/T au T3 2021, tirée par l’investissement en construction (+11,3% en GA et 2,5% T/T). Ainsi, la FBCF augmenterai de +16,7% cette année et de +8% l’année prochaine. La consommation privée devrait augmenter de +1,8% en GA au T3, ralentie par la flambée des prix. Le solde extérieur pèserait quant à lui négativement dans la croissance du PIB (-0,8p.p.). Les importations poursuivraient leur rattrapage après leur forte baisse du T3 2020, en ligne avec celui de la demande domestique. Notons que le rythme des échanges commerciaux devrait continuer de ralentir jusqu’à fin 2022.
En 2022, le policy mix devrait rester très favorable. La BCE maintiendrait une politique monétaire accommodante alors que la politique budgétaire resterait relativement expansionniste. En outre, en 2022 une part importante des fonds prévus pour l’Italie, dans le cadre du programme européen de relance et de résilience, devrait être dépensée (37,5 mds € sur les 203 mds programmés jusqu’en 2026. 25 mds € ont déjà pris en compte en 2021).
Des facteurs de risques restent néanmoins présents. Les pressions inflationnistes récemment apparues pourraient ralentir le retour de la consommation privée à son niveau d’avant crise. La montée de l’inflation jusqu’à 3,1% en octobre dernier (+1,7% prévu pour l’ensemble de l’année 2021) s’explique principalement par la flambée des prix de l’énergie (+23,4% en GA en octobre, +12,7% attendus pour 2021). Par ailleurs, les goulots d’étranglement qui exercent une pression sur l’offre commencent à exercer des pressions sur les prix à la production et pourraient également se transmettre aux prix à la consommation. Néanmoins, nous pensons que l’inflation devrait connaître un sommet à la fin de cette année avant de revenir vers des niveaux beaucoup plus faibles une fois que les principaux facteurs de hausse se seront dissipés. L’inflation retomberait à 0,5% en décembre 2022 après un sommet à plus de 3% fin 2021.
Par ailleurs, le calendrier politique avec l’élection du Président de la république prévue en début d’année 2022 pourrait également devenir une source de turbulences pour l’économie. Le paysage politique italien reste toujours très mouvant et souvent assez imprévisible. Ceci pourrait remettre en cause la paix acquise ces derniers mois par le gouvernement de Mario Draghi qui a la confiance d’une majorité des forces politiques (modérées) du pays.
Enfin, à l’instar des autres pays de la région, l’évolution de la pandémie restera une source d’incertitude très importante.
Des performances non négligeables à consolider…
Depuis le début de l’année 2021, l’économie italienne a fait preuve d’une résistance remarquable comparée à celle de ses pairs européens. Elle devrait atteindre une croissance de +6,5% cette année et encore +5% en 2022. Elle dépasserait ainsi les taux de croissance attendus en zone euro de +5,1% et +4,1% respectivement en 2021 et 2022. Ceci est suffisamment rare pour être remarqué. Malgré cette performance, de nombreux défis restent à relever en termes de réformes structurelles afin que l’Italie retrouve un potentiel de croissance plus élevé et puisse envisager les prochaines années plus sereinement, ne serait-ce que pour maintenir la solvabilité de sa dette publique.