France : faut-il augmenter les impôts ? Et quels impôts ?

par Jean-Christophe Caffet, économiste chez Natixis

Le gouvernement français s’est engagé sur une trajectoire pluriannuelle de finances publiques ramenant le déficit de l’ensemble des administrations (centrales, locales, et de sécurité sociale) à 3% du PIB en 2013 (8% en 2010). Afin d’y parvenir, le gouvernement entend agir principalement sur les dépenses (avec un objectif de croissance de 1% en volume pendant trois ans) et table sur un scénario de croissance très favorable où les recettes fiscales retrouveraient spontanément leur niveau pré-crise à l’horizon de prévision1. Si l’objectif défini en matière de dépenses nous semble tenable2, nous avons déjà exprimé notre scepticisme quant aux perspectives de croissance et de recettes fiscales3 : le choc sur l’économie française est durable et affecte son potentiel de croissance, au moins à court terme4.

Sauf à différer ses engagements, le gouvernement français devra donc avoir recours à une hausse – ou réforme – de la fiscalité, condition qui nous paraît nécessaire à la réalisation d’un objectif de résorption structurelle de l’ordre de cinq points de PIB en trois ans du déficit public. La question qui se pose alors est celle de l’existence (ou non) de marges de manœuvres fiscales. Dans la mesure où la France figure en tête des pays les plus « taxés »5, celles-ci peuvent paraître, au premier regard, très limitées. L’existence (ou l’absence) de marges de manœuvres fiscales ne dépend néanmoins pas uniquement des niveaux de PO relatifs entre économies. A quelques problèmes de définition (de périmètre) et de mesures près, ceux-ci renseignent en effet principalement sur les choix de société faits par les agents d’un pays (en terme de niveau de protection sociale notamment6). Surtout, ils ne montrent pas l’architecture des prélèvements, élément au moins aussi important que le niveau de PO pour appréhender l’attractivité et la compétitivité d’une économie.

La lecture des niveaux de taxation effectifs de la consommation, du travail et du capital suggère qu’il existe des marges de manœuvre côté consommation et capital7. Taxer davantage la consommation ne nous semble néanmoins pas opportun dans le contexte actuel : ce serait pénaliser lourdement le principal – sinon l’unique – moteur de l’économie française, alors que les destructions d’emplois se poursuivent, que les salaires ralentissent, que le soutien du revenu des ménages par le budget diminue8… Taxer davantage le capital nous semble en revanche possible, voire souhaitable. En tout cas rationnel et équitable : le taux de taxation effectif du capital est inférieur de plus de 15 points au taux de taxation du travail, tandis que le patrimoine (médian) des 10% des ménages ayant les revenus les plus élevés est 26 fois supérieur à celui des 10% des ménages ayant les revenus les plus faibles. Dit autrement : le patrimoine est à la fois sous-taxé (par rapport au travail) et sa détention très concentrée, tandis que ses revenus sont majoritairement épargnés (puisque captés, pour l’essentiel, par les ménages les plus aisés). L’avantage d’une hausse de la taxation du capital (du patrimoine) réside ainsi également dans le fait qu’elle réduirait significativement les incitations à épargner, condition nécessaire – dans le cadre théorique de la neutralité Ricardienne – au succès de l’entreprise de consolidation budgétaire.

Parmi les candidats à la taxation, nous pensons surtout au capital improductif, notamment l’immobilier via l’imposition des plus-values de cessions et/ou la taxation des successions9. Compte tenu de l’évolution des prix ces dix dernières années – et la vive reprise du marché observée actuellement – les rentrées fiscales liées à une taxation (progressive) des plus-values immobilières devraient être très significatives. Et ce d’autant que l’assiette paraît peu délocalisable10 et, d’une manière générale, la taxation de la rente peu distordante.

NOTES

  1. En termes de taux de prélèvements obligatoires (PO).
  2. Une performance similaire a été observée pendant la qualification à l’euro (1994-1998).
  3. Voir Flash n°2010-299 : « France : de la maîtrise des dépenses publiques à la hausse des prélèvements obligatoires ? »
  4. Et ce d’autant que la baisse programmée de certaines dépenses publiques ne sera pas sans impact sur l’activité : pour rappel, plus de la moitié des dépenses publiques alimente le revenu disponible des ménages (rémunérations, prestations et transferts sociaux).
  5. Avec un taux de prélèvements obligatoires supérieur de près de 8 points de PIB à la moyenne OCDE.
  6. Voir « Sens et limites de la comparaison des taux de prélèvements obligatoires entre pays développés », Conseil des Prélèvements Obligatoires (mars 2008).
  7. Voir Flash 2010-364 : « Si on veut réduire les déficits publics, vaut-il mieux accroître les impôts ou réduire les dépenses publiques ? »
  8. En termes purement redistributifs, une hausse de la taxation de la consommation ne nous parait pas non plus indispensable.
  9. L’immobilier représente près de 60% du patrimoine des ménages, et donc une part similaire des successions. Pour rappel, le taux de taxation effectif des successions est inférieur à 10%, tandis que moins de 40% de celles-ci font l’objet d’un paiement de droits (chiffres 2007).
  10. Argument systématiquement employé par les pourfendeurs de la taxation du capital.

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