par Didier Borowski, stratégiste chez Amundi Asset Management
Depuis quelques semaines, la conjoncture américaine montre des signes d’essoufflement. La publication des minutes de la Fed et de ses nouvelles projections macro-économiques, suivie, la semaine passée, par l’audition de Ben Bernanke devant le Congrès, ont conforté le scénario d’un ralentissement de l’activité outre-Atlantique. Il est clair que le sort du dollar, au moins à court terme, est intimement lié au calendrier de la politique monétaire américaine. Ainsi, une remontée “précoce” des taux d’intérêt de la Fed, dans la mesure où elle serait le fruit d’une demande interne vigoureuse et d’un repli du chômage, provoquerait selon toute vraisemblance une appréciation cyclique du dollar.
A contrario, un statu quo monétaire très prolongé outre-Atlantique finirait par peser sur le dollar, surtout si la reprise dans le reste du monde conduisait les autres banques centrales à normaliser leur politique monétaire plus vite que la Fed. Mais qu’en serait-il de l’impact d’une expansion monétaire supplémentaire de la Fed ? Sans doute pas la baisse du dollar attendue !
L’option du recours à la planche à billets pèse sur les taux d’intérêt…
La reprise s’annonce plus molle qu’attendu outre-Atlantique. Voilà quinze jours, les prévisions de croissance de la Fed ont été légèrement revues en baisse pour 2010. La Fed a par ailleurs revu en légère hausse sa prévision de taux de chômage et en baisse ses prévisions d’inflation pour 2011.
La semaine passée, Ben Bernanke est allé encore plus loin en soulignant le niveau d’incertitude inhabituellement élevé qui entoure les projections de la Fed, et en rappelant qu’il n’était pas exclu de renouer avec une politique monétaire quantitative si les conditions l’exigeaient. En creux, il s’agit ni plus ni moins que de refaire éventuellement tourner la planche à billets soit pour monétiser la dette publique, soit, ce qui est plus probable, pour remettre en place des programmes d’achats d’autres actifs (MBS notamment). Certes, Ben Bernanke a également tenu à rappeler la panoplie des mesures qui permettraient à la banque centrale de normaliser son bilan. Mais, compte tenu de la conjoncture, les marchés ont surtout retenu l’inquiétude du banquier central. Dans ces conditions, les taux d’intérêt déjà très faibles se sont légèrement repliés, le taux à deux ans tombant même sur son plus bas niveau historique (0,57%).
Mais doit-elle peser sur le dollar ?
Le dollar est également retombé sous pression au cours des 15 derniers jours, face à l’euro, au yen ou encore au sterling. D’un point de vue théorique, une création monétaire plus marquée dans un pays que dans le reste du monde est censée, toutes choses égales par ailleurs, générer un affaiblissement de la devise du pays concerné, en raison des risques d’inflation induits par une telle politique. Tout autre pays que les Etats-Unis qui annoncerait envisager une telle politique verrait immédiatement sa devise dévisser, ne serait-ce que par le jeu des anticipations. Mais du fait de son rôle central dans le système monétaire international, le dollar a de facto un statut particulier qui brise souvent les mécanismes traditionnellement à l’œuvre pour les autres devises.
Les marchés financiers américains sont restés, en dépit de la crise, les plus importants au monde. Le dollar est la monnaie de facturation dominante dans les échanges internationaux. Selon la BRI, il était utilisé dans 86% des transactions en 2007, soit à peine moins qu’en 2001 (90%). A titre de comparaison, sur un total qui fait 200% (chaque devise étant comptée deux fois), l’euro arrivait en 2007 en 2ème position (loin derrière avec 37%).
Il faudra attendre la publication du prochain rapport triennal de la BRI, fin 2010, pour voir si la crise financière a changé la donne. Il est toutefois fort probable qu’il confirmera ces ordres de grandeurs. D’une part, l’étude que vient de publier la BCE en juillet montre que la crise financière n’a pas altéré le rôle international de l’euro en 2009. On voit mal pourquoi le résultat serait différent pour le billet vert. Et ce d’autant plus que les banques centrales des pays émergents conservent l’essentiel de leurs avoirs en dollars. En outre, la faillite de Lehman Brothers a bien démontré que le dollar demeurait l’ultime valeur refuge.
Dans ces conditions, une expansion supplémentaire de la base monétaire de la Fed pourrait même s’accompagner d’une remontée du billet vert. En effet, il est clair que la Fed ne recommencerait à acheter des actifs en créant de la monnaie qu’en tout dernier recours (forte détérioration de la conjoncture outre-Atlantique, menaces déflationnistes). Ce scénario n’est pas à l’ordre du jour. Mais s’il devait se matérialiser, il est illusoire de croire que l’activité résisterait dans le reste du monde, que ce soit en Europe ou dans les grands pays émergents. La menace d’une rechute de la croissance mondiale s’accompagnerait inévitablement d’une remontée de l’aversion globale pour le risque, et par ricochet du dollar !
En d’autres termes, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le statu quo monétaire prolongé de la Fed lié à une conjoncture durablement atone outre-Atlantique serait bien plus dangereux pour le dollar que l’éventuel recours à la planche à billets qui résulterait d’une rechute de l’économie américaine.