Restez (dé)concentré

par  Florian Allain, Gérant actions chez Mandarine Gestion 

Le sujet de la concentration de la performance et de la composition des indices actions a fait l’objet d’une abondante littérature ces 18 derniers mois. Il est vrai que la progression exceptionnelle de Nvidia et, dans son sillage, des plus grandes sociétés de la technologie aux Etats-Unis a conduit à une configuration assez exceptionnelle où seules dix sociétés représentent plus du tiers d’un indice pourtant composé de 500 valeurs (le S&P 500). Particulièrement manifeste aux Etats-Unis, ce constat s’est également imposé, dans une moindre mesure, sur d’autres marchés développés comme l’Europe et le Japon.

Si la gestion passive se satisfait évidemment de cet état de fait, les gérants actifs, dont les portefeuilles par définition s’écartent de la composition de leur indice de référence, s’en désolent.

Une méthode simple pour analyser la concentration de la performance autour d’un petit nombre de grosses pondérations des indices revient à comparer la performance de chacun de ses composants avec la performance de l’indice. Lorsque très peu de sociétés affichent une surperformance, on a une configuration de marché dite concentrée. En temps normal, environ la moitié des composants d’un indice enregistrent une performance supérieure ou égale à celle de l’indice.

Si l’on regarde les marchés actions américains au premier semestre, seuls 25% des composants du S&P 500 parvenaient à afficher une performance supérieure à ce même indice, un niveau historiquement faible. En effet, sur les cinquante dernières années, seules 1998 et 2023 ont vu moins de 30% des composants du S&P 500 afficher une performance annuelle supérieure à celle de l’indice.

Au premier semestre en Europe, seuls 37% des composants de l’indice Stoxx 600 enregistraient une progression supérieure à l’indice. Ce chiffre est certes supérieur à celui des Etats-Unis mais il illustre la même polarisation des performances sur un petit nombre de grandes capitalisations boursières. 

Toutefois, le troisième trimestre, qui vient juste de s’achever, marque une nette rupture dans ce phénomène.

En effet, le pourcentage de sociétés qui parviennent à enregistrer une performance supérieure à l’indice auquel elles appartiennent est passé à 66% aux Etats-Unis et 63% en Europe.

Cet « élargissement » des performances est-il pérenne ? 

Les gérants actifs l’appellent évidemment de leurs vœux. Ils mettent généralement en avant la meilleure distribution de la croissance bénéficiaire à venir entre les sociétés cotées. Ainsi, aux Etats-Unis, les « magnificient 7 » affichaient une progression de leurs bénéfices de 50% au premier trimestre contre une légère baisse pour les 493 autres sociétés du S&P 500 (Q1 2024 vs Q1 2023). Le consensus table aujourd’hui sur une croissance à deux chiffres pour le quatrième trimestre pour ces deux segments de la cote. L’homogénéité de la hausse des résultats à venir appellerait donc à une plus grande harmonie dans les performances boursières, CQFD.

De la même manière, en Europe, les petites capitalisations à la traîne en matière de croissance bénéficiaire ces deux dernières années sont supposées afficher dès 2024 une plus forte progression de leurs résultats que les plus grandes capitalisations. Là-encore, ce rattrapage bénéficiaire doit s’accompagner d’une meilleure distribution des performances boursière selon les gérants actifs.

Cependant, c’est oublier un peu vite la problématique des flux qui se détournent globalement de la gestion active pour se porter en masse sur la gestion passive, à savoir les ETFs, qui répliquent la performance des grands indices boursiers dont la composition est généralement basée sur la capitalisation boursière des sociétés. Dès lors, les plus grosses sociétés cotées sont aussi celles qui bénéficient le plus de la réallocation des flux sur le marché des actions permettant ainsi d’entretenir leur surperformance.

Quel que soit votre point de vue sur l’évolution à venir de la concentration des marchés actions, un rappel utile : on ne construit pas un portefeuille d’investissement comme on construit un indice. En effet, un indice a pour unique but de représenter la performance d’un marché d’actions. L’objectif du gérant est de rechercher une combinaison efficiente d’actions afin d’optimiser le couple rendement-risque de son portefeuille en favorisant la diversification. Le S&P 500 affiche donc une performance enviable ces dernières années mais ça n’est pas une combinaison optimale d’actions … c’est du moins ce que Markowitz nous enseigne !