Zone euro : Le grand gradualisme de la BCE

par Guillaume Derrien, Economiste Zone euro, Grèce, Royaume-Uni — Commerce international chez BNP Paribas

La BCE garde la main. C’est le message général envoyé par Christine Lagarde lors de sa conférence de presse ce jeudi 12 décembre. Comme attendu, la BCE a abaissé ses taux directeurs de 25 points de base, pour la quatrième fois depuis le début de la détente monétaire en juin, portant ainsi le taux de refinancement à 3,5% et le taux de dépôt à 3,0%. Les prévisions d’inflation sont légèrement révisées à la baisse1 à 2,1% pour le headline et 2,3% sur le core en 2025, avant une convergence des deux mesures à 1,9% en 2026.

Moins restrictive. En supprimant du communiqué la référence au maintien de taux à un niveau «suffisamment restrictif pour aussi longtemps que nécessaire », la BCE adopte un ton ouvertement plus accommodant, mais elle ne relâche pas pour autant sa vigilance, face à des poches d’inflation encore élevées dans les services mais qui devraient, progressivement, se réduire en 2025. Sans surprise, les nouvelles projections de la BCE font état de révisions à la baisse sur la croissance en 2025 (1,1% contre 1,3% prévu en septembre) et 2026 (1,4% contre 1,5% précédemment), qui ne remettent toutefois pas en cause le scénario d’un léger renforcement de l’activité par rapport à 2024. Ces chiffres sont supérieurs à nos propres prévisions d’une croissance limitée et stable à 1,0% en 2025-2026 en moyenne annuelle. Contrairement à nos estimations, la BCE n’intègre pas les effets attendus des mesures protectionnistes aux États-Unis sur les échanges commerciaux (ce qu’a rappelé Christine Lagarde lors du Q&A).

Du contrôle, pas de proactivité. La BCE continue de privilégier une approche graduelle dans sa détente monétaire qui contraste avec les décisions prises cette semaine par la Banque du Canada et la Banque Nationale Suisse qui ont toutes les deux opté pour une baisse de 50 points de base de leur taux directeurs, portant ces derniers à, respectivement, 3,25% et 0,5%. La Fed avait également opté, lors de sa première baisse en septembre, pour une mesure plus large avec 50 points de base. Pour le Canada et la Suisse, le retour des taux d’intérêt vers le taux neutre est délibérément plus rapide qu’en zone euro, l’inflation en Suisse ayant notamment déjà reflué nettement sous la cible des 2%

Ce gradualisme assumé de la BCE lui permet de conserver des marges de manœuvre en cas de retournement plus marqué du cycle économique.

La productivité à la rescousse. La BCE fait par ailleurs le pari d’un rebond de la productivité par tête en 2025-2026 (+0,8% et +0,9%) qui peut paraître optimiste au vu de la tendance actuelle et des incertitudes sur la trajectoire des investissements en Europe. La nécessité d’une montée en puissance des investissements notamment liés au fond de relance européen ne fait pas de doute. Elle devrait même être accentuée pour renforcer l’attractivité de l’Europe et répondre à la hausse du protectionnisme et au risque d’une fuite de capitaux vers les pays à plus fort potentiel de croissance (les États-Unis en premier lieu). Si la trajectoire de désinflation à court terme n’est pas spécialement menacée, un redressement des gains de productivité permettrait également d’atténuer les tensions sur les coûts unitaire du travail et in fine sur l’inflation.

Quatre en 2024, quatre en 2025. Le scénario d’un rapprochement progressif de l’inflation sous-jacente de la cible des 2% reste à ce stade intact. Dans ce contexte, nous anticipons des baisses de taux de 25 pb lors de chaque réunion monétaire à venir, jusqu’à une stabilisation du taux de dépôt à 2,0% en juin 2025, un niveau correspondant au point médian de notre intervalle du taux neutre.

NOTE

1  -0,1 point de pourcentage sur le headline en 2025 et -0,1 pp pour le core (hors energy et alimentation) en 2026.