Longtemps, les investisseurs en bourse ont fait leur l’adage selon lequel « Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. » Pour signifier qu’il arrive un moment où les prix et les cours ne peuvent plus progresser, de même que l’eau ne peut plus aller de la racine à la couronne d’un arbre, empêchant une croissance sans fin. Ce qui est valable dans la nature ne semble plus l’être sur les marchés boursiers, en tout cas aux Etats-Unis. Depuis la fin de l’année 2009, à la sortie de la crise immobilière et financière, jusqu’à la fin de l’année 2024, le Dow Jones a bondi de 307%, le Nasdaq de 427% et le S&P500 de 751%. Cette performance est alimentée par l’envolée des entreprises technologiques, qui représente 40% de la valeur du S&P500, avec notamment Apple, Nvidia, Microsoft, Amazon, Alphabet, Meta et Tesla, surnommées « Les Sept Magnifiques », ainsi que Broadcom.
La tempête DeepSeek, du nom de cette nouvelle solution d’intelligence artificielle développée par une start-up chinoise avec infiniment moins d’argent que les applications américaines, a pu laisser croire qu’une correction arriverait enfin sur les marchés boursiers. Or, après une baisse brutale sur une journée, les indices américains ont rebondi plus ou moins fortement. Une surprise car l’immense majorité des spécialistes considère que les marchés boursiers sont survalorisés. Le ratio cours/bénéfice global est de l’ordre de 27 fois contre 70 fois pour le compartiment technologique.
Si l’on prend le ratio cours/bénéfice Case-Shiller, qui divise le prix du S&P500 par les bénéfices moyens des sociétés membres de l’indice au cours des 10 dernières années afin de réduire l’impact des écarts, il est aujourd’hui autour de 37 contre 41,7 en 2000, au moment de la bulle Internet.
La bourse valorise les anticipations et prend en compte la croissance des bénéfices des entreprises, les taux d’intérêt et l’inflation. Au vu de ces seuls éléments, la correction aurait dû intervenir depuis plusieurs années aux Etats-Unis, qui demeurent le marché directeur pour le reste du monde. Cela ne s’est pas produit en raison de la distorsion induite par les valeurs technologiques et aussi par l’humeur des investisseurs. Il ne faut pas oublier que les fonds de pension qui versent les retraites des Américains placent leurs cotisations sur les marchés et tout le monde a intérêt à ce que « l’effet richesse » se maintienne. Si la bourse chute, le niveau de vie des habitants s’en ressent immédiatement et toute la machine économique se grippe. Mais la situation actuelle s’apparente à une forme de cavalerie, les marchés américains aspirant l’épargne mondiale pour rémunérer leur population. Cette tendance ne peut pas durer malgré les promesses de Donald Trump, réélu à la Maison Blanche, avec quatre ans dans l’opposition. Les décisions populistes comme la chasse aux migrants, les taxes douanières ou le démantèlement des régulations protégeant les citoyens et l’environnement vont avoir un impact négatif sur la croissance américaine. De quoi provoquer une chute des marchés boursiers. A quelle échéance ? Nul ne peut le dire. Les plus optimistes pensent que cela n’arrivera pas avant deux ans. Mais, comme l’a montré l’épisode DeepSeek, il suffira d’un petit événement à l’autre bout du monde pour enclencher la mécanique. Donald Trump, qui se présente comme l’envoyé de Dieu, et ses fidèles découvriront que malgré les rodomontades il y a une vérité impossible à contester : les arbres ne montent pas jusqu’au ciel.