par Lucas Meric, Investment Strategist chez Indosuez Wealth Management
Le mois dernier, nous soulignions que 2025 devrait être une année volatile pour les devises ; une hypothèse rapidement confirmée par les premiers pas de Donald Trump à la Maison Blanche avec un défilé ininterrompu d’annonces de taxes douanières qui a continué à sup- porter le billet vert, et ce malgré le très fort rallye enregistré depuis l’élection, profitant par la même occasion à l’or qui poursuit son irrésistible ascension.
TRUMP : « THE NOISY ART OF THE DEAL(1) »
Lors de son audition devant le Congrès début janvier, le secrétaire du trésor américain Scott Bessent déclarait que les taxes douanières devaient être considérées sous trois aspects :
- remédier aux pratiques commerciales déloyales ;
- la génération de revenus publics ;
- un outil de négociation. Sur ce dernier point, les États-Unis entretiennent depuis des décennies des déficits commerciaux significatifs, rendant de nombreux pays très dépendants aux exportations vers les États-Unis qui représentent par exemple près de 20 % du PIB du Canada (25 % pour le Mexique). Dans ce contexte, les taxes douanières constituent un formidable levier de négociation afin d’obtenir des accords économiques et politiques, notamment pour un homme d’affaires tel que Donald Trump, dont l’un des livres les plus célèbres s’intitule : « L’art de la négociation », ni plus ni moins.
Les taxes douanières, plus de bruit qu’autre chose ? C’est en tout cas ce que semblent aujourd’hui jouer le marché des devises avec un dollar qui, malgré des hausses temporaires sur certaines annonces tarifaires courant janvier, a depuis peiné à avancer davantage, symbole d’une part du nombre important de facteurs positifs déjà intégrés, mais également d’une certaine fatigue des investisseurs dont les réactions limitées aux annonces tarifaires de Donald Trump depuis quelques semaines se reflètent dans une baisse de la volatilité des devises. Bien que nous continuions d’anticiper qu’au-delà de toutes les annonces de Trump sur les taxes douanières, son approche de politique commerciale devrait rester mesurée pour ne pas faire resurgir l’inflation, nous pensons que la menace tarifaire devrait continuer à supporter le dollar.
En effet, au milieu du bruit permanent créé par les discussions sur les taxes douanières, s’intéresser à la tendance de long terme nous semble particulièrement pertinent. Notamment, l’objectif affiché de Donald Trump est clair : revitaliser l’industrie américaine. Dans cette quête, les taxes douanières représentent un atout à différents égards : en incitant les entreprises à produire sur le sol américain plutôt qu’à l’étranger en raison de la perte de compétitivité des exportations étrangères due aux taxes américaines à l’importation, les protégeant ainsi de la concurrence internationale mais également en représentant une source de financement supplémentaire pour les baisses de taxes aux entreprises censées attirer les entre- prises internationales. Les taxes douanières étant par ailleurs vues par Donald Trump comme un moyen de réduire les déficits commerciaux et de rendre l’équilibre des tarifs bilatéraux plus équitable pour les États-Unis.
Seul hic, la contrepartie de cette stratégie se reflète dans une hausse du dollar qui se situe aujourd’hui en termes réels à des niveaux historiquement élevés (graphique 4, page 11) et représente un véritable frein pour les exportateurs américains. Il est probable que dans cette stratégie de long terme, le twist final trouve sa source dans une sorte d’accord de dévaluation du dollar américain, comme en 1985 avec les Accords du Plaza, même si dans une économie mondiale aujourd’hui plus polarisée que dans les années 80, ce type d’accord pourrait s’avérer plus complexe à obtenir. Dans cette optique, le spectre tarifaire pourrait représenter de nouveau un levier de négociation pour Donald Trump, au même titre que la menace de retirer l’aide militaire américaine sur le plan international.
OR : STAIRWAY TO HEAVEN(2)
À plus court-terme, nous continuons cependant de privilégier le billet vert qui devrait également rester supporté par la résilience de l’économie américaine et représente une couverture attractive contre le risque de mesures plus agressives de Donald Trump, sur le plan tarifaire mais aussi fiscal. Plus généralement, nous gardons une préférence pour les couvertures macroéconomiques. Notamment, nous ne sommes pas sûrs que « tout ce qui brille est d’or », mais le métal jaune continue lui bel et bien à briller avec une ascension ininterrompue de 12 % depuis l’investiture de Donald Trump, supporté par les facteurs structurels qui nous décrivions dans notre Global Outlook 2025 (Un monde en transformation) et notamment la demande toujours abondante des banques centrales ayant acheté plus de 1 000 tonnes d’or en 2024, pour la troisième année consécutive.
La Banque populaire de Chine a par ailleurs repris ses achats d’or après une brève pause en 2024, tandis que les autorités chinoises ont autorisé les assureurs domestiques à investir jusqu’à 1 % de leurs actifs dans l’or. Les sources de demande pour le métal jaune restent ainsi plus que jamais présentes et le regain de tensions géopolitiques lié à une approche de Donald Trump mêlant menaces tarifaires et opposition frontale n’a fait que renforcer l’attractivité de l’or en tant qu’actif de couverture alors que de nombreux pays émergents cherchent déjà depuis plusieurs années à s’émanciper des États-Unis et du dollar. Les premières semaines de 2025 ont donné lieu à une véritable ruée vers l’or, ce dernier dépassant les 2 900 dollars l’once début février. En effet, la crainte que les taxes douanières viennent à toucher également l’or a incité de nombreux investisseurs à importer massivement de l’or vers les États-Unis tandis que les retraits d’or à la Banque d’Angleterre ne se comptent désormais plus en jours mais en semaines voire mois. Avec un positionnement sur l’or qui apparaît aujourd’hui élevé, une telle frénésie peut interroger sur le potentiel de hausse supplémentaire de l’or. Cependant, la combinaison d’une demande toujours vigoureuse des banques centrales, d’un contexte géopolitique et économique incertain et d’une poursuite des baisses de taux de la Fed devrait continuer à supporter le métal jaune, qui pourrait cependant s’avérer plus vulnérable si la dynamique d’inflation américaine venait à entra- ver le cycle d’assouplissement monétaire ou dans l’optique d’un cessez-le-feu en Ukraine, qui pourrait par ailleurs représenter un catalyseur positif pour l’euro pour lequel de nombreuses mauvaises nouvelles semblent actuellement déjà intégrées.
NOTES
1 – L’art bruyant de la négociation.
2 – En français: Escalier vers le ciel.