Des dégâts persistants

par Chris Iggo, CIO for Core Investments chez AXA IM

Si les concessions temporaires en matière de droits de douane accordées par l’administration américaine le 9 avril dernier ont modifié la répartition du choc commercial mondial, la moyenne pondérée des droits de douane américains au début du mois de mai 2025 devrait s’élever à 25 %, soit dix fois son niveau observé « pré-Trump ».

Compte tenu de la part de la consommation américaine directement ou indirectement liée aux importations, cela devrait se traduire par un choc d’environ 2 % sur le Consumer Price Index (CPI). Si les consommateurs américains devraient bénéficier d’une baisse des prix du pétrole – réaction habituelle lorsque le marché anticipe un ralentissement de la demande mondiale – celle-ci devrait être compensée par la dépréciation du dollar… à moins d’une issue rapide et très positive des négociations commerciales, les Etats-Unis devraient frôler la récession dès le second semestre 2025.

La prise de conscience des conséquences très rapides de ces annonces devrait entraîner d’autres inflexions dans les positions de la Maison Blanche. Si les droits de douane finaux seront vraisemblablement inférieurs à ceux annoncés le mois dernier, l’incertitude persistante devrait peser sur les dépenses d’investissement des entreprises, les conditions financières et la consommation et pourrait entraîner une réduction des investissements des entreprises de 3 à 6 %, tandis que la détérioration de la confiance des consommateurs se poursuit à plein régime.

Les investisseurs s’étaient habitués à une machine politique lente et relativement prévisible aux Etats-Unis. Une banque centrale indépendante constitue une limite naturelle aux réorientations budgétaires excessives et aux politiques non-soutenables économiquement. Du point de vue de l’administration américaine actuelle, cette structure mène à la paralysie, à un moment où la concurrence avec la Chine exige un pouvoir exécutif plus agile. Cependant, le coût d’une telle liberté d’agir du gouvernement, avec une forte capacité d’action du président, engendre des changements et des signaux politiques plus radicaux. L’administration américaine aura de nombreuses occasions de modérer son ton et de revenir à une politique plus traditionnelle. Mais nous pensons que des dommages tangibles sur l’économie américaine, et par conséquent sur l’économie mondiale, se matérialiseront au préalable.

Des impacts durables ?

Il est encore difficile de déterminer si le changement d’attitude des investisseurs à l’égard des États-Unis est temporaire ou durable. Il est évident que leurs préférences ont été affectées par les positions extrêmes du président Trump en matière d’alliances politiques et commerciales. Si la baisse générale de la valeur du dollar américain depuis le début d’année suggère un impact sur les allocations d’actifs, il n’est cependant pas certain que les portefeuilles internationaux sous-pondèrent durablement les actifs libellés en dollars américains.

Ainsi, le poids des actifs américains dans les indices mondiaux rend difficile une réduction substantielle de l’exposition dans le cadre des limites de risque existantes. A titre d’exemple, le poids des actions américaines dans l’indice MSCI World est de 72 %, tandis que les sept valeurs technologiques américaines dites « Magnificent Seven » représentent 20 % de ce même indice. Sur la partie obligataire, les Etats-Unis représentent 54 % de l’indice ICE Global Bond Market. Le dollar est la monnaie de réserve mondiale et, en raison du déficit commercial des Etats-Unis, le reste du monde est « long dollar ». Il est donc peu probable que l’on assiste à une réduction substantielle de la pondération des actifs américains. Cependant, le fait même que ces actifs représentent des pondérations aussi importantes crée la possibilité que des réductions, même modestes, des allocations aient des effets importants sur la fixation des prix du marché.

Compétition

L’incertitude actuelle autour de la politique commerciale américaine pourrait s’estomper au cours des prochains mois et l’orthodoxie politique faire son retour. En attendant, une période de réduction des allocations aux actifs américains pourrait s’avérer pertinente pour les investisseurs. Après tout, les actions américaines sont relativement chères depuis un certain temps et ont surperformé. Aujourd’hui, les marchés européens pourraient offrir un potentiel de hausse attractif compte tenu du recentrage des priorités budgétaires de l’Union Européenne vers la sécurité et les infrastructures. En outre, l’hégémonie que les entreprises américaines semblaient détenir en matière d’intelligence artificielle a été remise en question par de nouveaux acteurs en Europe et en Asie. L’impasse politique entre les Etats-Unis et la Chine restreint les activités des entreprises technologiques américaines dans ce pays et incite les concurrents chinois à se développer rapidement.

Sur la partie obligataire, les rendements des bons du Trésor sont similaires aux niveaux observés en début d’année, mais la volatilité est plus élevée. Les investisseurs en obligations du Trésor américain doivent faire face à des risques réels, notamment la hausse de l’inflation américaine résultant des droits de douane, des pressions politiques potentielles sur la Fed, de la détérioration des perspectives budgétaires et de la menace d’une réduction des avoirs en bons du Trésor par d’autres investisseurs étrangers. Si nous ne prévoyons pas que la Chine accélère rapidement la réduction de ses avoirs en bons du Trésor, Pékin a toutefois les cartes en main pour menacer de le faire. Pour les autres investisseurs, conserver leur capitaux sur les marchés obligataires de leur propre devise pourrait être une option plus sûre. En Europe, la sollicitation des capitaux nationaux est croissante pour financer l’augmentation des émissions d’obligations nécessaires pour stimuler la croissance et la sécurité européennes.

L’optimisme n’est pas de mise pour le dollar

Les annonces d’une potentielle mort du dollar sont évidemment prématurées. Le monde continuera à détenir des actifs en dollars et il n’existe aucune alternative viable à court terme à la devise américaine en tant que monnaie de réserve. Un changement de régime qui verrait l’euro ou le renminbi utilisés plus largement dans les échanges et les investissements internationaux ne se produira pas du jour au lendemain, bien qu’un système monétaire mondial plus équilibré pourrait émerger à long terme. Cependant, le besoin permanent de capitaux étrangers pour financer le déficit américain dans un contexte d’incertitude politique et de dynamique budgétaire de plus en plus instable signifie que des primes de risque plus élevées sur les actifs américains – et une valeur encore plus faible du dollar – seront probablement nécessaires.

Les Etats-Unis abritent des entreprises de premier plan à l’échelle mondiale. Les investissements dans les technologies, les data centers et la production d’énergie renouvelable resteront importants. Ce sont ces secteurs – et non le mythe d’un retour de l’industrie manufacturière – qui devraient générer les meilleurs rendements et soutiendront la productivité supérieure des Etats-Unis. Mais les dernières semaines ont bouleversé l’ordre établi. Le monde doit réagir à une administration américaine moins coopérative et les investisseurs doivent adapter leurs portefeuilles en conséquence. Les facteurs sentimentaux et techniques ont influencé les récentes évolutions du marché, mais ce sont les tendances macroéconomiques et les valorisations qui détermineront les futures décisions en matière d’allocation d’actifs. À cet égard, la situation des Etats-Unis ne semble pas particulièrement favorable dans un avenir prévisible.

Et des risques subsistent. Trump est en effet revenu sur ses positions les plus dures en matière de droits de douane et a modéré ses propos à l’égard du président de la Fed. Mais son imprévisibilité et sa tendance à recourir à des positions rhétoriques extrêmes en matière de politique économique pourraient de nouveau entraîner des réactions négatives sur les marchés. Si la croissance mondiale s’affaiblit, les rendements des investissements devraient être plus faibles au cours des deux prochaines années. Dans ce contexte, il est essentiel d’atténuer les risques. D’un point de vue macroéconomique, les Etats-Unis constituent une source majeure de risques.