Par Marcela Meirelles, Stratégiste chez Amundi Asset Management
« Le Brésil aspire au changement (…) qui favorisera le développement économique qui nous fait défaut et la justice sociale que nous souhaitons tant. Il existe dans notre pays une puissante volonté populaire de mettre un terme au cycle politique et économique actuel. » – Luiz Inácio Lula da Silva, 22 juin 2002.
Cette citation était l’entrée en matière de la « Lettre au peuple brésilien » adressée par le Président Lula aux électeurs quelques mois avant l’élection présidentielle de 2002 au Brésil. Cette lettre est considérée comme le tournant de l’élection, Lula ayant fait part de son intention de continuer à appliquer une politique budgétaire et monétaire prudente.
Lula a dès lors cessé d’être le gauchiste peu diplômé qui pouvait mettre en péril la victoire difficile du Brésil contre l’hyperinflation. Il a commencé à apparaître comme le leader qui pourrait accroître les richesses et les redistribuer, ce qu’aucun ancien président brésilien ne pouvait sérieusement revendiquer. Dans une large mesure, Lula s’est montré à la hauteur de cette attente.
Le Brésil a tiré profit de ses richesses
Nous pensons que Lula a joué de chance et fait preuve d’une grande intelligence politique. Il a hérité d’une économie dont la monnaie, le real, était encore beaucoup plus faible face au dollar américain qu’au moment des attaques spéculatives avant 1999. Le Brésil affichait une croissance très modeste après la récession aux Etats-Unis en 2001 et la faillite de l’Argentine. Malgré ces difficultés, il est vrai aussi que Lula a hérité d’une inflation inférieure à 10% et d’une économie plus compétitive, grâce à la réduction des obstacles au commerce et de la privatisation de nombreuses entreprises publiques peu performantes pendant les années 1990. Il a en outre eu la chance d’être aux commandes du pays pendant l’accession de la Chine au statut de superpuissance mondiale. Le Brésil, qui dispose de ressources naturelles abondantes, a pu satisfaire le grand appétit de la Chine pour les matières premières, ce qui s’est traduit par des gains conséquents des termes de l’échange pour le Brésil, puisque le prix de ses exportations a augmenté par rapport à celui de ses importations. Par conséquent, si les exportations de matières premières représentent seulement 5 % du PIB du Brésil, l’essor des matières premières a entraîné une progression du revenu réel et une appréciation de la monnaie, ce qui a dopé les importations de biens d’équipement et l’investissement national.
Dilma Rousseff n’est pas Lula
La réussite du gouvernement Lula tient aussi à la gestion habile par le Président des luttes de pouvoir au sein de son cabinet et avec les alliés politiques et l’opposition. L’administration brésilienne est composée d’un président influent mais d’un gouvernement fragile en termes de représentation au Congrès. Lula était doué pour obtenir le consensus et a joué un rôle majeur dans le maintien des objectifs budgétaires et d’inflation orthodoxes hérités du gouvernement Cardoso, et ce malgré le sentiment croissant de frustration chez les militants plus à gauche de son propre parti, le PT. Nous pensons aujourd’hui que la nouvelle administration bénéficiera d’une meilleure représentation du PT au Congrès mais aura un Président moins puissant.
Le successeur désigné de Lula, son ancienne chef de cabinet Dilma Rousseff, ne possède ni le charisme ni l’autorité au sein de son parti pour réitérer les succès politiques de Lula. D’une part, Dilma Rousseff accèdera à la présidence à un moment où les économistes locaux prédisent pour la plupart des risques inflationnistes élevés à court terme et où la Banque centrale est considérée comme favorable à un assouplissement de sa politique. D’autre part, le gouvernement a déjà nettement revu à la baisse ses objectifs budgétaires. Par conséquent, les conditions semblent réunies pour que des voix à l’intérieur du PT et parmi les alliés politiques plaident en faveur d’objectifs budgétaires et d’inflation moins stricts.
La vision de Dilma Rousseff de l’avenir du modèle de développement du Brésil suscite aussi l’inquiétude, en particulier la préférence présumée pour un Etat plus fort et disposant d’un droit de regard plus étendu sur l’affectation des capitaux. En effet, pendant la période où Dilma Rousseff était Ministre des Mines et de l’Energie, elle a joué un rôle décisif dans les efforts déployés par l’administration pour repenser la réglementation brésilienne en matière d’exploration et de production de pétrole afin de réserver une participation plus importante au gouvernement et à la compagnie pétrolière publique Petrobras. Plus récemment, la banque de développement publique BNDES a non seulement créé la surprise en étoffant son portefeuille de crédits mais a aussi financé des fusions et acquisitions très médiatisées, y compris des rachats de sociétés étrangères.
Les défenseurs de ces politiques affirment que le Brésil se contente de suivre la tendance mondiale, marquée par un soutien important des pouvoirs publics et/ou leur participation dans des entreprises de secteurs stratégiques. Les détracteurs font quant à eux valoir que le financement de ces mesures peut être très coûteux, en particulier dans un pays où le gouvernement continue à emprunter à court terme à des taux supérieurs à 10%.
Mais Dilma Rousseff pourrait avoir autant de chance que Lula. Elle dirigera un pays dont la croissance sera supérieure ou égale à 7% cette année et qui a connu une récession peu prononcée et de courte durée en 2009. Durant les huit premiers mois de l’année, le Brésil a créé 1,95 million de nouveaux emplois– un record – et le taux de chômage se situe à un plus bas historique de 7%. Le secteur immobilier est en plein essor grâce à une meilleure protection des créanciers, au développement de la titrisation, à la baisse des taux d’intérêt et aux investissements liés à la Coupe du monde de 2014 et aux Jeux Olympiques qui seront organisés à Rio en 2016. Ainsi, tous ceux qui attendent l’éclatement d’une bulle devront se montrer extrêmement patients.