par Jésus Castillo, économiste chez Natixis
Avec le creusement des déficits publics et l’accroissement de la dette, la question du niveau d’endettement des secteurs public et privé a été posée en termes de solvabilité et de soutenabilité. Nous abordons ici la question de l’endettement de l’Espagne sous l’angle de l’utilisation de la dette. Nous nous demandons ce que l’accroissement de la dette a permis de financer et quelles seront les conséquences de la réduction de la dette sur le financement de l’économie. Nous tentons ainsi de distinguer la « bonne dette » de la « mauvaise dette ».
Nous constatons que la substitution de la dette publique à la dette privée a permis d’amortir les effets de la crise sur la croissance du PIB. Mais les dettes publique et privée ne sont pas parfaitement substituables car elles ne financent par les mêmes types de dépenses, notamment en termes d’investissement productif. Enfin, il apparaît que l’endettement du secteur privé a servi à financer des investissements dans des actifs non directement productifs (l’immobilier résidentiel) dans des secteurs d’activités qui sont aujourd’hui en crise.
D’où viennent les besoins de financements ?
Le besoin de financement extérieur de l’Espagne a été multiplié par plus de trois entre 2000 et 2008. Ainsi, l’Espagne affichait en 2009 le deuxième déficit courant le plus élevé au monde (77,3 mds USD) après celui des Etats-Unis (420 mds USD).
La décomposition du besoin de financement par secteur montre :
- un déséquilibre entre épargne et investissement chez les ménages entre 2002 et 2008 lié à l’achat de logements ;
- un besoin de financement chronique des sociétés non-financières en raison de leur faible taux d’autofinancement jusqu’à la crise ;
- une réduction du besoin de financement des administrations publiques (APU) jusqu’en 2007, avec la réduction de la dette publique et même l’apparition d’excédents budgétaires entre 2005 et 2007 ;
- une capacité de financement chez les institutions financières, conformément à leur vocation d’intermédiaire financier (transformation des dépôts collectés en prêts).
L’évolution récente (depuis 2008) montre une réduction du besoin de financement total de l’économie avec trois éléments particulièrement notables :
- la substitution de l’endettement public à l’endettement privé ;
- la forte réduction des besoins de financement des entreprises qui ont fortement redressé leur capacité d’autofinancement ;
- la forte remontée de l’épargne des ménages en même temps que l’arrêt de leurs dépenses d’acquisition de logements.
Quelle est la nature de la dette ?
Les ménages se sont fortement endettés pendant la période 2003-2007 ce qui a généré une bulle sur le marché de l’immobilier résidentiel. La dette accumulée a été utilisée à l’achat de logement et dans une moindre mesure à la consommation via l’équipement du logement.
1. la dette des ménages se concentre sur le logement
Nous voyons qu’il y a désendettement des agents privés (ménages, entreprises) et substitution de la dette publique. Nous nous interrogeons sur les conséquences de cette substitution en termes de croissance future.
Les conséquences du désendettent des ménages pour l’ensemble de l’économie sont :
- une réduction très forte du poids de l’activité de construction résidentielle dans le PIB alors que celle-ci avait apporté en moyenne 0,5 point de croissance dans la période 2003-2007 ;
- la baisse de l’emploi dans la construction et les activités liées au cycle immobilier: construction, intermédiation financière, vente de biens d’équipement du logement.
2 – l’arrêt de l’investissement des entreprises
Du côté des entreprises, le processus de désendettement s’est traduit depuis deux ans par un fort recul de l’investissement. Selon l’enquête du Ministère de l’industrie espagnol (MITYC) les entreprises devraient continuer de réduire leurs dépenses d’investissement en 2010.
Le comportement des entreprises en termes d’investissements directs étrangers (IDE) est également marqué par un fort recul. Les IDE entrants ont été divisés par 10 depuis début 2008 alors que les investisseurs espagnols à l’étranger sont en train de désinvestir. En avril 2010, le cumul annuel des IDE espagnols était négatif de près de 11 mds € (-6,9 mds en juin 2010) alors qu’il avait atteint jusqu’à 100 mds début 2008.
Le processus de désendettement des entreprises se traduira par une moindre accumulation du capital. Or, l’augmentation du stock de capital au cours des quinze dernières années explique près de la moitié du potentiel de croissance qui a prévalu sur cette période1.
Les entreprises ont eu principalement recours à la dette dans des secteurs qui sont aujourd’hui gravement en crise.
3 – la nature des investissements publics
La question qui se pose est de savoir si la substitution de la dette publique à de la dette privée est de nature à remplacer les dépenses productives qui soutiennent la croissance à long terme.
Entre 2007 et 2009, le creusement des déficits s’est traduit par une augmentation de la dette publique de 178 mds €, soit 17 points de PIB. Cette hausse a été supérieure à la baisse de la dette nette du secteur privé sur la même période (-8,5 points de PIB). Néanmoins, la hausse des dépenses de l’Etat provient de l’augmentation des dépenses de transferts sociaux (via les stabilisateurs automatiques). Au contraire, les dépenses d’investissement de l’Etat sont en baisse. De plus, les investissements publics ne correspondent pas uniquement à des investissements directement productifs tels que les réalisent les entreprises. La substitution de l’investissement public à de l’investissement privé est donc loin d’être équilibrée.
Synthèse : la « mauvaise dette » chasse-t-elle la« bonne dette » ?
Nous avons vu que la dette privée et la dette publique ne sont pas complètement substituables car elles ne financent pas le même type de dépenses, notamment en termes d’investissements productifs. A court terme, la hausse de l’endettement public qui résulte du creusement des déficits permet de soutenir la demande. A moyen terme, si la dette publique finance davantage des dépenses de stabilisation (soutien à l’économie, prime à la casse, indemnisation du chômage, …) au détriment de l’investissement, alors l’accumulation plus lente du capital constituera un frein à la croissance potentielle.
D’un autre côté la décomposition du taux d’investissement privé par type d’actifs montre en Espagne :
- un surinvestissement en logements et en construction comparé au reste de la zone euro ;
- un sous investissement en machines ;
- un sur-investissement en matériel de transport.
Si l’on considère qu’il y a eu excès d’endettement des entreprises et d’investissement dans des activités qui sont aujourd’hui sinistrées, alors la réduction de leur dette est un mal nécessaire pour réduire la « mauvaise dette » du secteur privé.
NOTES
- Flash 2009-299 « Espagne : la croissance peut-elle retrouver son niveau d’avant crise ? »
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