par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
- Les nouvelles mesures de rigueur budgétaire annoncées par le gouvernement portugais devraient permettre de ramener le déficit public aux alentours de 5% du PIB en 2011, un niveau proche de l'objectif officiel.
- Toutefois, plusieurs facteurs de risque demeurent sur le plan politique, budgétaire et macroéconomique. Nous tablons sur une nouvelle contraction du PIB au deuxième semestre 2010, avant une stabilisation en 2011.
- Malgré ce contexte difficile, le pays nous semble en mesure d'assurer la soutenabilité de sa dette, à condition que l’effort de consolidation budgétaire soit poursuivi au-delà de l'année prochaine. Les émissions brutes de dette publique devraient toutefois rester élevées au cours des cinq prochaines années.
par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
- Les nouvelles mesures de rigueur budgétaire annoncées par le gouvernement portugais devraient permettre de ramener le déficit public aux alentours de 5% du PIB en 2011, un niveau proche de l'objectif officiel.
- Toutefois, plusieurs facteurs de risque demeurent sur le plan politique, budgétaire et macroéconomique. Nous tablons sur une nouvelle contraction du PIB au deuxième semestre 2010, avant une stabilisation en 2011.
- Malgré ce contexte difficile, le pays nous semble en mesure d'assurer la soutenabilité de sa dette, à condition que l’effort de consolidation budgétaire soit poursuivi au-delà de l'année prochaine. Les émissions brutes de dette publique devraient toutefois rester élevées au cours des cinq prochaines années.
- Nos stratégistes taux tablent sur un resserrement des spreads de taux souverains pour la majorité des pays de la périphérie, le Portugal a peu de chance de se distinguer en termes de performances relatives.
Les récentes informations en provenance des pays de la zone euro, globalement positives, ont conduit à un rétrécissement des spreads et des CDS des pays de la périphérie. Fin septembre, le Portugal a notamment annoncé de nouvelles mesures d'assainissement budgétaire destinées à ramener le déficit public du pays à son objectif initial de 7,3% du PIB en 2010 et à 4,6% en 2011. Cette décision est toutefois le résultat d’une pression considérable du marché et des autres pays de l'UE.
Bien que ces mesures nous paraissent bien ciblées et équilibrées entre baisses des dépenses et augmentations d'impôts, le parti d'opposition (PSD) n'a toujours pas officiellement apporté son soutien au budget 2011 et a précisé qu'il voterait contre toutes nouvelles hausses d'impôts. La majorité des observateurs considèrent que le PSD devrait s'abstenir, mais la présentation formelle du budget le 15 octobre n’est pas dénuée de risques.
A court terme, l'autre facteur de risque majeur vient de ce que le Portugal pourrait rater son objectif de réduction du déficit public cette année. A ce jour, les statistiques mensuelles sur les déficits des administrations centrales confirment que le Portugal est le pays de la zone euro le moins bien positionné de ce point de vue. Une situation imputable, tout au moins en partie, à une mise en œuvre relativement tardive des mesures d'austérité. Nous anticipons une amélioration d'ici à la fin de l'année, mais le gouvernement pourrait avoir à prendre des mesures exceptionnelles comme le transfert d'actifs des fonds de pension de Portugal Telecom. A plus long terme, les risques d'insolvabilité nous paraissent limités en dépit d'un contexte macroéconomique peu porteur. Notre analyse de la soutenabilité des finances publiques du pays suggère que le ratio de dette publique sur PIB peut être ramené en deçà du seuil de 90%, à condition que les efforts de consolidation soient poursuivis au-delà de l'année prochaine.
D'une manière générale, nous restons confiants dans la capacité du gouvernement à atteindre ses objectifs en matière budgétaire. Toutefois, le fait qu'il ait potentiellement besoin de recourir à des mesures exceptionnelles pour compenser des dépenses publiques en hausse soulève des interrogations au sujet des objectifs budgétaires à plus long terme. En outre, les risques sur l’activité nous semblent orientés à la baisse en 2011 (nous tablons actuellement sur une contraction de 0,1% du PIB en 2011).
Dans cette étude, nous passons en revue les principaux facteurs de risque à court terme ainsi que les défis d'ordre structurel à plus long terme, y compris :
- vote du budget 2011 au Parlement le 15 octobre ;
- prochaines adjudications d'OT (Obrigações do Tesouro) au T4 (deux ou trois adjudications pour un total compris entre 2,5 et 3 Mds €) ;
- possibles décisions des agences de notation financière si les objectifs budgétaires ne sont pas atteints (le pays a été mis sous surveillance par Moody's, tandis que la note de S&P et Fitch est affectée d'une perspective négative) ;
- statistiques relatives aux emprunts des banques portugaises auprès de la BCE (les montants devraient diminuer par rapport au record de 49 Mds € atteint en août) ;
- publication de l'estimation préliminaire de la croissance du PIB du T3 le 12 novembre.
Risque n°1 – L'agenda politique
Le Portugal est dirigé par un gouvernement socialiste (PS) minoritaire depuis les élections législatives de septembre 2009. Bien que le parti d'opposition – le parti social-démocrate (PSD) – ait, par le passé, soutenu les réformes structurelles et budgétaires, il a décidé de s'opposer aux dernières mesures du gouvernement, contraignant le Président à intervenir personnellement. Le PSD avait accepté de voter des hausses d'impôts (sur le revenu des personnes physiques) en contrepartie d'une baisse sensible des dépenses publiques. Il ressort des statistiques publiées récemment que cela n'a pas été réalisé, d'où les récentes tensions politiques.
Le vote du budget 2011 aura lieu le 15 octobre. Bien que le PSD n'ait officiellement pas encore apporté son soutien au texte, le plus probable est qu'il décidera de s'abstenir. En d'autres termes, le PSD ne devrait pas voter contre compte tenu des pressions croissantes de la part de l'UE et des marchés. Certains aspects en particulier sont encore ouverts à discussion, comme le report de certains projets d'infrastructure, tel le train à grande vitesse.
Risque n°2 – Réussir le redressement budgétaire
– L'exécution du budget 2010
Entre le début de l'année et le mois d'août, le déficit des administrations publiques a atteint 9,2Mds€, soit 446 millions de plus que l'an dernier. Les dépenses publiques ont augmenté de 2,7% a/a (contre +4,3% en juin), tandis que les recettes n'ont progressé que de 1,8% a/a. Parallèlement, la situation budgétaire des administrations régionales et locales montre une nette amélioration, avec une augmentation des excédents pour la plupart d'entre elles depuis le début de l'année, y compris pour la sécurité sociale.
L'une des principales raisons au fait que le Portugal n'ait pas atteint l'objectif fixé cette année est que l'approbation du budget 2010 est intervenue en mars 2010 seulement, après les élections législatives de septembre 2009. Mais une amélioration devrait être perceptible dans les données budgétaires du second semestre 2010.
- L'impact des nouvelles mesures d'austérité annoncées en mai 2010 n'est pas encore visible.
- La croissance du PIB nominal a été plus forte que prévu en début d’année, ce qui devrait se traduire par une augmentation des recettes fiscales.
- Certaines mesures d'austérité ont été avancées à cette année, parmi lesquelles le gel partiel des primes salariales, des dépenses militaires et des dépenses d'équipement (à partir de juin-juillet), de même que l'instauration d'un plafond pour les allocations d'assurance chômage (à partir de juillet).
- Des effets de base favorables devraient contribuer à améliorer la situation au second semestre, alors que les mesures de soutien seront progressivement retirées.
D'une manière générale cependant, les statistiques publiées récemment font apparaître, en données corrigées des variations saisonnières, un déficit des administrations centrales supérieur à 9% du PIB ; nous estimons dans ces conditions que le transfert des fonds de pension de Portugal Telecom, valorisés à 2,6 Mds €, sera nécessaire pour ramener le déficit public à 7,3% du PIB en 2010 (contre 9,3% l'an dernier). Quoique les discussions se poursuivent, il semble probable qu'un accord au sujet du transfert sera trouvé, au vu de l'expérience française avec France Télécom en 1997 et du fait qu'une partie des fonds a été transférée à l'Etat depuis 2003. Il est peu probable cependant que les marchés voient cette décision d'un bon œil.
– L'exécution du budget 2011
Le gouvernement admet désormais la nécessité d'économiser près de 4,5Mds€ en 2011 afin de réduire le déficit à 4,6% (contre 2,5 Mds € prévus dans le cadre du PSC). Les nouvelles mesures d'austérité visent ainsi principalement à faire baisser dépenses.
Ces mesures (chiffrées à 3,4 Mds €, soit 2% du PIB) comprennent :
- une diminution de 5% de la masse salariale dans la fonction publique (1 Md €) ;
- une baisse des dépenses sociales, y compris le gel des pensions de retraite et la réduction des prestations sociales (1 Md €) ;
- d'autres baisses des dépenses à hauteur de 1,3 Md €.
Nouvelles hausses d'impôts (1,7 Md €, soit 1% du PIB) :
- relèvement de deux points du taux normal de TVA à 23% (1 Md €) ;
- plafonnements des réductions sur l'impôt sur le revenu et des autres déductions fiscales (0,7 Md €) ;
- gel des projets d'investissement publics jusqu'à la fin de l'année ;
- anticipation de certaines autres mesures de réduction des dépenses.
Bien qu'il existe un risque de double comptabilisation pour certaines d'entre elles, nous chiffrons l'impact de ces mesures – celles prévues dans le cadre du PSC ainsi que les mesures d'austérité décidées en mai 2010 – à plus de 4% du PIB en 2011. Nous tablons donc sur une contraction du PIB de 0,1% en 2011 (les dernières prévisions du gouvernement font état d'une hausse de 0,5%), tandis que les prix devraient progresser de 1,5%. En résumé, au vu de nos projections de croissance moins optimistes et de nos inquiétudes au sujet des risques d'exécution, nous prévoyons que le déficit budgétaire devrait diminuer aux environs de 5% du PIB en 2011 – un tour de vis substantiel de fait et un poids significatif pour l’activité.
Risque n°3 – Faible risque d'insolvabilité mais des conditions de financement fragiles ?
Le Portugal se trouve manifestement dans une situation bien plus confortable que la Grèce ou que l'Irlande, tant en termes de financement du déficit public que de solvabilité. Les besoins de financement du Portugal sont couverts à hauteur de 87% pour cette année et le ministère des Finances a annoncé deux ou trois adjudications d'OT au T4 pour un montant total de 3 Mds €. Pour 2011, selon nos estimations, les besoins de financement bruts devraient avoisiner 18 Mds €, en recul par rapport aux 21 Mds € de 2010. Bien que plus raisonnables, les émissions d'obligations publiques devraient se maintenir à un niveau élevé pendant les cinq prochaines années, et seront de ce fait vulnérables à toute augmentation durable des coûts d'emprunt. Les besoins de financement extérieurs sont importants, compte tenu de l'ampleur du déficit de la balance courante (10% du PIB). En outre, près de 60% de la dette publique est détenue à l'étranger, contre 50% dans la plupart des autres pays et 40% en Espagne.
Si l'on analyse les dynamiques de la dette à long terme, nos simulations font état d'un risque d'insolvabilité très faible, pour autant que le processus de consolidation budgétaire soit poursuivi au-delà de 2011. Alors que le Portugal souffre de déséquilibres budgétaires structurels (le déficit structurel a atteint 8,1% du PIB en 2009 – deux fois la moyenne européenne), le pays affichait parallèlement un ratio de dette publique par rapport au PIB relativement faible avant la crise. Par ailleurs, le Portugal a démontré par le passé qu'il était en mesure de consolider ses finances publiques, et il semble aujourd'hui dans une bien meilleure situation que de nombreux autres pays de la zone euro au regard des principaux défis d’ordre structurel tels que le vieillissement de la population ou les coûts liés aux soins de santé.
Cependant, des efforts supplémentaires sur le plan budgétaire pourraient s'avérer nécessaires si la croissance nominale devait rester faible ou si les taux d'intérêt ne diminuaient pas, ainsi qu'il ressort de notre scénario pessimiste (voir ci-après). A noter que les hypothèses sous-jacentes que nous avons retenues en ce qui concerne l'ajustement du solde primaire, la croissance du PIB nominal et les taux d'intérêt jusqu'en 2011 proviennent du programme de stabilité et de croissance présenté cette année.
Risque n°4 – Probable contraction du PIB à court terme
Le PIB réel a rebondi de respectivement 1,1% et de 0,3% t/t au T1 et T2 2010, principalement à la faveur d'une hausse de la consommation en prévision du relèvement du taux de la TVA en juillet. Les dépenses d'investissement sont restées modérées. Les exportations nettes ont également apporté une contribution positive à la croissance mais la tendance ne semble guère être en mesure de se maintenir. La production industrielle ralentit (+0,2% a/a en août), tandis que les ventes de détail ont plongé en août (-0,8% m/m et -0,7% a/a). La demande intérieure devrait se contracter en deuxième partie d’année, avant de se stabiliser à des niveaux modestes en 2011.
A l'inverse, il existe des facteurs favorables à court terme, parmi lesquels des conditions monétaires accommodantes et une demande extérieure robuste, qui devraient contribuer à modérer les effets de l'affaiblissement attendu de la demande intérieure. Le Portugal est parvenu à réduire sa dépendance aux autres pays de l'UE au cours des cinq dernières années, mais aussi vis-à-vis des importations pétrolières. Par ailleurs, l'institut national de la statistique observe que la part des exportations de produits à fort contenu technologique a augmenté. Ceci étant, une poursuite de l'appréciation de l'euro ne manquerait pas de peser sur les exportations l’année prochaine.
La contraction du PIB que nous anticipons à court terme devrait être suivie d'une période prolongée de stagnation dans le meilleur des cas. De fait, les mesures d'assainissement budgétaire, le niveau élevé de l'endettement privé ainsi qu'un écart de compétitivité substantiel sont autant d'éléments qui vont continuer de freiner la croissance du PIB. Ainsi qu'il ressort de l'étude économique de septembre de l'OCDE, « un rééquilibrage de la croissance de la consommation au profit des exportations est nécessaire […] en améliorant la compétitivité par des gains de productivité à moyen terme ».
Le processus de désendettement a débuté avec lenteur et à partir d'un niveau très élevé. Une poursuite de la hausse du taux d'épargne et de la diminution des besoins de financements nets des entreprises sera par conséquent nécessaire. La croissance potentielle du Portugal est sensiblement moins forte que celle de l'Espagne ou de l'Irlande, mais le pays a réussi à mettre en œuvre une série de réformes structurelles au cours des dernières années sur le marché du travail et des biens et services, réformes qui devraient permettre de doper la croissance potentielle à long terme. En outre, le pays n'a pas connu de boom de la construction et de l'immobilier comme son voisin espagnol. Tandis que l'activité dans le secteur de la construction a progressé à un rythme relativement robuste dans les années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, la hausse des prix des logements est restée relativement modérée depuis cette période, avec une progression de 2,8% par an en moyenne entre 2000 et 2005, contre plus de 10% en Irlande et en Espagne.
Risque n°5 – Financer le système bancaire tout en gérant la seconde phase de la crise
Malgré les résultats positifs des stress tests réalisés en juillet, le refinancement des banques portugaises auprès de la BCE n'a cessé de croître pour atteindre 49,1 Mds € en août, ce qui correspond à 8,8% du total des actifs bancaires. Parallèlement, les conditions se sont globalement améliorées sur le marché monétaire, ainsi qu'en témoignent la hausse des volumes d’échange sur l'Eonia et les premiers signes d'une normalisation du marché du repo, y compris récemment au Portugal, ce qui préfigure une diminution du recours aux financements de la BCE dans les prochains mois.
D'un point de vue plus fondamental, le secteur bancaire portugais semble plus solide qu’en Irlande, en Grèce ou même en Espagne, du fait d’une faible exposition aux activités de banque d'investissement et aux actifs toxiques, mais aussi d’une certaine résistance lors de la première phase de la crise. Toutes les banques portugaises ont réussi avec succès les stress tests, ayant procédé à des augmentations de capital sans recourir massivement au programme gouvernemental. Alors que la croissance du crédit reste anémique, du côté des créances douteuses et litigieuses (CDL), l'on note les premiers signes de modération, tandis que la qualité des actifs s'est améliorée sur le segment des prêts hypothécaires.
Toutefois, l'encours des CDL aux entreprises pourrait encore augmenter. Les banques portugaises continuent néanmoins de profiter de relais de croissance externe au Brésil (CGD, BES), en Afrique (BPI, BES) mais aussi dans les pays européens et aux Etats-Unis.
Le cycle de l'immobilier est très différent de la situation observée en Espagne ou en France, avec une faible progression annuelle des prix et un poids moins important du BTP dans l'économie. Toutefois, compte tenu de l'environnement macroéconomique dégradé, la croissance du crédit au Portugal devrait rester modeste comparativement aux autres pays de la zone euro.
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