par Blaise Antin, stratégiste chez Amundi Asset Management
Les obligations des marchés émergents (Emerging Market Debt « EMD ») ont fait un bond au T3, les inquiétudes relatives à un défaut de paiement sur les émissions souveraines de la zone euro s’étant calmées et les responsables de la Fed ayant évoqué une poursuite de l’assouplissement quantitatif. Ce trimestre a été marqué par une augmentation de la demande de produits de crédit et une recrudescence généralisée de l’appétit pour le risque.
Les spreads des titres souverains du référentiel sectoriel JPM EMBI-GD se sont resserrés de 52 pb, à 303 pb, par rapport aux valeurs du Trésor US. Bien que ce niveau soit légèrement supérieur à celui de 288 pb du début 2010, le récent resserrement des spreads mérite d’être souligné vu la chute des rendements des valeurs du Trésor US sur le trimestre. Les nouvelles émissions – moteur des bonnes performances des neuf premiers mois de 2010 – se sont accélérées entre juillet et septembre.
Les émergents dynamisent la croissance mondiale
Les économies émergentes sont sorties de la crise de 2008- 2009 avec de solides fondamentaux et devraient dynamiser l’expansion mondiale dans les trois à cinq prochaines années. Le FMI prévoit une croissance de 6,4% pour les marchés émergents en 2011 (2,2% pour les pays développés). Si les profils de croissance actuels perdurent, les pays émergents pourraient contribuer au PIB mondial à hauteur d’environ 50% en 2017, contre 20% aujourd’hui. Au cours des dix dernières années, le revenu par habitant a été plus que multiplié par trois dans cette zone. Ainsi, la consommation de ces pays a dépassé celle des États-Unis pour la première fois en 2008 et représente maintenant 34% de la consommation mondiale. La consommation chinoise représente $ 1 800 Mds en valeur et augmente de 15% environ par an. La consommation des quatre états du groupe BRIC représente aujourd’hui $ 4 100 Mds. Si elle continue de croître à son rythme actuel, elle gonflera la consommation mondiale annuelle de $ 8 000 Mds en 2020. Les conséquences de la croissance rapide de la consommation émergente sont positives pour de nombreux secteurs : la consommation discrétionnaire, les services financiers et l’immobilier. Elle nécessitera aussi des investissements élevés dans les infrastructures.
La santé des finances publiques des pays émergents apparaît aussi très attractive. Les réserves de change ont été multipliées par huit en dix ans. Cette solide position extérieure a permis aux pouvoirs publics et aux banques centrales des pays émergents de suivre des politiques contracycliques pendant la crise de 2008-2009 sans que cela ne détériore outre mesure leur endettement. Le ratio moyen dette/PIB des pays émergents se situe maintenant autour de 33%. À l’inverse, le rapport dette/PIB des pays développés est actuellement de 98%. Les réformes engagées dans les pays émergents (abandon de taux de change fixe, adoption d’une politique de ciblage de l’inflation et de politiques budgétaires plus prudentes) permettent de penser que l’amélioration de la situation financière perdurera.
Élargissement des marchés financiers émergents
Les marchés obligataires émergents (EMD) sont liquides, se développent et proposent des titres négociables dont la valeur représente maintenant $2100Mds. Ce marché est devenu trois fois plus important que le marché américain des émissions à haut rendement et équivaut à la moitié du marché US des titres de première catégorie. De plus, ce type d’actifs est massivement sous-pondéré dans les portefeuilles institutionnels. Les fonds de pension de l’OCDE disposent d’actifs totalisant $16000Mds environ dont aucun segment n’est investi en EMD. Dans un portefeuille obligataire mondial, une pondération de 10% des EMD est considérée comme neutre. Un modèle d’optimisation suggère que la part des marchés émergents devrait représenter entre 15% et 30% des actifs d’un portefeuille obligataire mondial. En outre, les investisseurs domestiques des pays émergents sont de plus en plus demandeurs d’actifs locaux (fonds de pension privés, assurances). Le maintien prévu de taux d’intérêt bas dans les pays développés devrait favoriser des flux durables de capitaux vers les marchés émergents.
L’analyse de différents indices permet de voir que les EMD ont généré des performances totales cumulées de 23-45% depuis mi-2007, surperformant ainsi nettement la plupart des autres catégories d’actifs (souvent moins volatiles). Les marchés émergents étant partiellement décorrélés des marchés développés, ils offrent aussi des avantages en termes de diversification. Pour l’avenir, nous pensons que l’abondance des liquidités, la vigueur des facteurs de croissance et la diminution des vulnérabilités macroéconomiques se traduiront par une nouvelle réduction de la prime de risque des marchés émergents. Avec les taux directeurs bas dans le G3, l’effet de portage des EMD sera d’autant plus attractif.
Cela semble particulièrement vrai pour les émissions souveraines à rendement élevé dont les fondamentaux de crédit s’améliorent, les obligations d’entreprises étrangères et les instruments obligataires en devise locale. Malgré la faiblesse actuelle du dollar, bon nombre de devises des mar- chés émergents sont toujours au-dessous de leur niveau pré- Lehman. Tout semble en place en dépit des interventions prévues par les gouvernements et les banques centrales des pays émergents sur les marchés des changes afin d’éviter une appréciation rapide de leur monnaie.
Ce point de vue positif n’est pas sans risques : (i) durcissement prématuré des politiques budgétaires et monétaires dans le G3, (ii) politiques de change égoïstes conduisant au protectionnisme et à un contrôle des changes, (iii) agitation sociale et politique liée à l’austérité budgétaire, en particulier dans les pays périphériques de la zone euro, (iv) risques d’inflation-déflation, (v) risques géopolitiques entraînant une volatilité des prix du pé- trole. Bien que nous surveillons des signes susceptibles de montrer que ces risques se matérialisent, nous restons positifs sur les perspectives à court-moyen terme et pensons que les EMD continueront de surperformer.