Tempête en mer d’Irlande

par Caroline Newhouse-Cohen, économiste chez BNP Paribas

La crise irlandaise s’intensifie et l’Ile sollicitera très probablement, dans les jours qui viennent, l’aide de ses partenaires européens. Jeudi, le gouverneur de la banque centrale déclarait le principe « certainement » acquis. Il n’y a guère d’alternative. Ces jours derniers, les conditions de financement de l’Etat irlandais sont devenues prohibitives (graphique). La chambre de compensation LCH Clearnet, l’une des plus importantes d’Europe, requiert désormais de ses clients traitant de la dette souveraine irlandaise un dépôt de garantie deux fois supérieur à la normale.

Au cœur de la tourmente se trouve le système bancaire, dont l’Etat s’est porté garant. Après son sauvetage en 2008, de nouvelles inquiétudes sont nées de la fragilité du marché immobilier, des médiocres perspectives d’activité à l’horizon 2011 et du niveau particulièrement élevé d’endettement des ménages (118% du PIB en 2009). Après Bank of Ireland et Allied Irish Banks, c’était au tour d’Irish Life & Permanent d’annoncer, au cours de la semaine écoulée, que ses clients professionnels avaient retiré 600 millions d’euros, soit 11% du total des dépôts. Par ailleurs, les trois premiers établissements bancaires de l’île devront renouveler EUR6mds d’emprunts arrivés à échéance au premier trimestre 2011. De fait, les banques irlandaises peinent à se refinancer sur le marché interbancaire dont elles sont particulièrement dépendantes1. Elles se tournent désormais principalement vers la Banque Centrale Européenne. Selon les dernières données en date du 29 octobre, elles ont drainé près de 25% des fonds alloués à taux fixe par la banque centrale.

Les marchés financiers s’inquiètent désormais de savoir si les banques irlandaises pourront faire l’économie d’un nouveau plan de restructuration de leurs actifs. Par ailleurs, ces craintes sont partagées par l’Eurogroupe comme les Etats-Unis. À l’issue de la réunion mensuelle des ministres des Finances de la zone euro, le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Junker, a indiqué que l’Union avait les moyens pour agir et préserver la stabilité financière de la zone euro si nécessaire2. L’Administration Obama s’est, elle aussi, inquiétée ouvertement de la situation irlandaise, enjoignant la Commission d’agir « très, très vite ».

Le Premier ministre irlandais s’est, jusqu’ici, défendu d’une telle intention, semblant tout miser sur l’adoption de son plan d’austérité budgétaire, le 7 décembre (le déficit devrait être ramené de 32% du PIB actuellement à moins 3% d’ici 2014). Par ailleurs, l’idée d’un plan de sauvetage tout comme l’éventuelle participation du Royaume-Uni3, non membre de la zone euro, au mécanisme de soutien financier, ont très mauvaise presse auprès de l’opinion publique.

Devant l’urgence de la situation (l’écart de taux à 10 ans entre l’Irlande et l’Allemagne était de près de 600 points de base au 16 novembre) et le risque de contagion à d’autres pays comme le Portugal ou l’Espagne, l’arrivée d’une mission conjointe de la Commission européenne et du FMI, en accord avec l’Irlande, jeudi dernier est une bonne nouvelle. La mission devrait négocier un programme de restructuration du secteur bancaire, ainsi que les modalités d’une assistance financière éventuelle.

Le plan de sauvetage pourrait se monter à 80 milliards d’euros et exiger la vente d’actifs bancaires ou bien encore un durcissement supplémentaire du programme de coupe dans les dépenses publiques.

NOTES

  1. Les financements interbancaires représentent 68% du total des dépôts en Irlande, contre 38% dans la zone euro. Le refinancement à court terme des institutions financières et monétaires irlandaises reste largement tributaire du marché interbancaire (pour plus de détails, voir Ecoweek 10-40 Focus 1 Irlande : la dette en héritage (partie 1 – Les banques))
  2. Faisant ainsi allusion au Fonds Européen de Stabilisation financière noté AAA par les trois agences de notation. Le FESF peut lever jusqu’à €440mds sur les marchés de capitaux en émettant des obligations garanties par les états membres de la zone.
  3. Le système bancaire britannique est très engagé en Irlande que ce soit directement (5% de ses actifs étrangers) ou indirectement par le biais de son exposition aux systèmes bancaires européen et américain. Par ailleurs, l’Irlande est le premier client du Royaume-Uni après l’Union européenne et les Etats-Unis (4% de ses exportations totales) et son cinquième fournisseur (2,7% de ses importations, après l’Union européenne, les Etats-Unis, la Chine et la Norvège).

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