par Catherine Stephan, économiste chez BNP Paribas
- Le taux de chômage allemand (à 7,5% en octobre) est à son plus bas niveau depuis avril 1992, et les tensions sur le marché du travail s’intensifient.
- Les créations d’emplois ont été concentrées dans les services et la construction. Elles pourraient s’étendre à l’industrie manufacturière.
- La reprise de l’activité et l’augmentation concomitante de la productivité horaire au premier semestre pourraient donner à lieu à des hausses de salaires et soutenir la consommation des ménages.
L’Allemagne a rapidement renoué avec son bas taux de chômage d’avant la crise. A 7,5% de la population active, celui-ci a reculé de 0,7 point entre novembre 2009 et octobre 2010. Il se situe désormais à son niveau le plus bas depuis avril 1992 et au-dessous du taux de chômage structurel ou NAIRU (Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment). En données brutes, le nombre de chômeurs est passé sous le seuil des 3 millions, pour la première fois depuis novembre 2008.
Amélioration quasi générale…
Le repli du taux de chômage est d’abord expliqué par la reprise vigoureuse de l’activité et le retour des créations d’emplois. En 2010, l’économie allemande enregistre l’un des plus forts taux de croissance de la zone euro (+3,5%). Elle aura crée 350 000 emplois entre octobre 2009 et septembre 2010. La faible pression exercée par la démographie sur le marché du travail fait que l’amélioration de l’emploi aura d’abord profités aux chômeurs, y compris les jeunes et les seniors pour qui la recherche de poste est traditionnellement plus difficile. L’emploi monte, le chômage baisse, et la population active (qui fait la somme des deux) reste quasiment stable. Le marché du travail repasse sous tension, ce dont témoigne la hausse du rapport entre le nombre de postes vacants et celui des personnes sans emploi.
La hausse de l’emploi masque d’importantes disparités selon les secteurs. Le tertiaire (73% de l’emploi total en 2009), notamment les services à la personne et le service public, ainsi que et le secteur de la construction, ont créé des emplois au premier semestre. Les entreprises du secteur manufacturier ont en revanche augmenté, dans un premier temps, le nombre d’heures travaillées en réponse à la reprise de l’activité. Celles-ci avaient en effet été la principale variable d’ajustement au moment de l’effondrement de l’activité grâce aux aides consenties aux entreprises, qui recouraient au chômage partiel1.
… mais qui repose beaucoup sur des emplois temporaires
En Allemagne, l’emploi temporaire (CDD, intérim) représente 14,5% de l’emploi total (chiffre à mi 2010), une proportion un peu moins importante que la moyenne (15,7% en zone euro) mais qui s’accroît vite. Ainsi, les emplois temporaires et à temps partiel ont-ils augmenté beaucoup plus vite que l’emploi total depuis un an (+1,8% contre +0,2% respectivement au T2 2010). Les entreprises y ont recours pour répondre à la hausse de l’activité et conserver une certaine flexibilité2.
Futur positif, mais assagi
La poursuite de la croissance de l’activité à l’horizon 2011, même à un rythme plus modéré, devrait conforter la bonne tendance de l’emploi. Les services aux entreprises profiteraient notamment de l’embellie de la conjoncture dans l’industrie. La baisse récente du taux de chômage devrait inciter les personnes ayant quitté le marché du travail depuis le début de la crise à y retourner. D’autant que l’amélioration rapide du taux de chômage leur a permis d’éviter une exclusion trop longue du marché du travail, qui aurait davantage entamé leur chance de retrouver un emploi. Le taux de chômage baissera encore, mais à un rythme probablement plus lent.
Dans le secteur public, les mesures de consolidation budgétaire s’accompagneront de moindres créations de postes. Certains prélèvements obligatoires, notamment ceux perçus par les collectivités locales, pourraient augmenter. Les ménages les plus modestes, lesquels ont une propension à consommer plus élevée, subiront une diminution de certaines de leurs prestations sociales3 dans le cadre des mesures de consolidation budgétaire. Ainsi, l’enquête GfK d’octobre met en exergue la prudence des ménages.
Dans l’industrie, le nombre d’heures travaillées par employé reste relativement faible (il est de 5% inférieur à la moyenne de 2008). Cela suggère que les commandes resteront, en priorité, honorées par un accroissement de la productivité. Une partie sera redistribuée en salaires. Les ouvriers du secteur sidérurgique ont ainsi déjà obtenu une hausse de 3,6% des salaires4 à valoir à compter du 1er octobre. Les salariés des autres secteurs (services, construction) devraient bénéficier d’une hausse plus modérée des salaires. Ils détiennent en effet un pouvoir de négociation plus faible que les salariés du secteur manufacturier, nombre d’entre eux, occupant des emplois à temps partiel ou temporaires5. Toutefois, le retour de la croissance devrait offrir davantage de marges de manœuvre, d’autant que les salaires avaient été gelés en 2009 en contrepartie du maintien de l’emploi. Les hausses de salaires devraient finalement permettre de consolider le pouvoir d’achat des ménages et de contrebalancer, au moins en partie, les effets de la rigueur budgétaire.
Contrainte démographique
La population active allemande a augmenté d’environ 5% entre 2003 et 2010, alors même que les celle des 15-60 diminuait. On l’explique par les mesures adoptées à partir du milieu des années 20006 et destinées à accroître le taux d’activité, notamment celui des personnes âgées de plus 55 ans et des femmes. Selon Eurostat, le taux d’emploi des personnes âgées entre 55 et 64 ans est ainsi passé d’un peu plus de 39% en 2003 à 57,5% au premier semestre 2010 (45,7% dans la zone euro au S1 2010). Celui des femmes est passé de près de 59% en 2003 à environ 66% au premier semestre 2010 (57,9% dans la zone euro au S1 2010). Le taux d’emploi des jeunes de moins de 25 ans a peu augmenté (45,3% au S1 2010), mais il reste nettement supérieur à celui de la zone euro (33,7% au S1 2010). Au total, le taux d’emploi de la population allemande était de 70,6% au premier semestre 2010 alors que celui de la zone euro était d’environ 64%.
Ces mesures ont favorisé la modération salariale à partir du milieu des années 2000 en accroissant l’offre de travail. Toutefois, elles pourront difficilement pallier le recul de la population au cours des prochaines années. L’Allemagne comptabilisait environ 82 millions d’habitants en 2008 et devrait en compter entre 65 et 70 millions en 2060. Parallèlement, 34% de la population devrait être âgée de plus de 65 ans en 2060 (contre 20% en 2008 et 24% en 2020)7.
L’évolution démographique de l’Allemagne et les difficultés croissantes de recrutement avant que n’éclate la crise expliquent pour partie le comportement des entreprises, qui ont préféré réduire le nombre d’heures travaillées et conserver leurs salariés afin de pouvoir disposer d’une main d’œuvre qualifiée au moment de la reprise. Certaines entreprises tentent par ailleurs d’adapter l’organisation du travail aux employés les plus âgés. En revanche, le gouvernement a pour l’instant annoncé peu de nouvelles mesures susceptibles d’accroître davantage l’offre de travail. Il a assoupli certaines règles d’obtention d’un permis de travail pour les étrangers qualifiés depuis le 1er janvier 2005 et devrait également discuter d’ici la fin décembre 2010 d’un projet de loi visant à reconnaître en Allemagne certains diplômes obtenus à l’étranger. Toutefois, ces règles restent contraignantes (63600 euros de revenu annuel minimum pour l’obtention d’un permis de travail) et ne permettent pas de faire face aux difficultés croissantes de recrutement de certaines entreprises. Le gouvernement peine également à offrir les infrastructures suffisantes pour permettre aux femmes, lesquelles ont encore à leur charge une part importante des tâches familiales, de travailler.
La population active devrait donc renouer avec le niveau antérieur à la crise au cours des prochains mois grâce au repli du taux de chômage, mais la bonne santé de l’économie allemande et le recul durable de la population devrait exercer à moyen terme des tensions sur le marché du travail et contraindre les entreprises à échanger durablement des hausses de salaires contre des gains de productivité.
NOTES
- Lorsqu’une entreprise recourt au chômage partiel, l’Etat fédéral prend en charge la moitié des cotisations de sécurité sociale, la totalité à partir du septième mois et si le salarié suit une formation. Tandis que le salarié reçoit une allocation égale à 60% du salaire net non perçu (67% s’il a au moins un enfant). Le recours à ce dispositif, donnant droit aux aides de l’Etat, est, par ailleurs, passé progressivement d’une durée de 12 à 18 mois en novembre 2008 à 24 mois à partir de juillet 2009. Celle-ci devait être ramenée à 6 mois au début de 2010. Toutefois, la nouvelle coalition a décidé de maintenir ces aides durant 18 mois à partir du 1er janvier 2010.
- La part de l’emploi temporaire dans l’emploi total est passé d’environ 12% en 2003 à 14,5% en 2009. Les emplois à temps partiel représentaient 20% de l’emploi total en 2003 et 25% en 2009 (autour de 20% en 2009 dans la zone euro).
- Suppression du supplément d’aide à la transition, du salaire parental et de la cotisation à la retraite pour les chômeurs de longue durée. – Diminution du salaire parental pour les bénéficiaires ayant un revenu net mensuel de plus de 1240 euros (il passera de 67 à 65% du salaire)
- La hausse a pris effet à compter du 1er octobre 2010 et aura cours jusqu’au 31 octobre 2011. Une prime de forfaitaire de 150 euros versée en septembre 2010 a également été consentie. L’accord prévoit également une égalité de traitement entre les salariés permanents et intérimaires à partir du 1er janvier 2011 et jusque la fin 2012.. Les apprentis bénéficient également d’une hausse de leur rémunération.
- 30% des emplois du secteur des services sont à temps partiel et 13% sont des emplois temporaires.
- Le gouvernement allemand a adopté diverses mesures incitatives à partir de 2005, dans le cadre du plan « Initiative 50 plus»: formation, créations de réseaux avec les entreprises, subventions aux entreprises, aménagement du temps de travail et campagnes d’information. Voir «Le marché du travail allemand : un état des lieux», Conjoncture, BNP Paribas, novembre 2009.
- Projection réalisée sous l’hypothèse d’un taux de fécondité de 1,4 enfant par femme, d’une longévité masculine de 85 ans, féminine de 89,2 ans en 2060 et d’un solde migratoire positif de 100 000 par an. Chiffres extraits de l’étude « Germany’s Population by 2060 » publiée par l’Office fédéral des statistiques.
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