par Philippe d’Arvisenet, Chef économiste de BNP Paribas
Au premier trimestre, la croissance américaine s’est modérée après trois trimestres consécutifs d’accélération, à 1,8% en rythme annualisé en première estimation, après 3,1% et 2,6%. Parmi les composantes de la demande finale, seul l’investissement en équipements et logiciels a progressé à un rythme soutenu (11,6%), toutes les autres composantes se sont inscrites en retrait.
Sous l’effet des conséquences de la hausse des prix de l’énergie sur le pouvoir d’achat et aussi de mauvaises conditions climatiques, la croissance de la consommation des ménages s’est repliée de 4% à 2,7%. La politique budgétaire conserve cette année une orientation expansionniste.
Le gonflement attendu du déficit de 8,8% du PIB en 2010 à 10,5% en 2011 est totalement imputable à des mesures de soutien (le retour de la croissance entraînant mécaniquement un élargissement des assiettes de prélèvements). Cela se traduit pour les ménages par un recul des cotisations sociales qui soutient les revenus nets. L’investissement immobilier est resté très déprimé (-4,1% au 1er trimestre). Le commerce extérieur a été quasi neutre pour la croissance avec une contribution de -0,1 point.
Tout en demeurant ancrés en territoire d’expansion, les indicateurs conjoncturels ont affiché un repli sensible en avril. Ainsi, l’ISM manufacturier s’est replié de 61,2 à 60,4 avec, notamment, un recul des composantes production (à 63,8 contre 69 en mars) et commandes (à 61,7 contre respectivement 63,3 et 68 les mois précédents). Dans le secteur non manufacturier le repli a été plus marqué encore avec un recul de l’ISM de 59,7 à 52,8 en deux mois. La production manufacturière a diminué de 0,4% en avril, notamment sous l’effet d’une chute de l’activité dans le secteur automobile, affecté par les effets de la catastrophe japonaise sur les chaînes de production.
Si les créations d’emplois ont conservé le rythme soutenu des derniers mois, atteignant 244 000 en avril et 268 000 pour le seul secteur privé (253 000 en moyenne sur les trois derniers mois connus), le taux de chômage est resté ancré à un niveau élevé (9%) qui continue à peser sur la formation des salaires (1,9% en glissement annuel).
Cela s’est accompagné, par ailleurs, d’une hausse du nombre de personnes occupant involontairement un emploi à temps partiel. Avec l’accélération de la hausse des prix, le pouvoir d’achat des rémunérations s’en est trouvé affecté.
Ainsi, sur les six derniers mois, les salaires réels se sont contractés de 4% en données annualisées. Il faut remonter au début des années 1980 pour retrouver une évolution comparable. Depuis l’arrivée à leur terme, à l’automne dernier, des dispositions fiscales en faveur de l’accession à la propriété, le secteur immobilier a vu son activité se déprimer. En avril, les ventes de maisons dans l’ancien ont affiché un recul de 12,9% sur 12 mois (-2% en février), ce qui a conduit à une remontée du stock de logements (à 9,2 mois de ventes). Cela est de nature à entretenir la baisse des prix. Les mises en chantier se sont, pour leur part, repliées de 10,6% et les permis de construire de 4%. Au vu de ces indicateurs, l’accélération de la croissance au deuxième trimestre reste un scénario bien incertain.
L’inflation a poursuivi son accélération, passant de 2,1% en février à 2,7% en mars, puis à 3,2% en avril. Cette hausse est essentiellement imputable aux composantes volatiles de l’indice, avec des prix alimentaires en hausse de 1,8% et des prix de l’énergie de 9,1% en trois mois (février-avril). L’inflation sous-jacente demeure maîtrisée (1,3% contre 1,1% en février). Les anticipations d’inflation à un an tirées de l’enquête mensuelle de l’université du Michigan sont sensibles aux prix de l’énergie. Ayant atteint 4,6% en avril, elles se sont légèrement repliées en mai à 4,4%. Les anticipations à long terme sont restées en revanche fort bien ancrées, à 3% après 2,9% et 3,2% les mois précédents.
La FED considère l’accélération des prix comme temporaire. Les minutes de la dernière réunion du FOMC, tout en illustrant les divisions du Comité quant aux risques inflationnistes, ont apporté un éclairage sur la stratégie de normalisation de la politique monétaire. Le FOMC a souligné le caractère modéré de la reprise et l’accélération de l’inflation. Le programme d’achat de titres du Trésor lancé en novembre dernier (le QE2) arrivera à son terme en juin.
Sauf choc imprévu, le QE2 ne sera pas suivi d’un QE3. La FED considère que ceci a été anticipé par les marchés et ne devrait donc pas se traduire par un relèvement sensible des taux longs. Dans un premier temps, la FED devrait abandonner le réinvestissement de tombées de ses investissements en titres adossés à des crédits hypothécaires, puis celui des Treasuries. Viendrait ensuite un relèvement du taux objectif des Fed funds (en 2012) de manière à rétablir des marges de manœuvre. Ce n’est qu’ensuite que la Fed commencerait à céder des actifs.
Au total, malgré une politique économique demeurant encore très expansionniste, nous anticipons une croissance de l’ordre de 2,5% contre 2,9% en 2010. Cette perspective reste inférieure au consensus, lequel a pourtant déjà fait l’objet de révisions à la baisse. Si les conditions du marché du travail s’améliorent et si la situation financière des entreprises a connu un rapide redressement, l’économie américaine reste confrontée à plusieurs vents contraires : le désendettement des ménages n’est pas achevé, les prix de l’énergie ont amputé le pouvoir d’achat des revenus, le secteur immobilier est toujours sinistré et les resserrements monétaires freinent l’économie mondiale.