Accords majeurs

par Delphine Cavalier, Frédérique Cerisier et Thibault Mercier, économistes chez BNP Paribas

Au matin du jeudi 27 octobre, les chefs d’Etat ou de gouvernement de la zone euro parvenaient, après d’âpres négociations, à s’accorder sur les grandes lignes d’un plan global de sortie de crise. Celui-ci comporte trois volets : réduction de la dette grecque, renforcement des fonds propres des banques, renforcement de la capacité d’intervention du FESF (Fonds européen de Stabilité financière).

1- Réduction de la dette grecque

Les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro se sont mis d’accord sur l’octroi d’un nouveau prêt de 100 milliards d’euros à la Grèce. Cette seconde aide financière, après les 110 milliards octroyés en mai 2010, doit permettre de couvrir les besoins de financement de l’Etat grec jusqu’en 2014 et de recapitaliser les banques du pays. Comme en mai 2010, le FMI a été appelé à participer à ce second programme.

Parallèlement, les créanciers privés de la Grèce sont invités à participer, début 2012, à un échange de dette incluant une décote de 50% sur la valeur faciale des titres échangés.

D’après les prévisions de septembre du FMI, le stock de dette publique grecque s’élèvera à 366 milliards d’euros à fin 2011. Sur ce montant, 78 milliards d’euros sont issus du premier bail-out UE-FMI de mai 2010 (à supposer que la 7ème tranche de décembre soit versée), 15 milliards d’euros sont des titres à court terme (<1 an) et nous faisons l’hypothèse que la BCE détient 50milliards d’euros d’obligations acquises dans le cadre du Securities Market Programme (SMP). Le stock de dette détenu par le secteur privé potentiellement éligible à l’échange est donc de 223 milliards d’euros (366-78-15-50). En retenant un taux de participation de 90%, 200 milliards d’euros de titres grecs seront échangés contre de nouvelles obligations d’une valeur nominale de 100 milliards d’euros.

D’après le communiqué officiel, les Etats de la zone euro contribueront à l’effort du secteur privé en apportant des garanties pour 30 milliards d’euros. Nous faisons l’hypothèse que ces 30 milliards d’euros serviront à la Grèce à acheter des obligations zéro coupon AAA à 30 ans afin de garantir le nominal des obligations échangées. (En effet, en supposant que les obligations AAA à 30 ans offrent un rendement de 3,8%, 30 milliards d’euros achetés aujourd’hui valent environ 100 milliards d’euros dans 30 ans)

Le fait que ces garanties soient ou non comprises dans l’enveloppe de 100 milliards d’euros n’est pas explicitement mentionné. En faisant l’hypothèse qu’il s’agit d’un financement supplémentaire, cela porterait le montant total de l’aide publique apportée à la Grèce à 130 milliards d’euros.

Enfin, en supposant que le FMI participe à ce second bail-out dans les mêmes proportions que le premier (c'est-à-dire a hauteur de 30%), sans toutefois prendre part au financement des garanties, le montant qui incomberait au FESF serait de 100 milliards d’euros (70%*100+30).

L’objectif de ce nouveau programme d’aide est d’améliorer la soutenabilité des finances publiques grecques, ce qui péchait dans l’élaboration du premier plan. Sur ce point, la participation des créanciers privés est clé, puisque la décote comprise dans l’échange de dette réduit immédiatement le ratio d’endettement public de la Grèce. En supposant que 200 milliards de créances privées sur l’Etat grec soient apportées à l’échange, l’allégement brut du stock de dette serait de 100 milliards d’euros. Toutefois, la collatéralisation des nouveaux titres créerait un besoin de financement supplémentaire de 30 milliards d’euros pour l’Etat grec. Au total, la réduction nette du stock de dette grecque serait de 70 milliards d’euros, soit environ 30% du PIB. Sous les conditions du 21 juillet, le ratio d’endettement public était projeté à 182% du PIB en 2012. Sous les conditions du 26 octobre, il atteindrait 152% du PIB en 2012, un ratio qui, avec la restructuration de la dette restante, descendrait à 120% du PIB en 2020.

2- Renforcement des fonds propres des banques

L'autorité bancaire européenne (EBA) a estimé à 106,5 milliards d'euros1 les montants de fonds propres supplémentaires qui seraient nécessaires aux principales banques européennes pour atteindre un ratio de Core Tier 1 de 9% en considérant l'ensemble de leurs expositions aux dettes souveraines européennes évaluées au prix de marché (au 30 septembre 2011).

Les pays les plus concernés sont la Grèce (30 milliards), l'Espagne (26 milliards) et l'Italie (plus de 14 milliards). Les besoins en fonds propres des quatre principales banques françaises sont estimés à 8,8 milliards d'euros.

L'EBA demande aux banques d'atteindre ce niveau de fonds propres au 30 juin 2012 et de présenter fin 2011 les moyens envisagés pour y parvenir. Elle veillera, en coopération avec les autorités nationales de surveillance, à éviter que le relèvement du ratio de fonds propres ne vienne peser sur le financement de l'économie. En cas d'augmentation de capital, l'apport de capitaux privés doit être envisagé en priorité, et l'intervention des autorités nationales en second lieu. Le FESF pourrait être mis à contribution en ultime recours.

3- Renforcement de la capacité d’intervention du FESF

Les chefs d'Etat s'étaient engagés à accroître la capacité du FESF à aider au financement des Etats en difficulté sans augmenter le plafond des garanties fournies par les membres de la zone euro et donc la capacité d'endettement du Fonds (440 milliards, dont 250 environ sont encore disponibles). Au-delà des prêts directs mis en œuvre jusqu'ici en faveur de l'Irlande et du Portugal et demain vraisemblablement à la Grèce, deux autres modes d'intervention seront désormais possibles.

Option 1 : Rehaussement du crédit. Il s'agit là de faciliter le financement d'un Etat ayant accès au marché, mais à des taux jugés trop élevés. Le FESF fournira une garantie partielle aux investisseurs souscrivant aux nouvelles émissions obligataires de l'Etat membre, ce qui devrait accroître la demande pour ces titres et en faire baisser le rendement.

Option 2 : Création d'un ou plusieurs véhicules d'investissement (Special Purpose Investment Vehicle), dans lequel le FESF serait un investisseur aux côtés d'autres acteurs publics ou privés. Ce véhicule aura la possibilité d'effectuer un prêt à un Etat en difficulté, notamment pour financer une recapitalisation bancaire, ou d'acheter une partie de sa dette sur les marchés primaire ou secondaire. A ce stade, la volonté des acteurs envisagés (FMI, fonds souverains…) pour se joindre au FESF reste largement à confirmer.

Ces deux nouveaux modes d'intervention permettent d'accroître le montant des financements offerts aux Etats en difficulté au- delà des sommes engagées par le FESF ("effet de levier"). Bien que la somme de 1 000 milliards d’euros soit souvent avancée – correspondant à un levier de 4 à 5, cf. encadré -, il n'est pas possible d'évaluer exactement l'ampleur de cet effet sans informations précises sur le taux de garantie partielle (option 1) ou la structuration du véhicule d'investissement (option 2). Sur cet aspect du plan, beaucoup de précisions restent à apporter.

NOTES

  1. Les chiffres définitifs seront connus courant novembre afin de prendre en compte les montants de fonds propres et les expositions au 30 septembre.

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