par Guillaume Lasserre, Responsable des Investissements chez Lyxor Asset Management
Le premier trimestre 2019 se termine sur un horizon plus dégagé qu’il n’a débuté. La levée de plusieurs incertitudes et des signaux clairs de soutien à l’économie de la part des banques centrales ravivent l’attrait et les appétits en faveur des actifs risqués. L’heure serait-elle donc venue de changer les allocations des portefeuilles ? Si l’on répond par l’affirmative, un accroissement de l’exposition aux actions doit cependant prendre en compte la notion de risque global du portefeuille.
Nous avons identifié, pour cette année, cinq pivots majeurs de nature à influer sur les marchés financiers. Les perspectives étaient, pour chacun d’entre eux, relativement sombres en fin d’année dernière et début d’année, plaidant pour un renforcement de la protection des portefeuilles. Celle-ci demeure toujours de mise, toutefois le premier trimestre 2019 marque une inflexion, avec la diminution des incertitudes sur plusieurs de ces pivots. Cela se traduit notamment par de nouvelles injections de liquidités qui devraient soutenir les actifs risqués, en particulier les actions. L’augmentation de l’exposition aux actifs risqués ne saurait cependant se faire que dans une seule optique : celle de la gestion du risque des portefeuilles et du maintien d’un niveau de risque adéquat.
Banques centrales : des signaux en faveur des actifs risqués
Alors que la BCE affirmait encore en février ne pas prévoir de plan de refinancement des banques sur le long terme, elle a finalement annoncé l’inverse au mois de mars. Une position aux répercussions multiples. L’injection de liquidités constitue en premier lieu un support pour l’économie, largement financée par les banques en Europe. Mais le simple effet de cette annonce a également eu pour résultat de détendre le marché.
Un phénomène similaire s’observe aux Etats-Unis où, malgré des aléas de court terme, la croissance est soutenue par les annonces de la Réserve fédérale. Des deux côtés de l’Atlantique, l’inflation reste modérée. Dans la zone euro, l’inflation sous-jacente est aux alentours de 1 %, tandis qu’aux Etats-Unis, elle demeure contenue autour de 2%. Des niveaux peu élevés, qui jouent en faveur de la consommation intérieure.
Les politiques accommodantes des banques centrales, justifiées par l’absence de dérapage de l’inflation, et le maintien des taux longs sur des niveaux faibles viennent soutenir la valorisation des actions.
Les autres pivots : entre détente et surveillance
Plusieurs des facteurs identifiés comme ayant des répercussions majeures sur l’évolution des actifs ont connu une évolution favorable au cours du trimestre. Au premier rang desquels se trouve la stabilisation des cours du pétrole, sur un niveau proche de celui de notre scénario idéal d’un baril à 70 dollars. Cette stabilisation favorise la consommation privée en contenant les pressions inflationnistes. Dans des économies occidentales à faible inflation, les variations des cours du baril sont en effet le principal facteur de variation de l’inflation. Les pays émergents non-producteurs sont également bénéficiaires de cette stabilisation, car toute envolée des cours du pétrole peut rapidement dégrader leurs comptes externes et créer de l’inflation.
En Europe, les tensions politiques ont reflué. La sortie du Royaume-Uni de l’Europe n’est toujours pas entérinée, mais la capacité du Brexit à créer un choc majeur semble s’amoindrir. Quant aux élections européennes, si elles apporteront sans doute leur lot de surprises, le résultat final ne devrait néanmoins pas remettre en cause les équilibres politiques existants.
Détente notable également sur le front de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Celle-ci n’est pas terminée et l’issue n’est pas encore connue, mais la survenue de négociations marque un premier pas en avant significatif, par rapport aux tensions de 2018.
Enfin, le dernier pivot important réside dans la tenue de l’économie chinoise. Les mesures de soutien gouvernemental à la croissance commencent à porter leurs fruits. Le crédit montre des signes de reprise ; les dépenses d’investissement, notamment dans les infrastructures, se redressent. Si la Chine ne peut jouer sur ses taux de change sans irriter les Etats-Unis, elle actionne cependant les leviers de politique budgétaire et monétaire pour soutenir sa croissance. Le pays pourrait également profiter d’un nouveau train de mesures au deuxième semestre, avec un impact positif sur la croissance mondiale.
Coup de projecteur sur les actions
En début d’année, nous avions adopté un profil équilibré pour nos portefeuilles. La levée de certaines incertitudes sur la scène mondiale nous conduit désormais à vouloir augmenter notre positionnement sur les actifs plus risqués, notamment les actions. Même si nous sommes en présence d’une décélération de l’activité à court terme, nous avons une plus grande confiance dans notre scénario central et estimons que nous pouvons trouver sur les actifs risqués un bon rendement ajusté du risque à 6-12 mois.
Le risque de survalorisation des actions nous paraît écarté. La valorisation sur la base des bénéfices attendus est actuellement en ligne avec la moyenne sur 10 ans. Beaucoup plus élevée il y a encore un an, elle s’est réduite sous l’effet de la baisse des cours, alors que les bénéfices des entreprises continuaient de progresser. En revanche, d’un point de vue strictement fondamental, les obligations souveraines demeurent excessivement chères. Les taux des obligations à 10 ans sont ainsi, en général, ancrés à long terme sur la croissance du PIB nominal en moyenne glissante. Ce dernier se compose de la croissance réelle, soit en Europe environ 1,5%, plus celle de l’inflation, environ 1,5%. Cela signifie que le Bund à 10 ans devrait se situer aux alentours de 3% or, dans les faits, il est revenu en territoire négatif. Sauf scénario déflationniste, nous nous dirigeons donc vers une remontée des taux longs et jugeons les obligations actuellement chères. De notre point de vue, les placements obligataires offrent une protection naturelle relativement faible au risque actions, tout du moins en zone euro.
Pour augmenter la part d’actifs risqués, réduisez les obligations
Ces vues de marché, avec un attrait pour les actifs risqués, doivent se traduire dans les portefeuilles. Pourtant, avoir pour seule réaction d’arbitrer des obligations vers les actions serait une réponse biaisée car elle omet de prendre en compte un élément central : le risque total du portefeuille d’investissement.
Avant toute modification de l’allocation, la première étape consiste à évaluer le budget de risque que l’on souhaite conférer au portefeuille. Ce niveau de pertes acceptables va en effet contribuer à déterminer la part allouée aux différentes classes d’actifs. Raisonner à partir du seul arbitrage entre classes d’actifs peut en effet avoir des répercussions importantes, et parfois mal évaluées, en matière de risque.
Il suffit, pour le comprendre, de partir d’une hypothèse simplifiée, avec un portefeuille équilibré, 50% actions, 50% obligations, dont on souhaite augmenter l’exposition aux actifs risqués. Pour ce portefeuille, une estimation de la perte potentielle de la poche actions est de 30 %, celle de la poche obligataire de 10%, soit trois fois inférieure. La moyenne pondérée des pertes potentielles serait donc de 20%. On peut la réduire à 15%, grâce à l’effet de protection supplémentaire apporté par les corrélations inverses entre actifs, actions et obligations se protégeant réciproquement.
Si l’on s’en tient à un strict attrait pour les actifs risqués et que l’on augmente la part des actions à 70%, contre 30% d’obligataire, la perte potentielle évolue en conséquence. Elle passe à 24% en moyenne, soit 19% si l’on tient compte de la protection apportée par la décorrélation. Alors, certes, la nouvelle allocation permet d’augmenter la part d’actifs risqués en portefeuille. Mais le budget de risque du portefeuille se trouve aussi très nettement augmenté.
Il est pourtant possible d’accroître la sensibilité du portefeuille aux actions, tout en conservant un budget de risque similaire à celui d’un portefeuille équilibré, si tel est l’objectif du gérant.
Dans le cadre d’une gestion à pertes contraintes, il faut en réalité remonter l'exposition aux actions à hauteur de 55 % seulement. En revanche, il convient de réduire la poche obligataire à 23 % et de réallouer le capital restant (22%) sur du monétaire. Pour renforcer l’exposition aux actifs risqués, la poche actions n’a donc augmenté que de 5 %. En revanche, la part d’obligataire a été divisée par deux.
La démonstration n’a qu’une valeur d’exemple, mais illustre cependant le cœur de nos préoccupations en matière d’allocation : déterminer le juste niveau de risque alloué à un portefeuille, pour ensuite le préserver, ou au contraire l’ajuster si nous le jugeons nécessaire.
Si nous choisissons de préserver un budget de risque constant, alors réduire l’obligataire et intégrer un actif qui ne comporte pas de risque, le cash, permet de suivre la courbe d’efficience des marchés. Nous confirmons ainsi notre vue positive sur les actions, mais sommes en mesure de préserver un budget de risque constant si telle est notre stratégie.
Déterminer le niveau de perte acceptable
Tout l’art de la gestion, néanmoins, consiste à faire évoluer le niveau de risque au cours de la vie du portefeuille. A tel point que le budget de risque constitue d’ailleurs la pierre angulaire sur laquelle se bâtit l'allocation. D’où, évidemment, une question essentielle : comment déterminer le budget de risque des portefeuilles ? Pas de réponse simple ici, mais au contraire une combinaison de facteurs à prendre en compte :
- La confiance dans les convictions, notamment sur les vues de marché à moyen terme ou les perspectives d’évolution d’une classe d’actifs ;
- Le niveau de risque global sur les marchés, ainsi que leur nervosité (volatilité) ;
- L’historique des résultats de la gestion. L'allocation d’un budget de risque pourra varier selon que le portefeuille sort d’une période de pertes ou de gains.
Ces éléments permettent de piloter l’appétit global au risque. La seule conviction sur une classe d’actifs n’est pas suffisante, elle ne saurait s’appréhender sans déterminer un budget de risque. Ainsi, lorsque l’horizon s’éclaircit, encore faut-il juger de la direction que l’on souhaite prendre et de la voilure que l’on déploie pour y parvenir. Voilà pourquoi notre appétence pour les actifs risqués ne se traduit pas par leur simple repondération. Elle implique aussi une réflexion sur le risque global du portefeuille, qui va bien au-delà des vues directionnelles sur les actifs le composant.
Loin d’un simple arbitrage entre classes d’actifs, l’allocation est donc le résultat d’expertises combinées. Nos gérants d’actifs conjuguent leurs convictions quant à la tenue des marchés avec l’élaboration d’un budget de risque adéquat et un pilotage du portefeuille au regard de son historique, et non des seuls marchés. Pris isolément, aucun de ces éléments ne saurait suffire pour élaborer une gestion efficace.