par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
Les statistiques publiées cette semaine n’étaient pas si mauvaises. La croissance du PIB au T3 s’est révélée relativement forte en France comme en Allemagne (voir La semaine dans la zone euro). L’activité économique des deux pays, qui représente un peu moins de 50 % de la zone euro, a progressé de 1,8 % en rythme annualisé 2011 contre 0,5 % à peine au T2. Ce chiffre est bien sûr en repli par rapport à la moyenne de 2,4 % enregistrée entre la mi-2010 et la mi-2011, tandis que les autres économies de la zone euro ont accusé, dans leur ensemble, une baisse de 0,5 %. Mais, compte tenu de l’ampleur de l’austérité budgétaire dans les pays dits périphériques, cette performance reste convenable.
Aux Etats-Unis, les premiers chiffres pour le T4 annoncent que le ralentissement sera limité après un T3 robuste (+ 2,5 % en rythme annualisé). La bonne tenue des ventes au détail et de la production industrielle ne s’est pas démentie en octobre, tandis que les tensions inflationnistes finissent par diminuer (voir La semaine aux Etats-Unis). Une évolution qui va dans le bon sens non seulement pour les Etats-Unis mais aussi pour la zone euro et, en particulier, pour l’Allemagne.
Il ressort, en effet, de l’examen détaillé des chiffres américains que le secteur des biens d’équipement a été particulièrement dynamique, tandis que les nouvelles commandes confirment cette analyse. Comme il s’agit du type de biens sur lesquels l’Allemagne et les Etats-Unis sont en concurrence, les données américaines pourraient également laisser entrevoir une bonne tenue de la demande mondiale pour les produits « Made in Germany ».
En d’autres circonstances, nous en aurions conclu que la reprise gagnait en vigueur. Or, devant l’aggravation des incertitudes sur le plan budgétaire nous anticipons plutôt un ralentissement dans les pays développés. En Europe, la crise de la dette empire de jour en jour, entraînant un élargissement des écarts de rendements souverains. Cette évolution n’est pas nouvelle dans les pays périphériques, où la situation continue de se dégrader, comme en témoigne le taux d’intérêt élevé (près de 7 %) que l’Espagne a dû accepter pour émettre EUR 3,56 Mds d’obligations à 10 ans, mais elle s’étend aux pays du noyau dur, en particulier la France et l’Autriche, dont les spreads sont de l’ordre de 200 points de base. Aux Etats-Unis, le temps est de nouveau compté : le « super comité »1 doit soumettre ses recommandations avant le 23 novembre en vue de leur adoption par le Congrès d’ici Noël. Les législateurs devront ensuite voter la loi sur l’emploi (American Jobs Act2), destinée à compenser en partie les mesures d’austérité budgétaire qui, à défaut, pourraient porter un coup sévère à l’économie américaine au début de 2012.
Les choses avancent en Europe comme aux Etats-Unis. Ainsi, en Italie et en Grèce, de nouveaux gouvernements ont été formés. Dans les deux cas, la nouvelle équipe au pouvoir, qu’il s’agisse de technocrates ou d’une union nationale, devrait être à même de mettre en œuvre les réformes structurelles, certes difficiles et douloureuses, mais nécessaires. Quant aux Espagnols, ils devraient élire dimanche un nouveau gouvernement qui pourrait s’appuyer sur une large majorité et faire preuve d’une volonté sans faille de réformer (notamment le marché du travail). Aux Etats-Unis, quelques Républicains sont à présent favorables à certaines hausses d’impôts, chose qui, il y a quelques semaines à peine, était inconcevable. Aussi le « super comité » pourrait-il recommander une augmentation des recettes de USD 300 Mds et une baisse des dépenses de USD 900 Mds sur les dix prochaines années.
Cependant, même s’ils vont dans le bon sens, ces progrès restent insuffisants. En Europe, des décisions fortes se font toujours attendre pour mettre un terme à la crise. La meilleure solution consisterait à lancer des émissions d’obligations communes ou à donner au FESF accès aux liquidités de la BCE (un moyen probablement plus facile et rapide à mettre en œuvre qu’une union budgétaire, incontestable destin de l’UEM), avec d’ici là la mise en place d’un programme d’assouplissement quantitatif par la BCE. Aux Etats-Unis, il faudrait un plan courageux portant sur la réduction du déficit à moyen terme (pourquoi pas à hauteur de USD 4 000 Mds comme le demandait Standard & Poor’s ?) ainsi que sur un stimulus à court terme pour aider les ménages jusqu’à ce que le marché du travail soit de nouveau assez robuste pour jouer son rôle.
Le temps presse. En Europe en particulier, même à supposer la levée immédiate des incertitudes, les dégâts seraient manifestes : il n’est pas un jour qui passe sans licenciements massifs, entraînant une érosion supplémentaire du revenu disponible des ménages, déjà mis à mal par les mesures d’austérité budgétaire. Des décisions doivent absolument être prises sur les deux rives de l’Atlantique : si l’une des deux zones plonge, l’autre ne sera pas épargnée. Il n’existe pas de découplage entre l’Europe et les Etats-Unis.
NOTES
- Commission budgétaire bipartisane créée en vertu de la loi « Budget Control Act » (qui a relevé le plafond de la dette fédérale début août 2011) afin d’identifier des coupes budgétaires à moyen terme, voir EcoWeek #11-29, « Finances publiques ; une bataille, pas la guerre ».
- La loi, telle que proposée par le président Obama (voir EcoWeek#11-31 « The wireless Keynesian »), a été rejetée par le Congrès qui pourrait néanmoins adopter certaines dispositions de ce projet.