par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas
Un an après le sauvetage financier de la Grèce par l’UE et le FMI, l’idée d’un nouveau soutien financier s’est invitée à la table des négociations de la Troïka (UE, FMI, BCE) cette semaine.
Déjà, lors du Sommet européen du mois de mars, les conditions attachées aux prêts internationaux accordés à la Grèce avaient été adoucies. Le financement initial, d’une maturité moyenne de 4 ans et demi et assorti d’un taux d’intérêt de 5,2%, avait été rallongé à 7 ans et demi et le taux d’intérêt moyen baissé de 100 points de base, à 4,2%.
Grâce à cette renégociation, concédée contre l’engagement de mettre en œuvre un plan de privatisation de 50 milliards d’euros, la Grèce avait vu ses besoins de financement allégés à partir de 2013 : le remboursement des prêts officiels initialement prévu en mai 2013 ne commencera qu’en septembre 2014 et s’étalera davantage dans le temps.
Mais c’est bien la situation de la Grèce avant 2013 qui inquiète les investisseurs, comme le montre l’inversion de la courbe des rendements obligataires observée depuis quelques mois. En effet, le programme mis au point conjointement par la Commission européenne et le FMI prévoit un retour progressif de la Grèce sur les marchés de capitaux à partir de 2012. Au total, sur les 66,6 milliards d’euros de besoins de financement estimés par le FMI l’année prochaine, 43 milliards sont censés être financés de manière autonome par la Grèce, dont 27 milliards à moyen et long terme. Sans une très forte détente des primes de risque d’ici là, cela paraît difficile.
Le sort de la péninsule hellénique est donc une fois encore suspendu au soutien financier de la Troïka. Le pays a besoin d’une nouvelle aide financière pour honorer ses tombées d’emprunts en 2012. Comme il y a un an, cette perspective fait l’objet de divisions au sein de l’Union européenne.
Dans ce troisième acte de la « tragédie grecque », une nouvelle idée est entrée en scène par la voix du ministre des Finances allemand Wolgang Schäuble : celle de la « restructuration volontaire ». Il s’agirait pour les créanciers privés de concéder une extension de la maturité des obligations grecques détenues en portefeuille, repoussant ainsi leurs remboursements dans le temps, ce qui laisserait plus de temps au pays pour convaincre de sa solvabilité et réduirait ses besoins de liquidité en 2012. Réalisée sur une base volontaire et n’entraînant pas de perte en capital ou en coupon, cette option pourrait ne pas être considérée comme un défaut.
Toutefois, cette solution se heurte à plusieurs écueils. D’abord, elle n’améliorerait en rien le ratio de dette publique sur PIB, qui est le sujet de préoccupation principale des investisseurs.
Ensuite elle n’allégerait pas les efforts que la Grèce doit encore fournir pour redynamiser son économie et dégager un surplus primaire (i.e. un solde public positif avant le paiement des intérêts), conditions sine qua none à la réussite du redressement de son économie. Dès lors, si les créanciers privés estiment qu’octroyer un délai supplémentaire à la Grèce ne changera pas fondamentalement la donne, ils seront peu enclins à l’accorder. Du point de vue de la zone euro, les bénéfices apparaissent minces au regard des risques potentiels. En effet, une restructuration, même douce, de la dette grecque, pourrait générer une défiance accrue envers les banques grecques, très exposées au secteur public et déjà très dépendantes des financements de la BCE. De plus l’Irlande et le Portugal, également sous un programme UE-FMI, feraient probablement l’objet de la spéculation des marchés sur un sort comparable à celui de la Grèce.
Pour le moment, aucune décision n’a été prise concernant la Grèce. La Troïka attend le rapport du FMI, à paraître mi-juin, pour juger des avancées en matière de consolidation budgétaire et de soutenabilité de la dette publique à moyen terme. L’issue la plus probable reste l’octroi d’une nouvelle ligne de crédit par les créanciers multilatéraux contre de nouveaux engagements du gouvernement grec en matière de privatisation, de lutte contre la fraude fiscale et de modernisation de l’économie. Assortir cette nouvelle aide d’une proposition de rééchelonnement de la maturité de toute la dette publique grecque (à la fois la partie détenue par les créanciers multilatéraux et celle détenue par les créanciers privés) ne peut pas être totalement exclu, mais nous considérons cette issue peu probable : parce que la Grèce est dans la zone euro, son avenir engage l’ensemble de la zone et s’inscrit dans une dimension politique qui vient s’ajouter à celle de l’économie.
Enfin, cette semaine de négociations a également apporté des précisions quant aux conditions de l’aide au Portugal, le troisième pays à bénéficier d’un soutien financier après la Grèce et l’Irlande. Après avoir annoncé le montant de 78 milliards d’euros début mai, les experts de la Troïka ont précisé que leur soutien financier prendrait la forme de prêts d’une durée moyenne de 7 ans et demi assortis d’un rendement moyen de 5,1%. Les termes de l’aide sont conformes aux attentes et, pour ce qui est du taux d’intérêt, presque identiques à ce qui avait été initialement accordé à la Grèce
Grâce à ces prêts, les besoins de financement du Portugal sont très largement couverts pendant trois ans. Cela devrait donner du temps au pays pour réduire son endettement et se consacrer à ses principaux défis, réduire son déficit public et relever sa croissance potentielle.