par Klaas Smits, responsable des stratégies « Food & Agri » chez Robeco
La réduction des pertes alimentaires jouera un rôle décisif dans les efforts entrepris pour nourrir une population mondiale toujours plus importante. Combien d’argent dépensez-vous inutilement en nourriture ? Nous reviendrons sur cette question plus tard. La grande quantité de perte et le gaspillage de nourriture – les aliments que l’on fait pousser mais qui ne parviennent jamais jusqu’à nos assiettes – est un problème crucial et qui prend de l’ampleur, étant donné que la demande en nourriture augmente bien plus rapidement que l’offre.
La demande devrait en effet augmenter d’au moins 70% sur les 40 prochaines années en raison d’une croissance rapide de la population mondiale – 2.4 milliards d’individus supplémentaires en 2050 – mais également de la hausse du revenu par habitant, de l’évolution des régimes alimentaires au profit d’une consommation plus protéinée et de l’utilisation accrue des biocarburants. Et ces moteurs de la demande ne sont pas près de disparaître.
Du point de vue de l’offre, en revanche, les producteurs luttent pour suivre. Depuis plus de 10 ans, les deux principaux facteurs permettant d’accroitre la production – l’extension des terres arables et les rendements plus importants – n’ont pas suivi le rythme de croissance accélérée de la demande. Le secteur de l’alimentation et de l’agriculture fait donc face à un sérieux défi : celui de satisfaire une demande en nourriture qui ne cesse d’augmenter.
Est-il possible de nourrir une population mondiale toujours plus élevée ?
Il n’est pas étonnant que l’attention se porte sur les moyens d’accroitre les volumes de production alimentaire. L’amélioration des rendements agricoles (par le biais des graines, des fertilisants, de la protection des plantes…), l’intensification durable et la stimulation des échanges commerciaux (pour combler les différences entre une production dispersée géographiquement et la demande) sont des voies possibles pour satisfaire une demande toujours plus élevée. Cela nécessitera de mettre en place des solutions innovantes et d’effectuer des investissements, mais cela est tout à fait faisable.
Arrêter le gaspillage fait partie de la solution
Accroitre le volume de nourriture produite n’est toutefois pas la seule réponse. Il est en effet possible d’améliorer chaque maillon de la chaîne alimentaire. Mais la réduction des pertes et du gaspillage est un élément crucial si l’on souhaite répondre aux besoins d’ici 2050.
Soyons bien clairs, ce n’est pas un point secondaire. Selon la FAO, l’organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, environ un tiers de la nourriture comestible produite par l’homme est perdu, gaspillé ou jeté en raisons d’inefficacités dans la chaîne alimentaire. Cela représente environ 1,3 milliard de tonnes chaque année. En Europe et aux Etats-Unis, les pertes par personne atteignent plus de 280 à 300 kg par an.
Mais de quelles sortes d’inefficacités parle-t-on? Dans les pays industrialisés, le problème est visible dans les phases de vente et de consommation où l’on enregistre 40% de gaspillage. Les vendeurs jettent les aliments qui n’ont pas un aspect parfait et les consommateurs jettent à la poubelle les denrées dont ils ont mal géré les dates de péremption indiquées par le traditionnel « à consommer de préférence avant le… », la plupart étant toujours propre à la consommation.
Prenons le Royaume-Uni comme exemple. Chaque année, les Anglais jettent 18 millions de tonnes d’aliments comestibles. Et pour répondre à la question posée en début d’article, cela représente probablement beaucoup d’argent.
Selon une recherche menée en 2010 par le Conseil d’Alimentation et d’Agriculture danois, une famille danoise moyenne composée de deux adultes et deux enfants jette à la poubelle 1 341 euros de nourriture chaque année.
Le stockage dans les pays en développement est souvent inapproprié
Les problèmes qui se posent dans les pays à revenus faibles sont différents. Il est nécessaire de réduire les lourdes pertes subies lors des phases de production succédant la récolte qui sont le résultat de méthodes de récolte, de stockage, de traitement et de distribution des produits inefficaces. Sans considérer les facteurs financiers et managériaux, ces pertes sont causées par des limites techniques telles que des modes de stockage inappropriés, des installations réfrigérées en mauvais état ou par les conditions climatiques difficiles. Il est donc nécessaire de mettre en place des solutions de stockage de meilleure qualité.
Mais le stockage n’est pas un domaine très attrayant. Dans les pays au climat chaud, les produits frais comme les fruits et les poissons peuvent se perdre en raison du manque d’infrastructures dédiées au transport, au stockage ou à la réfrigération. Parfois, les récoltes laissées dans les champs pourrissent par défaut de lieux de stockage. Mais même quand il existe de la place disponible, si elle n’est pas adaptée, les ravageurs et les micro-organismes détruisent les récoltes.
Au total, plus de 40% des pertes alimentaires dans les pays en voie de développement se produisent dans ces phases post-récolte ou de traitement.
Investir dans des installations de réfrigération et les terminaux portuaires
Réduire de telles pertes contribuera à améliorer de manière significative l’efficacité de la chaîne de production alimentaire dans son ensemble. Et c’est en cela que les investissements du secteur privé peuvent faire la différence.
Naturellement, le secteur public doit aussi jouer un rôle, en construisant par exemple des routes et des ports dans les pays en voie de développement. Mais il n’en demeure pas moins que les investissements privés seront déterminants. Ils sont une source logique de financements permettant d’améliorer les installations de stockage et les systèmes réfrigérés dans ces zones, de même que les infrastructures logistiques et de transports telles que les terminaux portuaires ou les élévateurs à grain.
En revanche, dans les pays industrialisés, des solutions intelligentes peuvent aider à stopper le gaspillage de nourriture. Grâce aux emballages MAP (modified atmosphere packaging) contenant du CO2, la durée de vie du saumon sur les étalages a été étendue de manière significative. Et il peut désormais être acheminé par voie maritime plutôt qu’aérienne, ce qui signifie une consommation réduite d’énergie.
Une chose est sûre : le secteur de la nourriture et de l’agriculture ne concerne pas uniquement les fermiers, les producteurs de graines ou les groupes agro-alimentaires. Il faut le regarder d’une manière plus globale. Le stockage, le transport et l’emballage sont les piliers de cette industrie qui permettront de nourrir les 9,3 milliards de personnes qui peupleront la terre en 2050.