Allemagne : aider encore un peu la Grèce ?

par Philippe Vilas Boas, économiste au Crédit Agricole

• Les fonds publics mis à disposition de la Grèce par les pays de la zone euro sont significativement élevés. La position allemande de premier garant auprès du fonds de stabilité européen l’expose à des appels au financement supplémentaires.

• Les marges de manœuvre du gouvernement grec sont étroites et les créanciers peu enclin à accorder davantage.

• L’éventualité d’une renégociation de la dette grecque inquiète particulièrement outre- Rhin. Pour l’Allemagne, l’enjeu est triple : éviter la remise en cause du modèle d’austérité, empêcher la division politique qui profiterait surtout à l’AFD (parti eurosceptique), et enfin, nourrir le débat sur la mise en place d’un QE souverain par la BCE.

Une exposition à la dette grecque élevée

La dette grecque s’élève à 321 Mds € (soit 175% du PIB) dont la majeure partie est détenue par des créanciers publics européens pour un montant de 194,7 Mds € (soit 60,5% de la dette globale). Ce montant provient, d’une part, des prêts octroyés à travers le programme EFSF pour 141,9 Mds € (soit 44% de la dette) et, d’autre part, de prêts bilatéraux à hauteur de 52,9 Mds € (soit 16,5% de la dette). Les autres principaux détenteurs de la dette sont le FMI pour 32,1 Mds € et la BCE pour 25 Mds €. Au total, les sommes engagées par ces créanciers englobent 80% de la dette grecque.

Le financement du fonds européen de stabilité étant assuré par les pays de la zone euro en proportion de la taille de leur PIB, les pays les plus importants se retrouvent, de facto, les plus exposés à la dette grecque. L’Allemagne en premier lieu, mais aussi la France, l’Italie et l’Espagne ont, à ce titre, engagé des fonds conséquents.

Sur les 194,7 Mds € d’argent public prêté à la Grèce, l’Allemagne en concentre 56,5 Mds €, soit 29% des aides avancées. La contribution allemande se compose de 41 Mds € provenant des fonds EFSF et de 15,2Mds € de prêts bilatéraux. En prenant en compte les différents prêts accordés aux banques grecques (4,6 Mds €) et aux entreprises ou individus privés (3,6 Mds €), l’exposition globale de l’économie allemande à la dette grecque atteint 64,7 Mds €, soit 2,4% du PIB allemand.

Un retour difficile à la table des négociations

Dans la pratique, les marges de manœuvre du futur gouvernement grec sont limitées. En effet, une ligne de crédit contingente de 10Mds € (provenant de l’ESM) devrait prendre le relai de l’actuel programme de soutien qui se termine fin février. Or, sans ces fonds publics et le respect des recommandations de Bruxelles qui leur sont rattachées, la poursuite d’émissions obligataires sur le marché ne pourrait être reconduite. Cette situation remettrait en cause le remboursement du nominal auprès des prêteurs officiels et l’éligibilité du pays au système d’emprunt de l’euro système.

La restructuration d’un tiers de la dette grecque, comme proposée par le parti Syriza paraît peu vraisemblable car elle obligerait les créanciers publics à accuser des pertes certes soutenables, mais délicates à justifier du point de vue politique. Toutefois, sous cette hypothèse, l’Allemagne pourrait ainsi faire une croix définitive sur plus de 20 Mds €.

Le futur gouvernement de coalition grec perd peu à demander une renégociation de sa dette vis-à- vis des créanciers publics. Différentes pistes pour alléger le fardeau grec peuvent être exploitées. Tout d’abord, la réduction du spread sur Euribor appliquée sur les prêts bilatéraux, permettrait de réduire le taux d’intérêt pratiqué et le coût global de l’emprunt. Ensuite l’allongement de dix ans des maturités sur les prêts bilatéraux et EFSF, allégerait les remboursements annuels.

Un processus de négociations long et complexe devra donc être entamé, afin de trouver une solution pérenne à la soutenabilité à long terme de la dette grecque.

Un compromis plutôt qu’un équilibre

L’Allemagne doit faire face à plusieurs enjeux de taille.

– Fédérer sur le cap à maintenir en matière de finances publiques

Accepter une renégociation de la dette grecque pourrait pousser d’autres pays en difficulté dans la zone euro, à réclamer, eux aussi, une renégociation de leur dette. Le Portugal dont la dette atteint 129% du PIB en 2014, pourrait ainsi demander de meilleures conditions d’emprunts et des taux d’intérêt plus favorables. Egalement, le dérapage des déficits publics en France, en Espagne et au Portugal confirme que le modèle d’austérité préconisé n’obtient pas l’adhésion unanime des membres de l’Union.

– Risques de dispersion politique

Sur le plan de la politique intérieure, les tensions commencent à s’accentuer parmi l’aile droite de la coalition (CDU-CSU) qui reproche à la chancelière Merkel de mener une politique trop centriste au détriment de son propre électorat. Le sentiment d’avoir largement contribué au sauvetage des pays « périphériques » et d’être soumis à un chantage politique nourrit avant tout la montée des extrêmes. La progression du parti eurosceptique AFD, qui prône la dissolution de la zone euro, car celle-ci est jugée responsable de l’explosion de la dette allemande, est inquiétante. En effet, le parti « alternative pour l’Allemagne », créé seulement en 2013, obtient des sièges dans trois des seize parlements régionaux (Brandebourg, Thuringe et Saxe) et est représenté par sept députés au Parlement européen. Egalement, le cas grec vient raviver l’élan patriotique et anti-immigration porté par le mouvement d’extrême droite Pegida.

– Garder un droit de regard sur la politique monétaire européenne

Le risque politique grec alimente la réticence allemande à l’égard de l’introduction d’un nouveau programme de rachats d’actifs par la BCE ; celui-ci étant considéré comme une mutualisation du risque souverain. Or, le gouvernement estime que les contribuables allemands ont assez fait les frais de la mauvaise gestion des gouvernements des pays du Sud en matière budgétaire. A cet égard, les multiples interventions du président de la Bundesbank, Jens Weidmann, et du ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, confirment la volonté de poursuivre les réformes structurelles et l’austérité budgétaire pour les pays non vertueux.

Les achats massifs de dettes souveraines préconisés par la BCE pour relancer la croissance en zone euro, pourraient voir ainsi leurs modalités modifiées. Alors que l’on envisageait auparavant des rachats indifférenciés de dette souveraine en proportion du capital apporté à la BCE, les rachats pourraient dorénavant ne porter que sur des papiers à notation AAA, ou bien même, abandonner le principe de partage des risques en faisant porter le risque de défaut directement par les banques centrales nationales. Cet ajustement serait plus à même de lever les objections allemandes sur l’introduction du QE. Et l’adhésion de l’Allemagne à ce tournant de politique monétaire proposé par la BCE est également indispensable.

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