par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• L’effondrement du PIB au premier trimestre (-3,8 % t/t) s’explique par un nouveau recul marqué des exportations et de l’investissement.
• Le mouvement en cours de déstockage et de désinvestissement des entreprises pourraient entraîner une nouvelle contraction de l’activité au troisième trimestre.
• Le nécessaire rééquilibrage de la croissance en faveur de la consommation des ménages est menacé par la remontée du chômage. Un retour rapide au potentiel de croissance paraît peu probable avant 2011.
Exportations et investissement en chute libre
La contraction historique de l’activité en Allemagne a été confirmée cette semaine. Avec un recul de 15,2 % l’an au premier trimestre 2009, le PIB affiche désormais une baisse de 7 % depuis le pic du cycle d’activité début 2008, et retrouve ainsi son niveau de 2005. Cette baisse cumulée de la production est d’ores et déjà la plus sévère depuis la seconde guerre mondiale.
La publication des comptes nationaux au premier trimestre fournit des éléments d’explication à un choc d’une telle ampleur.
Les exportations, d’abord, se sont effondrées de 9,7 % t/t au premier trimestre. Malgré une baisse marquée des importations, la demande externe a contribué négativement à la croissance pour le troisième trimestre consécutif, à hauteur de 2,3 points de pourcentage. Jamais par le passé les exportations n’avaient enregistré une baisse aussi forte pendant une période de temps aussi longue.
La crise financière, par son impact dépressif sur la demande, peut expliquer un tel ajustement, mais il faut rappeler que le ralentissement des échanges internationaux a touché des économies européennes déjà fragilisées par un choc pétrolier, une appréciation du change et une remontée des taux d’intérêts jusqu’à l’été 2008. Dans le cas de l’Allemagne, l’exposition au retournement de la demande externe est plus importante car la part des exportations dans le PIB n’a cessé de croître depuis la fin des années 90 (cf. graph. infra). Enfin, la forte exposition des entreprises et des banques allemandes à des pays émergents en récession sévère, notamment en Europe de l’Est, n’a fait qu’amplifier le mouvement.
L’effondrement de la demande adressée a également entraîné un désinvestissement massif des entreprises allemandes. Les dépenses d’investissement en biens d’équipement (près de 45 % du total) sont en chute libre, à -16,2 % t/t soit plus de 50 % l’an au premier trimestre. Dans l’industrie, le taux d’utilisation des capacités a continué de chuter en 2009, atteignant le point bas historique de 71,5 %. Dans ces conditions, une reprise durable de l’investissement paraît peu probable à court terme. Les enquêtes d’intention auprès des chefs d’entreprise suggèrent en effet que les nouveaux plans d’investissement seront pour la plupart repoussés à l’année prochaine. Cette composante essentielle de la croissance (20 % du PIB environ, mais une contribution moyenne à la croissance nettement supérieure depuis 2005) pourrait continuer de se contracter au prochain trimestre, quoique à un rythme moins élevé.
Le déstockage n’est probablement pas achevé
Contrairement à notre prévision, la baisse des stocks n’explique qu’une faible partie du recul du PIB au premier trimestre (0,5 sur 3,8 points de pourcentage). Certes, le niveau des stocks au pic de l’activité était probablement moins élevé que dans les autres pays européens. Les enquêtes de la Commission européenne auprès des entreprises suggèrent toutefois qu’une partie du déstockage reste à faire en Allemagne (cf. graph. infra). A noter que la composante stocks de l’indice PMI a déjà chuté, indiquant une forte réduction des stocks de produits finis dès le mois de mai. Si l’ajustement des stocks est plus important qu’au T1, le taux de croissance du PIB au deuxième trimestre pourrait être négatif pour la cinquième fois consécutive, et ce malgré une possible stabilisation des exportations nettes.
Chute des profits et partage de la valeur ajoutée
La chute des profits de entreprises de près de 15 % t/t au premier trimestre (après -7 % au T4 2008) a conduit à une forte déformation dans le partage de la valeur ajoutée. Le processus de rééquilibrage de la VA en faveur des salaires, amorcé mi-2008, s’est accéléré début 2009 compte tenu de la relative stabilité de la masse salariale totale (cf. graph. infra), d’autant que des effets statistiques ont pu jouer. En conséquence, la productivité apparente du travail a lourdement chuté, bien au-delà des variations cycliques habituelles.
Faut-il en conclure que le rééquilibrage de la croissance au profit de la consommation va s’accélérer ? Notre scénario central table plutôt sur une reprise très graduelle de la demande interne d’ici 2011. Certes, la consommation des ménages a rebondi de 0,5 % t/t au premier trimestre, une bonne surprise qui doit être reliée aux mesures incitatives mises en place dans le secteur automobile notamment (primes à la casse).
Malgré un rebond inattendu des dépenses en avril et une inflation devenue négative en mai, les ventes de détail continuent toutefois de baisser en tendance.
Nous excluons un effondrement de la consommation privée, mais les risques sont baissiers à court terme, dans un contexte de remontée graduelle du taux de chômage. De ce point de vue, le plan de relance de l’économie devrait produire ses pleins effets dès la fin de cette année, via les baisses d’impôt et de cotisations sociales notamment. Au total, la croissance du PIB pourrait redevenir positive avant la fin de l’année, mais un retour rapide au potentiel paraît peu probable avant 2011.