par Raymond van der Putten, économiste chez BNP Paribas
• Le niveau élevé de l'épargne des ménages et des entreprises a porté l'excédent des comptes courants à 8,6% en 2015, un nouveau sommet historique.
• Cela est en partie lié au vieillissement de la population et à l’hésitation des entreprises à accroître les investissements.
• Sauf changement de politique, l’excédent de l’épargne en Allemagne devrait rester élevé dans les années à venir. L’insuffisance de l’investissement est préjudiciable au potentiel de croissance du pays.
En 2015, l’excédent des comptes courants allemand a grimpé à 8,6 % du PIB contre 7,4 % en 2014 (Graphique), atteignant ainsi un nouveau record historique. Les principales contributions à cet excédent sont celles du secteur des ménages et des sociétés non financières. Les comptes relatifs au secteur des administrations publiques et au secteur financier étaient proches de l’équilibre.
L’excédent élevé des comptes courants allemands est une question controversée. Nombreux sont ceux qui y voient un facteur à l’origine de l’atonie de la croissance dans la zone euro. En février dernier, la Commission européenne s’est également penchée sur la question dans son étude approfondie sur les déséquilibres macroéconomiques de l’Allemagne. Attribuant en partie l’excédent élevé et persistant des comptes courants à la faiblesse des investissements, elle avertit que cette situation fait peser des risques sur le potentiel de croissance de l’économie allemande et préconise l’adoption de mesures visant à favoriser l’investissement privé.
Les ménages : épargner en vue de la retraite
Malgré la baisse des taux d’intérêt en 2015, les ménages ont porté leur épargne à 9,7 % du revenu disponible net contre 9,5 % en 2014. Ce taux relativement élevé de l’épargne – il est de 4 % en moyenne dans l’UE – tient en partie au vieillissement de la population.
Les ménages allemands ont traditionnellement une aversion au risque. Près de 40 % de leurs actifs sont investis dans la monnaie fiduciaire et les dépôts. De plus, près de 40 % des actifs financiers des ménages sont placés dans des régimes à prestations garanties. Le taux minimum de rendement garanti des contrats d’assurance vie – actuellement fixé à 1,25 % – fait tout l’attrait de ce type d’épargne. En raison du recul des taux d’intérêt – le rendement du Bund 10 ans s’élevait à 0,17 en mai 2016 – il est quasiment certain que le ministre des Finances finira par diminuer de nouveau le taux de rendement minimum garanti.
En quête de rendement, les ménages ont réduit les placements en titres de dette et en dépôts au profit de classes d’actifs plus risqués comme les actions, dont la part dans leur portefeuille a grimpé à 19,6 % en 2015, près d’un point de pourcentage de plus qu’en 2014.
Sociétés non financières : une année exceptionnelle
En 2015, l’excédent financier du secteur non financier est passé à 3,9 % du PIB, soit 0,9 point de pourcentage de plus qu’en 2014. Le secteur a bénéficié d’une forte hausse du chiffre d’affaires et d’un redressement des marges bénéficiaires en raison de la chute des coûts de capital, ainsi que de la baisse des prix des matières premières et des biens intermédiaires. D’un autre côté, les coûts de main-d’œuvre ont considérablement augmenté, en partie en raison de l’introduction du salaire minimum au niveau national. À cela s’ajoute la contraction des bénéfices sous l’effet de facteurs exceptionnels comme les dotations considérables aux provisions dans l’industrie automobile suite au scandale des émissions des moteurs diesel.
Malgré la bonne tenue des résultats et la faiblesse des taux d’intérêt, les entreprises allemandes n’ont guère augmenté leurs dépenses d’investissement. Au lieu de cela, elles ont affecté une part importante de leurs ressources financières au renforcement de leur présence dans les chaînes de valeur mondiales en délocalisant la production au profit des pays d’Europe de l’Est et d’autres économies émergentes.
Un changement de politique s’impose
En 2016 et 2017, l’excédent de la balance courante pourrait diminuer tout en se maintenant à un niveau proche de 8 % du PIB. Alors que les taux d’intérêt sont bas, voire dans certains cas négatifs, et que les besoins en investissements, en particulier dans les infrastructures publiques, sont élevés, l’économie allemande persiste à ne pas accroître ses investissements. Un véritable problème auquel il convient de remédier et qui amène à s’interroger sur le bien-fondé de la politique d’équilibre budgétaire. Des mesures de relance budgétaire conjuguées à des réformes structurelles pourraient améliorer le potentiel de croissance de l’Allemagne et stimuler l’investissement privé.