par Juliette Cohen, Stratégiste chez CPR AM
Le pacte de stabilité et de croissance a été adopté en 1997 en même temps que la monnaie unique. Il comprend l’ensemble des critères budgétaires que les Etats se sont engagés à respecter à la suite de leur adhésion à l’Union monétaire européenne afin d’éviter l’apparition de déficits publics excessifs. Il découle des critères de Maastricht. Les crises de 2008 et 2011 ont mis en avant l’interdépendance des économies de la zone euro et le besoin d’une coopération accrue des politiques économiques.
Le Pacte de Stabilité et de croissance a donc été complété et renforcé notamment en 2011 (Six Pack) et en 2013 (Two Pack et Traité de Lisbonne ou Traité intergouvernemental sur la stabilité, la coordination et la gouvernance). Ces textes prévoient de nouvelles règles budgétaires préventives et correctives et des outils de suivi des politiques économiques. La surveillance budgétaire est ainsi complétée par un suivi plus large d’indicateurs macroéconomiques afin de mieux coordonner les politiques budgétaires nationales. Pour garantir des finances publiques saines, il s’agit de prévenir les déséquilibres macroéconomiques, de soutenir les réformes structurelles et de stimuler la croissance, l’emploi et l’investissement. Enfin, elles s’inscrivent dans un calendrier formalisé : le semestre européen.
Comment fonctionne le semestre européen et le calendrier budgétaire de l’Union ?
Depuis 2011 et la création du semestre européen, les discussions budgétaires dans l’Union européenne suivent un calendrier précis.
Le semestre européen débute en novembre avec la publication par la Commission européenne de plusieurs documents de travail : L’Etude annuelle sur la croissance qui définit les priorités de l’Union européenne pour l’année à venir, les Recommandations pour la zone euro, et enfin le Rapport sur le mécanisme d’alerte pour les Etats présentant des déséquilibres macroéconomiques.
Puis, en avril, tous les membres de l’Union européenne transmettent à la Commission un Programme de stabilité et de croissance qui présente la stratégie et la trajectoire à moyen terme (3-4 ans) des finances publiques. Ils élaborent également un Programme national de réforme (PNR) qui synthétise la stratégie de réforme nationale dans le cadre de la coordination des politiques économiques. La Commission émet ses recommandations en mai. Celles-ci seront adoptées par le conseil européen au cours de l’été et doivent théoriquement être prises en compte dans le Projet de loi de finances pour l’année suivante.
A compter de l’été, c’est le semestre national qui débute avec la préparation du budget pour l’année suivante. Les Etats doivent adresser leurs projets de budget à la Commission européenne avant le 15 octobre. Celle-ci a jusqu’au 30 novembre pour émettre des remarques. Les parlements nationaux étant souverains sur les questions budgétaires, ils procèdent ensuite au vote de leur budget, théoriquement avant le 31 décembre.
Quelles sont les procédures budgétaires qui peuvent être mises en place ?
Le suivi budgétaire comprend à la fois un volet préventif et un volet correctif.
Le volet préventif a pour objectif de s’assurer que la politique budgétaire de chaque Etat est menée de façon durable. Son suiviest réalisé au travers du programme de stabilité pour les Etats membres de l’Euro et du programme de convergence pour les Etats de l’Union européenne qui n’ont pas adopté l’euro. Celui-ci est réalisé sur un horizon de 3 ans et mis à jour chaque année. Il prévoit un objectif de moyen terme (MTO) de trajectoire du solde public qui est défini de façon spécifique pour chaque pays et hors effets cycliques, ainsi que la trajectoire d'ajustement éventuel en cas de dépassement limité. Le Pacte de stabilité est rendu public.
Le conseil européen peut émettre des recommandations et une procédure d’alerte est prévue en cas de dérapage budgétaire significatif par rapport à l’objectif de moyen terme qui peut aller jusqu’à la prise de sanction.
Le volet correctif du Pacte de Stabilité définit les mesures que doivent prendre les Etats en cas de déficit ou de dette considérés comme excessifs. Il est mis en place via la procédure pour déficit excessif (article 126 du traité sur le fonctionnement de l’UE).
Si le déficit public est supérieur à 3% du PIB, la procédure est théoriquement activée. Elle prévoit néanmoins un peu de souplesse en cas de circonstances exceptionnelles ou de dépassement temporaire. Le Conseil peut émettre des recommandations et en théorie aller jusqu’à mettre des amendes (0.2% à 0.5% du PIB de l’Etat).
Lorsque la dette publique d’un Etat est élevée, supérieure à 60% du PIB et qu’il n’a pas réduit d’1/20èmepar an la dette excessive, il peut également être suivi dans le cadre de la procédure pour déficit excessif. La Commission surveille alors l’évolution du déficit structurel, c’est à dire le déficit hors effets cycliques, afin de suivre une trajectoire graduelle de réduction de la dette (1/20 ème par an de la dette en excès par rapport aux 60%).
Lorsque le déficit ou la dette est revenu dans les limites autorisées, la Commission demande l’abrogation de la procédure pour déficit excessif. Cette sortie doit être validée par les ministres des finances de la zone euro. Un an après la sortie de la procédure, le pays reste sous revue dans le cadre du volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance.
La France est sortie en 2018 de la procédure pour déficit excessif et l’Espagne devrait en sortir prochainement.
Enfin, afin de ne pas se focaliser exclusivement sur des critères budgétaires, la procédure pour déséquilibres macroéconomiques excessifs a été mise en place à la suite des crises de 2008 et 2011. Elle vise à alerter de façon précoce sur tout déséquilibre qui pourrait avoir des répercussions sur d’autres Etats membres. Celui-ci peut être interne ou externe.
Le mécanisme d’alerte se base sur un tableau de bord comprenant 14 indicateurs qui portent sur l’immobilier, la compétitivité, l’endettement du secteur privé, le marché du travail, la balance des comptes courants…
La Commission décide ensuite quels sont les états pour lesquels une analyse approfondie (In Depth review) est nécessaire.
Si la Commission estime, sur la base des résultats obtenus, qu’il existe des déséquilibres macroéconomiques, elle a l’obligation d’en informer le Parlement européen, le Conseil et l’Eurogroupe. Le Conseil peut, sur recommandation de la Commission, adresser à l’État membre concerné des recommandations.
Si le déséquilibre est jugé excessif, une procédure pour déséquilibre excessif peut être lancée. Elle prévoit la graduation habituelle des réponses : recommandations, mises en demeure et amendes.
Les pays peuvent être classés dans 4 catégories : sans déséquilibre, avec déséquilibre, avec déséquilibre excessif et enfin avec déséquilibre excessif requérant une action corrective.
Quels sont les pays qui ont été suivis pour déficit excessif ?
Sur les 28 pays de l’Union européenne, seuls l’Estonie et la Suède n’ont pas été sous le coup d’une procédure pour déficit excessif à la suite de la crise de 2008.
L’Italie et la Belgique sont suivies du fait de leur dette élevée (132% et 103% du PIB en 2017) mais ne sont pas à proprement parler sous le coup d’une procédure.
La Hongrie et la Roumanie font l’objet d’un suivi préventif dans le cadre d’une procédure pour déviation significative dans le cadre du volet budgétaire préventif.
En 2018, 8 pays sont suivis pour des déséquilibres macroéconomiques. Par exemple, les Pays-Bas pour leur secteur immobilier ou l’Allemagne du fait de son excédent courant élevé (8,5% du PIB). Trois pays connaissent des déséquilibres macroéconomiques excessifs : la Croatie, l’Italie et Chypre mais la procédure pour déséquilibre macro-économique excessif n’a jamais été activée.
Enfin, la Grèce fait l’objet d’une surveillance dans le cadre d’un programme d’ajustement macroéconomique, hors procédure classique.
Est-ce que la Commission dispose réellement d’un pouvoir de sanction ?
En cas de dépassement des limites budgétaires, la Commission procède dans un 1er temps à des recommandations. Elle suggère des mesures correctives aux Etats. Elle peut ensuite émettre des mises en demeure en cas de non réaction de l’état membre. Le stade ultime est la sanction financière puisque les traités prévoient des pénalités qui peuvent atteindre 0,2% à 0,5% du PIB.
Il faut bien rappeler qu’aucun pays n’a été soumis à des sanctions pécuniaires même s’il n’a pas suivi les recommandations du Conseil de l’Union européenne, et même à plusieurs reprises pour certains d’entre eux. Il serait très difficile politiquement de sanctionner un Etat qui se trouverait déjà dans une situation financière délicate.
Seuls les pays (Grèce, Portugal, Espagne, Irlande) qui ont demandé une assistance financière à l’Union européenne, soumise à une stricte conditionnalité, via le Mécanisme européen de stabilité, ont appliqué les règles contraignantes qui leur ont été imposées.
Ils restent ensuite sous surveillance post-programme tant que 75% de l’aide financière qu’ils ont reçue n’ont pas été remboursés.
Sur l’Italie, où en sommes-nous sur la préparation du budget 2019 ?
Nous sommes dans la phase de préparation des budgets pour 2019 qui doivent être adressés à la Commission européenne mi-octobre. Le gouvernement Gentiloni avait prévu dans le Pacte de stabilité d’avril 2018, une trajectoire de baisse du ratio de dette/PIB grâce à un excédent primaire élevé (>3% du PIB) et une baisse graduelle du ratio de déficit/PIB.
La coalition au pouvoir a remis clairement en cause cette stratégie de réduction de la dette. Elle a initialement proposé une augmentation du ratio de déficit/PIB de 1,8% en 2018 à 2,4% pour 2019, contre 0,8% dans le Pacte de stabilité, et le maintien sur ce niveau pour 3 ans. La Commission a immédiatement réagi en affirmant que ce budget était « hors des clous » par rapport aux règles budgétaires européennes. Le gouvernement a par la suite infléchi sa position en réduisant son objectif de ratio déficit/PIB à 2,1% pour 2020 et 1,8% pour 2021 tout en maintenant les 2,4% pour 2019.
Quelle réaction attendre de la part de la Commission européenne ?
Le texte officiel a été transmis au parlement italien et à la Commission européenne le 4 octobre. Celle-ci a déjà réagi en estimant que le projet constituait une déviation significative par rapport à la trajectoire budgétaire recommandée par le conseil et que cela constituait une source d’inquiétude sérieuse. La Commission a rappelé qu’elle était disposée à la négociation avec le gouvernement italien. A ce stade, le lancement d’une procédure pour déficit excessif n’est pas exclu. Mais il nous semble que si le gouvernement adopte une position plus conciliante, la Commission européenne peut également faire preuve d’un peu de souplesse d’autant que la perspective des élections européennes fin mai devrait l’y inciter.
Plus que la réaction de la Commission européenne, le gouvernement Italien devait être sensible à l’écartement des spreads italiens qui ont atteint leurs plus hauts de l’année à plus de 300bp après l’annonce du projet de budget 2019. Le marché est préoccupé par une possible dégradation de la note de l’Italie. En effet, deux agences, Moody’s et Standard and Poor’s ont mis sa note sous surveillance du fait de la dégradation de la trajectoire de dette du pays. Leur verdict est attendu pour la fin octobre.