par Koen Van de Maele, Responsable de la gestion obligataire, Nicolas Forest, Responsable de la stratégie des taux et Isabelle Rome, Responsable de la stratégie Crédit chez Dexia AM
Après une très bonne année 2011, les bons du trésor américain ont affiché une performance légèrement négative au premier trimestre 2012. Le taux 10 ans américain a ainsi atteint les 2,40 % après avoir flirté avec les bas niveaux du canal [1,79 % -2,05 %].
Les indicateurs économiques expliquent largement ce léger rebond des taux d’intérêt. Malgré un niveau d’activité encore faible, les premiers mois ont confirmé les surprises positives de la fin d’année. Les chiffres PMI ont ainsi significativement rebondi au-dessus des 50 rendant une récession de moins en moins probable. Le marché immobilier donne des premiers signes de frémissement, malgré des prix à la baisse et des taux de délinquance encore élevés. Mais c’est surtout du coté de l’emploi, que les bonnes nouvelles ont semblé les plus grandes. Malgré le chiffre décevant du mois de mars, les créations d’emplois sont restées de l’ordre des 200 000 sur les 3 derniers mois. Le taux de chômage poursuit ainsi sa décrue se rapprochant progressivement des 8 % niveau de février 2009.
Et désormais les fameux « jobless claims » sont proches de leur plus bas niveau depuis 4 ans. Le cycle économique est encore loin d’être expansif et nous ne nous attendons pas à une chute rapide du chômage ; néanmoins le retournement de tendance des indices économiques est positif pour les classe d’actif risqué et donc moins porteur pour les bons du trésor américain.
Malgré l’apparition de ces premières pousses vertes, la FED est encore loin de changer sa politique monétaire extrêmement accommodante. C’est même tout l’inverse qui s’est passé lors du dernier FOMC. Avec une nouvelle communication qui détaille les prévisions de chacun des 10 membres pour les prochaines années, il semble émerger un statu quo monétaire qui pourrait se prolonger jusqu’en 2014. Le temps n’est donc pas encore venu de resserrer les taux d’intérêt et il ne faut pas exclure complètement une nouvelle vague d’assouplissement quantitatif en cas de rechute de la croissance. Alors que le levier monétaire est activé à son maximum, c’est du coté budgétaire que tous les regards seront tournés.
La perte du AAA américain en août n’a pas permis de faire émerger un consensus sur la réduction du budget. Proche des 9 %, ce déficit ne sera pas réduit significativement avant les élections présidentielles. C’est donc un élément négatif pour les bons du trésor américain, épargné jusqu’ici de toute spéculation quant au risque de crédit. Notre vue long terme sur les taux américains est haussière mais avec une politique monétaire encore nettement accommodante, il est difficile d’envisager un fort rebond des taux dans l’immédiat. Dans ces conditions nous sommes revenus neutres à 2,35 % et attendons un point plus bas pour réactiver notre stratégie court de duration.
Zone euro : la crise de la dette n’est pas finie
Après une année chaotique marquée par le vacillement des gros dominos que sont l’Italie ou l’Espagne, le premier trimestre 2012 a été rassurant. Malgré un calendrier d’émissions primaires chargés et des taux sous pression, le marché des dettes périphériques a bien performé. Deux événements clés ont expliqué ce rebond : les 2 LTRO à 3 ans de la banque centrale et le PSI grec.
Le LTRO tout d’abord a été un tournant de la politique monétaire européenne. Avec le prêt à 3 ans de montants illimités (530 milliards d’euros prêté en février) et grâce à l’assouplissement des règles de collatéral, la BCE a mis en place un programme sans précédent d’offre de liquidité à moindre coût. Une telle action a permis d’une part d’éviter le « credit crunch » qui menaçait encore à l’automne mais d’autre part d’aider les banques domestiques à emprunter à moindre coût pour financer leur dette publique. Pour autant même si la BCE a temporairement réglé le risque de liquidité, le risque de crédit n’a pas été résolu, et ce fameux LTRO ressemble plutôt à une grosse dose d’aspirine sur le malade européen qu’à un traitement de fond.
Le PSI ensuite a été aussi un autre tournant. Depuis juillet les tergiversations européennes ont conduit à une grande volatilité des obligations grecques. Le risque d’un défaut brutal menaçait à tout moment avec des implications incertaines sur les autres dettes européennes. Pourtant si le succès du PSI a permis de retirer cette incertitude, il n’a rien réglé à long terme. La trajectoire de la dette grecque reste selon nous insoutenable et surtout le PSI a créé une dangereuse jurisprudence en Europe qui autorise désormais un défaut au sein d’une zone monétaire unifiée. On ne pourra pas empêcher les marchés d’anticiper d’autres PSI pour de petits pays faibles.
La crise de la dette n’est donc pas finie et le bon premier trimestre 2012 ne doit pas faire oublier les problèmes structurels de la zone euro. La course forcée à l’austérité a pour but de redresser les finances publiques mais n’est pas sans conséquence sur la croissance. En fonction du multiplicateur fiscal retenu, c’est entre 2 % et 4 % que la croissance pourrait diminuer sur 2012 en fonction des programmes d’austérité. Nous touchons là au véritable enjeu de 2012. Au-delà des aspects politiques européens de solidarité (EFSF, ESM, PSI) c’est bien la question de la croissance qui sera la clé de résolution de la crise.
L’austérité budgétaire ne peut être vertueuse que si les gains budgétaires ne sont pas compensés par la perte en PIB. Les derniers chiffres de croissance sont en cela inquiétants et nous rappelle que rien n’est encore résolu quant au programme de réduction des dettes publiques en Europe. Ainsi la révision du déficit Espagnol a un parfum de déjà vu et malgré de nouvelles réformes annoncées il pourrait continuer de se dégrader. La fragilité du secteur bancaire combinée à l’extrême vulnérabilité de l’économie (chômage proche des 25%) nous ont conduit à repasser négatif sur toute la péninsule ibérique.
L’Espagne est aujourd’hui sous les feux des projecteurs et les mêmes causes produisant les mêmes effets nous préférerons repasser négatifs sur les pays périphériques dont les taux ont sensiblement baissé durant les derniers mois. La crise est désormais dans une nouvelle phase plus structurelle. La crise de crédit ne sera pas résolue par l’action providentielle des autorités monétaires mais par un règlement politique. Désormais une double question se posera dans la zone euro. Que faire si un pays n’atteint pas son objectif de déficit en raison d’une croissance plus mauvaise que prévue ? Jusqu’où la solidarité européenne peut-elle aller ? Sans réponse à ses questions, la crise ne pourra finir.
Un mois de mars favorable au marché du crédit
Le resserrement des spreads sur le crédit aura connu au mois de mars, un rythme moins soutenu que les mois précédents, le marché accusant une certaine fragilité les 10 derniers jours après un premier trimestre exceptionnel. Dans un contexte de liquidité accrue, la publication de données économiques favorables aux États-Unis a continué de soutenir le marché du crédit malgré l’annonce de nuages à l’horizon. En effet, le nouveau compromis signé par les dirigeants européens le 12 mars concernant une certaine relaxation quant aux engagements du gouvernement espagnol sur la réduction du déficit budgétaire (5,3 % contre 4,4 % auparavant pour 2012), a ravivé certaines craintes concernant la situation de la dette européenne. Ces tensions ont entraîné un écartement des rendements des obligations espagnoles et par corollaire des obligations dites périphériques.
Les primes de risques se sont légèrement écartées en fin de mois sur les indices iTraxx de dérivés de crédit en mars, l’iTraxx Sub Fin est passé de 340 points de base à 360 points de base, soit un écartement de 20 points de base.
La performance du marché du crédit se normalise en mars, après un début d’année tonitruant pour ce segment. La performance s’élève à 0,87 % d’excess return vis-à-vis de la dette souveraine (5,15 % en 3 mois) et à 0,93 % en rendement total (5,57 sur le trimestre).
En mars, nous sommes restés neutres sur les secteurs financier et non financier. A la suite du rally des spreads de crédit engendré depuis la fin 2011, nous avons continué à réduire notre exposition aux obligations financières subordonnées LT2 (high beta), et profité des primes attractives des nombreuses émissions primaires qui sont venues alimenter le marché au cours du mois de mars. Nous avons également procédé à la réduction de notre exposition sur les émetteurs high beta en particulier sur l’Espagne faisant suite aux incertitudes pesant sur le pays.
Suite aux effets positifs sur la liquidité des deux opérations LTRO, tout dépendra désormais de l’évolution des données macro-économiques
L’effet des deux opérations d’injections de liquidité par la BCE s’essouffle quelque peu. Ce sont désormais l’évolution des données macro-économiques qui viendront rythmer la performance du marché du crédit. Alors que le PMI manufacturier continue à indiquer une récession de faible ampleur en Europe (47,7), aux États-Unis, l’expansion économique continue d’être à l’ordre de jour, avec un indicateur à 53,4 (53 attendu).
Comme nous l’écrivions le mois dernier, tout comme en 2011, en 2012 l’écart entre les deux économies semble se maintenir. C’est toutefois au niveau de l’emploi que la différence est la plus significative, alors que la situation continue de s’améliorer aux États-Unis, le taux de chômage en Europe a progressé et pointe désormais à 10,8%, soit le plus haut niveau depuis juin 1997. Toutefois, l’indicateur de sentiment économique ZEW est repassé en territoire positif, s’affichant à +11 contre -8,1 auparavant dénotant un certain retour de confiance des investisseurs.
Les publications de résultats pour le premier trimestre 2012 seront cruciaux dans ce contexte fragile. Ainsi, le marché s’attend à ce que les sociétés américaines affichent en moyenne une progression des ventes de 3 % au 1er trimestre et du résultat net de 1 %. En revanche, en Europe, les ventes ne progresseront pas et les analystes s’attendent à une chute des résultats de l’ordre de 10 %.
Positionnement stratégique et conclusion
Alors que le contexte économique américain continue de s’améliorer, les indicateurs économiques en Europe continuent d’indiquer une légère récession. L’arrivée de craintes concernant l’Espagne suite à la renégociation des objectifs de déficit budgétaire pour 2012, nécessite une attention particulière. Les regains de tensions sur les pays périphériques appellent à la prudence. La prochaine revue des notations de 114 institutions européennes prévue dans les prochaines semaines par l’agence de notation Moody’s sera également un élément important à prendre en compte. Ce sont désormais les données tant politiques que macro-économiques qui viendront guider la performance de la classe d’actif.
Dans ce contexte, nous sommes passés légèrement négatif, preuve de notre vigilance. Nous avons réduit notre exposition aux émetteurs non financiers périphériques (Enel, Iberdrola, etc.) et couvert notre exposition non seulement aux obligations seniors mais aussi aux obligations non-financières via le recours à l’achat d’indices de dérivés de crédit Itraxx Senior Financier et Hivol. Nous continuons par conséquent à diminuer notre poche « high beta », plus sensible aux regains de tensions sur le crédit, que ce soit sur les pays périphériques que sur le secteur financier en Espagne et aux obligations subordonnées LT2.