Approche prudente sur la croissance des marchés émergents

par Maarten-Jan Bakkum, Stratégiste Actions Marchés Emergents chez ING IM

Jusqu’à présent, nous avons assisté en 2012 à un renversement des tendances de 2011 : solides flux vers les marchés émergents, appréciation des devises émergentes et nette surperformance des actions émergentes par rapport aux actions du monde développé.

Ceci s’explique par les injections massives de liquidités de la BCE et par le fait que les marchés s’attendent à ce que les quatre principales banques centrales continuent à procurer des fonds illimités à des taux proches de zéro. Ces facteurs ainsi que les récentes améliorations des indicateurs PMI et avancés ont diminué le risque d’un net repli de la croissance mondiale. Le fait que les banques centrales de presque tous les marchés émergents ont désormais commencé à assouplir leur politique monétaire vient compléter ce tableau favorable.

Bien que nous comprenions pourquoi les marchés ont récemment bien performé, nous restons prudents pour les prochains mois et trimestres. La crise de la zone euro peut certes paraître pour l’instant sous contrôle, les risques n’en demeurent pas moins énormes en raison de la détérioration de la dynamique de la dette. Alors que les risques pesant sur la croissance mondiale semblent moins substantiels, le potentiel de surprises positives en matière de croissance est actuellement limité. Pour les marchés émergents en particulier, la dynamique de croissance est toujours négative, alors que les chiffres de l’inflation approchent déjà de leur plancher.

Parmi les actions émergentes, nos marchés favoris restent l’Inde et la Chine. Dans ces deux pays, la croissance a faibli au cours de ces derniers trimestres en raison surtout du resserrement de la politique des autorités. Alors que l’inflation s’est nettement améliorée, nous estimons qu’il existe désormais une vaste marge de manœuvre pour assouplir la politique. En Chine, le cycle d’assouplissement a débuté en octobre, tandis qu’en Inde, il a été entamé il y a deux semaines. Ces deux marchés d’actions ont bien performé cette année et devraient continuer à profiter de l’amélioration des perspectives pour la croissance de la liquidité mondiale et pour l’inflation domestique.

Rebond tiré par les liquidités

Depuis le début de l’année, les marchés se comportent bien essentiellement parce que les investisseurs pensent que les banques centrales poursuivront leurs injections massives de liquidités. Dans la zone euro, la première opération de refinancement à long terme sera suivie par une seconde à la fin du mois de février. On s’attend à ce que cette dernière connaisse deux fois plus de succès que la précédente. Aux États-Unis, la Fed n’hésitera pas à adopter un nouveau programme d’assouplissement quantitatif si la reprise économique s’essouffle à nouveau. Ces attentes ont largement tiré les taux à la baisse et ont écarté tout risque immédiat d’une crise de confiance.

Nous estimons qu’il n’est probablement pas opportun d’avoir un positionnement très défensif au cours des prochaines semaines, du moins jusqu’à ce que la BCE annonce sa seconde opération de refinancement à long terme. Nous devons cependant avoir conscience que le rebond actuel est essentiellement tiré par les liquidités et est par conséquent plutôt spéculatif. Si les risques pesant sur la croissance paraissent plus faibles, c’est uniquement parce que les banques ont accès à des fonds illimités et non parce que les problèmes fondamentaux ont été résolus.

Dans le monde émergent, les économies sont toujours affectées par la faiblesse de la croissance du commerce mondial. L’amélioration des indices PMI et l’assouplissement de la politique monétaire n’ont pas encore entraîné un redressement des chiffres du commerce. Pour l’instant, la croissance des exportations du monde émergent ralentit toujours. Ceci a poussé les économies asiatiques les plus ouvertes en récession. Le meilleur exemple est Taiwan, dont la croissance des exportations se contracte en glissement annuel et dont le PIB n’a pas crû depuis plus de six mois. 

Il faudra davantage que des injections massives de liquidités par les banques centrales de la zone euro et des États-Unis pour que la croissance du commerce mondial commence à se redresser. Les chiffres économiques dépassant les attentes aux États-Unis sont encourageants. Étant donné que la probabilité est grande que le système financier européen connaisse de nouvelles turbulences au cours des prochains trimestres, nous pensons toutefois qu’il convient de rester prudent en ce qui concerne la croissance mondiale.

Selon nous, la tendance au désendettement des banques européennes est préoccupante pour le monde émergent. Afin d’assainir leurs bilans, les banques européennes ont commencé l’année dernière à réduire leurs crédits à l’étranger. Ce processus devrait se poursuivre et peser sur la croissance des crédits dans l’ensemble des marchés émergents. Ceci est l’une des raisons nous incitant à penser que la croissance des marchés émergents n’est guère susceptible de renouer avec les niveaux antérieurs à 2008.

Un autre problème pour la croissance des marchés émergents, et en particulier pour la croissance asiatique, est la probabilité d’un euro plus faible. Ceci éloigne en effet la perspective d’une nette reprise des exportations des marchés émergents vers l’Europe, le principal partenaire commercial de l’Asie. La croissance des exportations des marchés émergents devrait dès lors demeurer à des niveaux plus faibles que ceux auxquels nous avons été habitués au cours de la dernière décennie. Ceci est également lié à la tendance baissière de la croissance chinoise.

Doutes vis-à-vis de la Chine

Selon nous, le marché des actions chinoises pourrait continuer à bien performer au cours des mois, voire des trimestres à venir en raison de la diminution des pressions inflationnistes, de l’assouplissement de la politique, de la perception d’un risque moins important de hard landing et des valorisations attrayantes. Alors que nous apprécions le marché chinois à court et à moyen terme, nous sommes moins positifs pour ses perspectives à plus long terme.

Le consensus du marché prévoit une croissance du PIB de 8,4% en 2012 et de 8,6% en 2013. Nous tablons pour notre part sur un taux de 7,9% pour ces deux années dans l’hypothèse d’un assouplissement substantiel de la politique au cours des prochains trimestres. L’économie chinoise est confrontée à d’importants vents contraires en raison du déclin de la croissance du commerce mondial et du ralentissement dans le secteur immobilier. Selon nous, les investisseurs supposent trop facilement que les autorités de Beijing feront tout pour que la croissance du PIB demeure supérieure à 8%.

Sachant que le secteur immobilier a été la principale locomotive de la croissance économique chinoise durant la majeure partie de la décennie écoulée et que le resserrement de la politique vis-à-vis de ce secteur a provoqué une sévère correction au niveau des transactions et des prix, nous sommes d’avis que le risque pour la croissance chinoise est baissier.

Les autorités sont sérieuses en ce qui concerne la diminution des prix immobiliers. Elles sont également sérieuses dans leur tentative de compenser le ralentissement dans le secteur immobilier par une accélération de la croissance des investissements en infrastructure. Après les énormes efforts de stimulation de 2008/2009 qui ont conduit à une forte hausse du ratio dette/PIB du pays, le gouvernement devrait cette fois se montrer plus prudent.

Ce qui précède signifie que les mesures de stimulation seront accrues au cours des prochains trimestres, surtout si la croissance de la demande mondiale ne se redresse guère, mais pas à n’importe quel prix. Le gouvernement comprend très bien que si la croissance de l’endettement se poursuit au même rythme dans l’économie, ceci pourrait entraîner une crise financière et peser sur le potentiel de croissance à long terme du pays.

Dans notre scénario de base, nous prévoyons un ralentissement progressif de la croissance chinoise, de 12% au début de 2010 à 10% au premier trimestre de 2011, 7,5% au second semestre de 2012 et 6% en 2016. La contraction de la population active en pourcentage de la population totale au cours des prochaines décennies signifie que la Chine devra abandonner son modèle de croissance à fort coefficient de main-d’œuvre tiré par les exportations. Par ailleurs, la diminution des surplus commerciaux, la hausse du ratio dette/PIB et la mauvaise exécution des grands projets d’investissements impliquent que la Chine ne peut poursuivre son modèle de croissance capitalistique tiré par les investissements.

La transition d’une croissance tirée par les investissements et les exportations vers une croissance alimentée par la consommation ne sera probablement pas un processus qui se déroulera sans accrocs. Dans tous les cas, la croissance chinoise requerra moins de matières premières au cours des prochaines années. Pour les pays exportateurs de matières premières qui ont connu un véritable essor au cours des dix dernières années grâce à la rapide croissance de la demande chinoise, les perspectives de croissance commencent à s’assombrir. Des pays tels que l’Australie et le Brésil ne peuvent compter sur un même niveau de croissance des ventes de matières premières au cours des prochaines décennies.

La Chine reste le principal moteur de croissance pour l’ensemble du monde émergent. Alors que la croissance de la demande chinoise ralentit progressivement et que les besoins de matières premières de la Chine diminuent, la probabilité que les économies émergentes renouent avec les taux de croissance antérieurs à 2008 est par conséquent limitée.

2010 a été la dernière année durant laquelle la croissance des marchés émergents a dépassé 7%. Depuis lors, les actions émergentes sont restées à la traîne. Selon nous, les craintes relatives à la pérennité de la solide croissance de la Chine sont largement responsables de la faiblesse des actions émergentes par rapport aux actions des marchés développés au cours de ces dernières années. La sous-performance des marchés émergents a débuté en octobre 2010, lorsque l’inflation a accéléré en Chine. Leur sous-performance a été la plus marquée en septembre de l’année passée, lorsque les craintes de hard landing en Chine ont culminé. Aujourd’hui, après deux mois de rebond, les actions émergentes n’ont récupéré que la moitié des pertes de septembre par rapport aux marchés développés.

 Conclusion

Pour l’instant, les craintes relatives à la croissance sont passées au second plan grâce à l’excitation générée par les injections massives de liquidités de la BCE et les chiffres de croissance dépassant les attentes aux États-Unis, Les actifs risqués, dont les actions émergentes, sont les principaux bénéficiaires de la politique plus agressive des banques centrales. Une poursuite du rebond des cours de ces actifs semble logique grâce aux trillions de dollars créés par les banques centrales et au rendement extrêmement faible des liquidités. Alors que leurs valorisations sont toujours plutôt faibles et que leurs taux de croissance élevés des dix dernières années sont encore dans toutes les mémoires, les actions émergentes sont à nouveau populaires.

Nous pouvons nous imaginer que le rebond tiré par les liquidités se poursuivra quelque peu. Les actions émergentes ont connu une médiocre année 2011 et devraient être en mesure de récupérer une grande partie des pertes de l’année passée. Toutefois, la croissance devrait décevoir dans le futur. De nombreux investisseurs s’attendent toujours à ce que les économies émergentes puissent renouer avec la robuste croissance des années 2003-2008. Les perspectives peu brillantes pour la croissance du commerce mondial et le ralentissement graduel de la croissance chinoise vers un potentiel de croissance de l’ordre de 6% justifient, selon nous, une approche plus prudente en ce qui concerne la croissance des marchés émergents.