par Sophie Wieviorka, Economiste Asie (hors Japon) au Crédit Agricole
Neuf mois après le début du choc sanitaire et sa propagation à l'ensemble du monde, l'heure d'un premier bilan a sonné. En Asie, la reprise s'annonce hétérogène et dépendra de multiples facteurs, au premier rang desquels la gestion des prochaines vagues épidémiques, compliquant le déploiement d'un scénario de sortie de crise traditionnel.
On les pensait invulnérables : relativement épargnés par la crise financière de 2009, les pays asiatiques avaient su tirer les conséquences des crises de la fin des années 1990 pour mettre en place un cadre macroéconomique plus solide et conserver des trajectoires de croissance très dynamiques. Exceptionnelle dans son ampleur et son intensité, la crise de la Covid-19 a pourtant bouleversé ces économies, très ouvertes et dépendantes des flux extérieurs. Après un deuxième trimestre historiquement bas, plombé par les mesures de confinement, la reprise commence à s'engager, mais reste encore conditionnée par l'évolution sanitaire.
Quels sont les indicateurs conditionnant la reprise ?
La capacité de rebond de chaque économie va dépendre de plusieurs critères. En premier lieu, la gestion de la crise sanitaire et l'impact des mesures d'endiguement sur l'activité. Ensuite, le niveau de richesse et de développement du pays avant la crise, qui détermine en partie la capacité de résistance des ménages et des entreprises. En troisième lieu, l'efficacité et les marges de manœuvre des États pour compenser l'effondrement de certains pans de l'économie. Enfin, la structure et le modèle de croissance de chaque pays, la diversification de son système de production, sa dépendance vis-à-vis de l'extérieur (tourisme notamment), le rôle de la consommation privée. Il ne faut pas non plus oublier l'impact des marchés qui déterminent la capacité des États et des entreprises à lever de la dette et peuvent accentuer certains déséquilibres de change perçus.
Si ces critères sont aussi nombreux, c'est que la crise est inédite et que les économies resteront vulnérables tant qu'un vaccin ou un traitement efficace n'auront pas été trouvés. Pourtant, certains pays en ressortent moins affaiblis que d'autres.
Chine, Taïwan et Vietnam : les champions de la croissance
En Asie, la prime va d'abord à ceux qui ont su gérer la crise sanitaire : Taïwan et le Vietnam, qui ont su éviter des mesures de confinement trop sévères, et donc préserver leur activité. Ces derniers s'appuient également sur un modèle exportateur puissant et en partie spécialisé dans les composants électroniques, un secteur en pleine expansion. Ils ont aussi bénéficié depuis 2018 de la guerre commerciale sino-américaine, en recevant de nouveaux flux d'investissements d'entreprises jusque-là implantées en Chine. Une tendance qui devrait se poursuivre, les tensions entre les deux pays étant loin d'être apaisées. S'ajoute aussi la Corée du Sud qui, après avoir dû gérer une deuxième puis une troisième vague de contaminations et leurs impacts sur l'activité, ne pourra sans doute pas éviter une légère récession en 2020, mais peut compter sur des fondamentaux macroéconomiques très solides, un niveau de développement élevé et un plan de relance d'une ampleur inédite bien mené par le gouvernement pour rebondir en 2021.
Comment ensuite ne pas parler de la Chine ? Épicentre de l'épidémie, c'est aussi le pays à être sorti officiellement en premier de l'urgence sanitaire. Usant des recettes habituelles, les autorités chinoises ont encouragé les banques – publiques – à fournir les liquidités nécessaires aux entreprises et à augmenter la production de crédit, tout en dopant les carnets de commandes de l'industrie grâce à la hausse de l'investissement public. Résultat, cette relance par l'offre a effectivement dopé la reprise et permis à la Chine d'afficher de la croissance au deuxième trimestre, mais la demande reste en berne. Les ventes au détail ont mis huit mois à se rapprocher de leur niveau d'avant-crise, et la population déserte toujours restaurants et centres commerciaux. L'inquiétude se ressent aussi dans les arbitrages entre consommation et épargne de précaution, qui s'effectuent largement en faveur de l'épargne en raison d'anticipations négatives sur le marché du travail, qui ne parvient pas à créer pour l'instant suffisamment d'emplois pour compenser les pertes de ceux liées à la crise et absorber les nouveaux entrants.
L'Asie du Sud-Est peine à émerger de la crise sanitaire
Dans le reste de la zone, pays de l'Asean et Inde en tête, le spectre de la crise sanitaire est encore trop présent pour évaluer les trajectoires de reprise. Très ouvertes sur l'extérieur, certaines économies de l'Asean vont devoir intensifier leurs efforts de diversification pour compenser l'effondrement de certains secteurs, tourisme en tête. Quant à l'Inde, elle subit actuellement la chute d'activité la plus forte des pays du G20 et de la zone.
Si on ne s'en tient qu'aux chiffres, la majorité des pays asiatiques ne pourront échapper à la récession cette année. Mais dans un monde où tout va devenir relatif, et où les performances s'analyseront en comparaison avec celles de ses voisins et des autres zones, l'Asie apparaît toujours comme un continent résilient et privilégié. Encore jeunes et flexibles, les économies asiatiques ont un rôle essentiel au sein des chaînes de valeur, et bénéficient de la proximité d'une Chine, certes affaiblie, mais dont l'effet d'entraînement subsiste. Un statut que même la Covid-19 ne devrait pas remettre en question.