par Bastien Drut, Stratégiste Senior chez CPR AM
La réforme fiscale et le budget 2018 ont indéniablement donné un coup de fouet à l'économie américaine. Ils ont soutenu l'investissement des entreprises et la consommation des ménages sur le premier semestre et cela devrait se poursuivre sur les trimestres à venir. Toutefois, il est désormais clair que d'autres facteurs jouent en sens inverse en ce qui concerne l'activité économique et la normalisation monétaire de la Fed en fait partie. Sauf surprise, la Fed devrait relever ses taux directeurs à 2,00/2,25% lors de son comité de politique monétaire de septembre. La hausse de taux directeurs sur ce cycle sera alors de 200 points de base. Même si les taux restent bas comparativement aux cycles précédents, une telle augmentation n’est pas neutre pour l’économie.
Théoriquement, les hausses de taux freinent l'activité car elles renchérissent le coût du crédit, pour les entreprises et pour les ménages. D’après les modèles de la Fed (le modèle le plus utilisé est le modèle FRB), l’effet négatif sur la croissance est le plus fort entre 18 et 36 mois après la hausse de taux. L'impact sur la croissance estimé par ces modèles peut être plus ou moins fort selon les hypothèses réalisées mais les estimations s'accordent sur le décalage avec lequel un durcissement monétaire agit sur l'activité. Les hausses de taux de 2017 et 2018 auront donc un effet négatif maximal sur la croissance en 2019 et 2020.
Parmi les conséquences négatives des hausses de taux, il est de plus en plus clair que l’on trouve le ralentissement du marché immobilier américain. La quasi-totalité des statistiques immobilières (permis de construire, mises en chantier, ventes de logements neufs et existants) a surpris négativement sur les derniers mois. Les ventes de maisons existantes sont, par exemple, au plus bas depuis le début de l’année 2016. Ce ralentissement du secteur immobilier provient en bonne part de la remontée des taux immobiliers américains. Les taux de crédit immobilier (taux mortgage) à 30 ans sont proches de 5% et sont au plus haut depuis 2011… Certes, les taux gouvernementaux à 30 ans ont plafonné ces derniers mois mais il faut voir que le spread entre taux mortgage et taux gouvernemental s’écarte franchement depuis le T4 2017 et le début de la réduction du bilan de la Fed (elle a commencé à ne plus réinvestir les titres du Trésor et les MBS qu’elle détient et qui arrivent à maturité).
En conséquence, l'enquête Home Buying and Selling Conditions réalisée par l'Université du Michigan s'est nettement détériorée ces derniers trimestres. A la question « Vous paraît-il opportun d’acheter une maison aujourd’hui ? », 68% des répondants ont répondu oui en juillet (31% répondant non) contre 75% il y a deux ans (22% répondant non). Parmi les principales raisons mentionnées, on retrouve le renchérissement des taux mortgage mais aussi le fait que les prix immobiliers sont jugés trop élevés.
Par ailleurs, le nombre de refinancements de crédits immobiliers existants a fortement chuté et c'est donc un soutien de moins qui s'est dissipé pour la consommation des ménages puisque de très nombreux ménages avaient profité des taux bas pour refinancer leurs crédits et ainsi gagner en pouvoir d'achat.
Il ne s’agit pas ici de parler d’un effondrement du marché immobilier américain. La situation est très différente de celle de 2007, notamment car les stocks de logements à vendre sont très bas. Il s’agit davantage d’un essoufflement, qui pourrait s’accentuer avec la matérialisation des hausses de taux réalisées en 2018. Cela va renforcer le questionnement sur une pause dans le cycle de hausses de taux en 2019. Cela s’ajoute à la pression sur la Fed provenant du président Trump, « pas ravi » par le resserrement monétaire, mais aussi aux craintes sur la guerre commerciale et l’aplatissement de la courbe des taux. Pour rappel, les projections de fed funds des membres de la Fed (les « dots ») indiquent encore trois hausses de taux en 2019 et une en 2020. Le président de la Fed de Dallas Robert Kaplan a suggéré récemment que la Fed devrait monter encore une fois ou deux les taux directeurs en 2018 avant d’étudier les effets économiques des hausses de taux et de faire le point sur les perspectives économiques. L’hypothèse d’une pause de la Fed en 2019 gagne du terrain.