par Gilles Bridier est journaliste (API.doc)
Les banques ont une fonction : financer l’économie. C’est leur mission, et leur responsabilité. Mais elles se défilent : avec la crise financière, elles ne sont plus à la hauteur de cette mission. Elles invoquent une crise de liquidités, provenant elle-même d’une crise de confiance des banques entre elles qui se suspectent de ne pas être aussi solides qu’elles ne le prétendent. Et aucune ne veut courir le risque de prêter à une consoeur qui pourrait, sans crier gare, se déclarer brusquement en faillite. Car toutes se sont laissé fasciner par les taux de rémunération des placements à risques, toutes ont été déraisonnables, toutes le savent et toutes sont coupables: aux Etats-Unis où la crise a éclaté, mais aussi en Asie ou en Europe. Pétrifiées, elles soufflent le froid sur l’économie. Le salut viendra des Etats, prêteurs en dernier recours et qui pallient leurs carences. Quel camouflet ! Mais les banques n’en ont cure : elles sont incontournables. Et pourtant…
Une coupable absence d’anticipation
On voit maintenant que des professionnels dits de haute volée ont acquis des produits financiers sans en évaluer le risque, c’est à dire sans en connaître le contenu. Ils ont engagé des fonds à l’aveugle. C’est exactement ce que l’on comprend lorsque des banques, comme le Crédit Agricole par exemple, ont cru se sortir d’affaire avec quelques dépréciations (800 millions d’euros pour le Crédit Agricole il y a un an), et durent en réalité en passer beaucoup plus (quatre milliards au final pour l’exemple en question). A moins qu’il ne s’agisse pas d’investissements aveugles, mais de prises de risques démesurées ! Le résultat est identique. Que ne dirait-on pas d’un autre professionnel qui ferait preuve de si peu de discernement dans l’exercice de son activité, ou qui ferait courir tant de risques ! Imaginons un constructeur automobile qui ne vérifierait pas la conformité des disques de frein, ou qui installerait des pièces ne répondant pas aux normes pour augmenter ses marges : il aurait tôt fait de se retrouver devant la justice. Les banquiers, non. Comme s’il était admis que l’activité dans la banque de financement tient plus de la loterie que d’autre chose. Certes, dans les placements, le risque zéro n’existe pas. Mais une plus fine maîtrise du risque était, aux dires des banquiers eux-mêmes, l’expression de leur professionnalisme. Qu’en déduire du professionnalisme ? Les présidents de Dexia et de la Caisse d’Epargne ont payé pour l’exemple, expiant pour que leurs pairs puissent être absous. Et dans les activités de banque d’investissement, des remises à plat sont engagées dans l’urgence, avec leurs lots de licenciements. Comme si l’explosion de la bulle financière avait pris tout le monde de cours. Mais peut-on imaginer qu’une bulle ait un autre destin qu’exploser ? L’absence d’anticipation, voilà qui pose de vraies questions.
Une réhabilitation pragmatique
La crise, aujourd’hui, est là. Dans l’économie réelle, avec son lot de fermetures d’entreprises, d’emplois supprimés, de progression du chômage et de réduction du pouvoir d’achat. Pour éviter que l’économie ne se grippe, pour entretenir la consommation et l’activité des entreprises en alimentant les circuits du crédit, les Etats injectent des liquidités. La France, par exemple, a dégagé 3 milliards d’euros pour participer au sauvetage de Dexia et 5 milliards supplémentaires à destination des collectivités locales pour qu’elles poursuivent leurs investissements. L ‘Etat a poursuivi dans la même veine avec 10,5 milliards de souscription à des émissions de titres subordonnés de six des plus grandes banques de la place, et 5 milliards d’euros de prêts supplémentaires pour relancer l’économie. Sans oublier 22 milliards destinés à des crédits aux PME. Au total, la transfusion a porté en une semaine sur 45 milliards d’euros. Mais par quels circuits les particuliers, les entreprises et les collectivités vont-ils pouvoir en profiter ? Celui des banques. Qui vont prélever un intérêt sur les crédits consentis, qui vont se montrer sélectives, et qui vont appliquer aux autres des règles de sécurité dont elles ont cru pouvoir elles-mêmes s’affranchir ! Jugeant de l’opportunité d’ouvrir des lignes de crédit, condamnant peut-être des entreprises qui n’auront fait que subir cette crise. Philippe Dupont, président du Groupe Banque Populaire et de la Fédération bancaire française, signant le 21 octobre une convention avec le ministère des Finances pour le soutien des PME, n’a pas dit autre chose en spécifiant que les entreprises éligibles à ces crédits devront satisfaire aux habituels critères de sécurité. Même disqualifié, le secteur bancaire demeure t-il intouchable ? Par pragmatisme puisque les circuits bancaires se diffusent dans toute l’économie, l’Etat l’a remis en selle.
Prévenir l’amertume
Le pire serait que, par amertume, les victimes désabusées de la crise rejettent tout en bloc : le libéralisme, l’économie de marché, la construction européenne et la mondialisation. Faisant ainsi le lit des doctrines les plus radicales, conservatrices et nationalistes. On peut concevoir un mode d’économie de marché qui empêche la constitution de bulles non maîtrisables. Par exemple, la France n’a pas adopté le crédit hypothécaire à l’anglo-saxonne, bien que des tentatives aient été menées au milieu des années 2000 pour inciter les propriétaires à épargner moins pour consommer plus. Finalement, l’exemple anglo-saxon n’a été imité qu’à la marge, ce qui a permis à la France d’être un peu moins affectée par l’explosion de la bulle immobilière.
Quant à l’Europe, si elle veut bien se doter des régulations qu’elle appelle de ses vœux au niveau mondial mais que ses membres persistent à combattre entre eux, elle peut devenir un puissant pôle de stabilisation dans le monde, plus fort même que les Etats-Unis qui affichent, plus que jamais, leurs faiblesses. Quant à la mondialisation qui profite aux économies émergentes (plus de la moitié de l’humanité), elle n’est pas la cause de la crise ; en revanche, l’utilisation qui en a été faite a créé cette crise. L’activité financière est nécessaire au fonctionnement de l’économie. Mais ses acteurs ont voulu s’émanciper de tous les autres pouvoirs pour intervenir à leur guise sur une planète financière totalement déréglementée : ils ont abusé, ils ont échoué. Il appartient maintenant aux hommes politiques de restaurer les conditions d’un développement économique durable dans le cadre de cette mondialisation. Leur mission d’origine. Tel est le programme des G8 et autres grand messes internationales.