par Laurent Nahmias, économiste chez BNP Paribas
La crise financière a frappé de plein fouet les banques irlandaises en 2009. Les réponses nationales mais surtout le déploiement d’un plan de sauvetage UE-FMI pour un montant de 85 milliards d’euros ont permis d’éviter un effondrement du système bancaire irlandais.
Ce plan de soutien, d’une ampleur considérable (55% du PIB), a été dévolu en grande partie à la recapitalisation des banques (35 milliards d’euros) et a permis de relâcher la contrainte de liquidité de l’Etat. La croissance de 2011, que nous anticipons à 1,7%, place l’île d’émeraude dans une situation comparativement moins défavorable que les deux autres pays de la zone euro, Grèce et Portugal, bénéficiant d’une aide internationale.
Si les plans de consolidation des finances publiques et de restructuration du système bancaire semblent en bonne voie, ceux-ci ayant été achevés en avance sur l’agenda initial, il n’en demeure pas moins que l’Irlande, extrêmement ouverte aux échanges mondiaux, n’est pas à l’abri d’un ralentissement de la demande mondiale et d’autres corrections des prix de l’immobilier résidentiel. Il pourrait en résulter une nouvelle dégradation de la qualité du crédit et une hausse du coût du risque, de nature à contrarier le rétablissement des banques irlandaises.
Au printemps dernier, le gouvernement a publié les résultats de « stress tests » réalisés par la société privée BlackRock sous le contrôle de la Banque centrale. Ceux-ci ont révélé un besoin additionnel en fonds propres de 24 milliards d’euros. Celui-ci a été comblé en grande partie (plus des deux tiers) par des injections de fonds publics dans les banques, conduisant à une quasi-nationalisation du secteur bancaire. La publication du volet bancaire du programme de mesures financières visait à rassurer les investisseurs qui, néanmoins, sont restés préoccupés par la soutenabillité de la dette publique.
En revanche, l’exposition du secteur bancaire à la dette publique ne constitue pas un sujet de préoccupation majeure, comme l’ont révélé les dernières évaluations de l’EBA en décembre dernier.
En contrepartie de l’aide internationale UE-FMI, le gouvernement a annoncé, au printemps 2011, un nouveau plan de recapitalisation et de restructuration du système bancaire. Si l’ensemble des mesures vise à restaurer, à moyen ou long terme, la santé financière des banques, celles-ci peinent encore, dans l’immédiat, à se remettre de leurs excès passés, comme en témoignent leurs résultats du premier semestre 2011. La persistance de foyers de risques pourrait ralentir, à moyen terme, l’amélioration de leur situation financière.
Nouvelles mesures de restructuration au printemps 2011
Le gouvernement irlandais a dévoilé, au printemps 2011, la mise sur pied d’un nouveau plan de restructuration du système bancaire, comme l’avaient exigé l’Union européenne et le FMI, lors de l’octroi de leur aide internationale. Celui-ci s’articule autour d’une recapitalisation, reposant sur les résultats de nouveaux « stress tests », et d’un « deleveraging » des banques dont le recentrage sur l’activité « core » a constitué la pierre angulaire. En effet, dans la mesure où les entreprises en Irlande sont fortement dépendantes des financements bancaires, il est vital que l’économie irlandaise dispose d’un système bancaire sain et solide, capable de continuer de financer les activités productives et non spéculatives.
– Seconde vague de recapitalisations du système bancaire
Victimes d’importants déséquilibres économiques internes, les banques irlandaises ont affiché, dès le début de la crise financière, des pertes substantielles. Face au risque d’effondrement du système bancaire, les pouvoirs publics ont déployé des mesures de grande ampleur. Sans revenir en détail sur l’étendue et la nature de ces mesures1, les réponses nationales (i.e. relèvement du plafond des garanties publiques sur les dépôts de 20 000 euros à 100000euros par déposant et par établissement, octroi de garanties publiques sur les nouvelles émissions de titres de dette bancaire ou création d’une structure de défaisance, nommément la NAMA) ou européennes (i.e. mise en place de mesures non conventionnelles de la BCE et déploiement d’un plan de soutien UE-FMI d’un montant de 85 milliards d’euros à l’automne 2010) ont rendu possible le relâchement de la contrainte de financement supportée par les banques. Le plan UE- FMI a également permis de donner de l’oxygène aux finances publiques sans pour autant pleinement rassurer les agents non financiers privés (ménages et SNF) et, plus encore, les investisseurs internationaux.
Les tests de résistance menés en mars 2011 dernier par la Banque centrale d’Irlande avec le concours de BlackRock solutions visaient à apaiser la crise de confiance des marchés financiers vis-à-vis des banques irlandaises. Ceux-ci ont débouché sur la publication du Prudential Capital Assessment Review (PCAR) et du Prudential Liquidity Assessment Review (PLAR) et ont donné une estimation transparente et rigoureuse des besoins additionnels en fonds propres des banques, évalués à 24 milliards d’euros, dans le cas d’un scénario de « stress » plus contraignant que celui déployé par l’Autorité bancaire européenne (EBA) en juin 20112. Le soutien public apporté aux banques, subordonné à la présentation auprès de la Commission européenne d’un plan de restructuration par chacune des entités aidées3, a conduit de fait à une quasi- nationalisation du secteur bancaire où la recapitalisation des banques s’est faite par injection et prises de participation de l’Etat irlandais au travers du « National Pensions Reserve Fund ».
Pour l’ensemble des banques de notre échantillon, les effets de l’augmentation de capital sur le ratio de fonds propres au total de bilan ont été contrebalancés, en 2008, par la forte croissance des actifs. Toutefois, le ratio tier 1 moyen s’est significativement redressé, du fait, également, de la diminution des actifs pondérés4 . Signe que les mesures de recapitalisation et de restructuration du secteur bancaire ont renforcé l’assise financière des établissements, les tests de résistance menés par l’EBA en juillet 2011 ont montré que les banques n’affichaient pas de besoins supplémentaires en fonds propres au regard des exigences du PCAR 2011.
Plus récemment, en octobre et en décembre 20115, l’EBA a conduit un nouvel exercice destiné à évaluer les éventuels besoins en fonds propres consécutifs à un scénario de stress des dettes souveraines à leur prix de marché, et compte tenu du calcul des actifs pondérés sous Bâle 2.56 et de la levée des filtres prudentiels applicables sous Bâle 27. En demandant aux 71 établissements européens déjà soumis aux tests de résistance de juillet 2011 – dont trois établissements pour l’Irlande : Allied Irish Bank, Bank of Ireland et Irish Life & Permanent – d’afficher un ratio core tier one de 9% d’ici à juin 2012, sur la base des valeurs de marché des dettes souveraines au 30 septembre 2011, l’EBA en a conclu que le secteur bancaire parviendrait à appliquer le nouveau dispositif réglementaire, au-delà de Bâle 2.5, et à couvrir ses expositions souveraines, sans levée de fonds propres additionnelle8.
Le secteur bancaire irlandais a bénéficié du plus important soutien public parmi les pays de l’OCDE, exprimé en pourcentage du PIB, et la part de l’aide publique n’ayant pas fait l’objet de rachats ou de remboursements reste également la plus élevée pour les banques irlandaises. Depuis le début de la crise et, à fin novembre 2011, les banques se sont recapitalisées9 à hauteur de 23,6 milliards d’euros dont la quasi-totalité provenait de fonds publics (21,2 milliards).
L’Etat est intervenu en procédant, a part quasi égale, à des injections de capital sous forme de souscriptions de titres de dette subordonnés (7,5 milliards, soit 35% des fonds injectés), d’actions de préférence (7 milliards, soit 33% du total) et d’actions ordinaires (6,7 milliards soit 32% du total). Ainsi, et à la différence de leurs consoeurs britanniques, les trois banques irlandaises ont bénéficié dans une proportion plus modérée d’injections en capital sous forme d’actions ordinaires, seules éligibles au « common equity » au sens de Bâle 3. Toutefois, eu égard aux nouvelles exigences de solvabilité, le passage prochain à Bâle3 ne devrait pas entraîner un effort supplémentaire important car le « common equity » en pourcentage des actifs pondérés, après déductions réglementaires, représentait déjà, selon les dernières estimations de l’EBA, un montant substantiel (13,3% pour AIB, 10,3% pour BOI et 23,9% pour ILP). En outre, les banques irlandaises, à l’instar de leurs consoeurs européennes, bénéficieront d’une clause dite d’antériorité (« grandfathering clause »), prévoyant le retrait progressif des fonds propres réglementaires, pendant une période transitoire de dix ans, les titres hybrides et non éligibles au « common equity » au sens de Bâle 3, mais émis avant la date d’adoption du 20 juillet 2011 de la CRD410. Cette clause présente une acuité particulière dans le cas irlandais dans la mesure où une grande partie des fonds injectés s’est faite sous forme de titres hybrides souscrits par l’Etat. Un examen par établissement met en exergue la prépondérance de la part des fonds publics, celle-ci étant comprise entre 70% (Bank of Ireland) et 100% (Allied Irish Bank).
Outre les injections directes en capital, l’effort de recapitalisation a également été partagé avec les créanciers privés « juniors ». Les banques irlandaises ont, pour la plupart d’entre elles, grandement profité de gains consécutifs au remboursement anticipé de dettes subordonnées avec une forte décote. Ces opérations leur ont permis d’améliorer leur solvabilité et de générer ainsi des fonds propres. En mai 2011, AIB a imposé, suite au feu vert donné un mois plus tôt par la Haute cour de justice, des décotes sur ses dettes subordonnées allant de 75% à 90%. En juin, leur emboîtant le pas, BOI, ILP et EBS ont également manifesté, au travers de communiqués de presse séparés, leur souhait de procéder à des rachats (pour respectivement 2,6 milliards, 840 millions et 260 millions d’euros) avec des décotes comprises dans une fourchette proche de celle d’AIB. Début décembre, le gouvernement, après avoir soutenu énergiquement l’initiative des banques irlandaises, a indiqué qu’il renonçait, pour l’instant, au projet de partager plus amplement les pertes de BOI avec les créanciers « juniors », faisant écho à la recapitalisation réussie de cette banque (4,2 milliards d’euros).
Communément, la hiérarchie des efforts de recapitalisation entre les différents pays s’est superposée à celle des pertes qui, rapportées au PIB, situent l’Irlande (10,0%) derrière la Suisse (13,8%) et au même plan quasiment que le Royaume-Uni (9,5%) mais très nettement devant la zone euro (4,8%), l’Allemagne (3,4%) ou bien encore la France (2,3%). Plus généralement et à côté des mesures de recapitalisation, les pouvoirs publics ont prolongé leur plan de restructuration des banques en le consolidant par le déploiement de mesures additionnelles telles qu’un « deleveraging » du secteur bancaire ou bien un repositionnement des établissements sur leur marché domestique.
– « Deleveraging » des banques irlandaises et recentrage sur les « core » activités
Suivant les termes du plan de sauvetage international UE-FMI, les banques irlandaises devront céder 73 milliards d’actifs d’ici à 2013. Dans l’esprit des décideurs publics irlandais, la restructuration du système bancaire devra bénéficier, en premier lieu, à l’économie réelle au travers d’un maintien des financements au tissu économique domestique. Partant du constat qu’il y avait des marges de manœuvre pour réduire la voilure dans les activités qui ne contribuent pas directement à l’économie réelle et la dépendance aux refinancements de l’Eurosystème, des objectifs chiffrés de « deleveraging » ont été fixés à chacune des banques irlandaises. Il est vrai que le gonflement du crédit avait été particulièrement excessif en Irlande dans la période précédant l’éclatement de la crise financière. Il s’en est suivi, entre décembre 2003 et décembre 2009, une hausse importante du total des actifs des IFM qui est ainsi passé de 514% du PIB à 1018% du PIB avant de légèrement refluer à 885% du PIB au premier semestre 2011, contre 341% du PIB pour la zone euro. Cette forte augmentation du crédit, favorisée par un accès à des taux d’intérêt réels très faibles ou négatifs 11 , a débouché sur le développement d’une bulle immobilière. Le ratio crédits sur dépôts, qui était de 136% en janvier 2003, a très sensiblement progressé pour culminer à plus de 193% en octobre 2008. L’excès d’endettement des agents privés qui en est résulté a, certes, contribué pendant un temps au dynamisme économique, mais le resserrement de la politique monétaire début 2006 et la dégradation des conditions de crédit (du fait de la prépondérance des prêts à taux variables) ont provoqué un retournement du marché immobilier et une crise bancaire, asphyxiant peu à peu le financement de l’économie irlandaise.
ratio crédits sur dépôts s’est progressivement dégonflé après l’éclatement de la crise, en lien avec les transferts de portefeuille de crédits à la NAMA (estimés à fin décembre 2010 à 71 milliards d’euros), mais cet indicateur suggère que le levier d’endettement demeurait encore très élevé au troisième trimestre 2011, ce ratio s’établissant à 164% (contre 113% pour la zone euro). Conscients de la nécessité de réduire le ratio «Loans to Deposit » (LDR) du système bancaire, les pouvoirs publics ont décidé du déploiement, au printemps dernier, d’un plan de « deleveraging » du secteur bancaire. Celui-ci consistera en la mise en place d’une cible en matière de ratio crédits sur dépôts, banque par banque, qui devra être atteint à un horizon de trois ans. AIB, BOI, EBS et ILP devront afficher un ratio cible de respectivement 122,5%, 119,2%, 121,8% et 121,7% de telle sorte que, pour l’ensemble des banques de l’échantillon, le ratio crédits sur dépôts se stabilise à 122,3% en 2013 (représentant une diminution en point de pourcentage entre 2010 et 2013, de 57,5).
Dans la mesure où il est crucial que le système bancaire continue d’assurer des financements intermédiés 12 , le « deleveraging » se fera par un recentrage sur les « core » activités et l’allègement de portefeuille d’actifs non stratégiques. Par « core » activités, le gouvernement entend les activités de financement sur le segment de la banque de détail (« retail »), l’octroi de prêts aux PME et grandes entreprises. En outre, les activités de la banque d’investissement (M&A et syndication), de services aux investisseurs (gestion d’actifs) et d’assurance devront être cantonnées aux besoins dits fondamentaux (« core needs ») ayant pour finalité ultime de servir le marché domestique. Poursuivant l’objectif de doter le pays d’un secteur bancaire plus sain, le gouvernement fera reposer principalement le financement de l’économie sur deux banques universelles – Bank of Ireland (BOI), d’une part, et une entité résultant de la fusion d’AIB et d’EBS13 , d’autre part – et sur ILP. En juillet dernier, la Haute cour de Dublin, après le feu vert de la Commission européenne, a avalisé la fusion d’Anglo Irish Bank et d’INBS, ayant donné naissance à une nouvelle entité, l’Irish Bank Resolution Corporation, qui aura pour mission la liquidation progressive des actifs de ces deux banques sur une période d’environ dix ans.
La recomposition du paysage bancaire se traduira par la poursuite de cessions d’activités à l’étranger. AIB a déjà effectué d’importantes cessions en Pologne et sur le segment de la banque de détail au Royaume-Uni. De même, BOI s’est séparée de ses activités de gestion d’actifs en octobre 2010 et a procédé à un « deleveraging » actif via la revente de ses activités « corporate » internationales. En octobre 2011, cette banque, détenue à 15% par l’Etat, s’est délestée de créances hypothécaires détenues à l’étranger (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Europe et Moyen-Orient) et jugées non stratégiques, pour 5 milliards d’euros avec une décote d’environ 9% sur leur valeur nominale. Ce recentrage des établissements sur leur segment domestique pourrait peser sur leurs marges et la capacité future à générer des résultats. La limitation de la diversification géographique des activités pourrait, en outre, renforcer la sensibilité du secteur bancaire aux évolutions de la conjoncture domestique où la croissancene devrait pas se raffermir avant 2013 (2,0% contre -0,4 % en 2010).
Des résultats qui restent en berne au premier semestre 2011
Ayant bénéficié de mesures de soutien en 2010 ou, plus récemment, au printemps 2011, le secteur bancaire irlandais reste, toutefois, très fortement fragilisé du fait principalement de la contraction historique de l’activité économique. Si le bénéfice global de notre échantillon a été à nouveau positif au premier semestre 2011 (1,7 milliard d’euros), pour la première fois depuis 2008, cette timide embellie n’a été permise que par les éléments exceptionnels d’Allied Irish Bank qui a effectué un gain suite, d’une part, au remboursement avec décote de titres de dette subordonnés pour 3,3 milliards d’euros et, d’autre part, à des cessions d’actifs pour 1,5 milliard d’euros. Les autres grandes banques Irlandaises ont continué d’afficher des pertes (-0,5 milliard d’euros pour Bank of Ireland et -0,1 milliard d’euros pour Anglo Irish Bank) ou un résultat comptable juste à l’équilibre (Depfa Bank). Au final, le résultat courant avant impôts demeure largement déficitaire (hors éléments exceptionnels et intérêts minoritaires) souffrant encore d’un produit net bancaire toujours en recul et de conditions d’exploitation passablement dégradées.
– Le produit net bancaire poursuit sa baisse
Le produit net bancaire, constitué à plus de 80% par les revenus nets d’intérêts, s’est inscrit en baisse entre 2009 et 2010 (-29,7%) et au premier semestre 2011 (-7,8% par rapport aux six premiers mois de 2010), du fait d’un tassement de la marge nette d’intérêt (+0,5% au premier semestre 2011 et +0,6 % en 2010, après +0,8% en 2009). Contrairement à leurs homologues britanniques, les banques irlandaises n’ont pas bénéficié au premier semestre 2011 d’une normalisation de la structure de leur produit net bancaire (où les revenus nets d’intérêt représentent 64% du PNB sur la période pré-crise), fortement affectée par la légère baisse en 2007 et 2008, puis par la forte contraction, en 2009, des commissions et autres produits d’exploitation14.
Cette déformation de la structure du PNB est à mettre en parallèle avec la volatilité des revenus liés aux activités de marché où les commissions – pour une large part ad valorem – se sont fortement contractées, du fait de la chute des marchés actions. Ce repli des cours des actions s’était traduit par une baisse des transactions et des actifs sous gestion, consécutivement à la fuite des investisseurs au profit de placements moins risqués. Il en est résulté une contraction des commissions et des autres produits d’exploitation perçus par les banques en 2009 et 2010. Celle-ci est également à mettre en regard, depuis 2011, avec le recentrage sur les « core » activités impulsé par le gouvernement et l’abandon d’activités, certes plus rémunératrices mais également plus risquées.
– Nouveau resserrement des marges attendu en 2011
Les banques irlandaises ont connu une dégradation de leurs marges nettes, celles-ci ayant été réduites de moitié entre la période pré-crise (1,0%) et le premier semestre 2011 (0,5%). Leur érosion depuis la crise a tenu à une réduction plus rapide des marges apparentes sur les emplois (1,6% au premier semestre 2011 après 3,3% en moyenne sur la période pré-crise) que des marges apparentes sur les ressources (1,1 % au premier semestre 2011 après 2,4% en moyenne sur la période 2005-2007). La faiblesse relative des marges des banques irlandaises, comparativement à leurs homologues de la zone euro, est à rapprocher d’une structure bilancielle défavorable.
La part des dépôts des agents non financiers de la zone euro (SNF, ménages et APU) s’élevait au dernier trimestre 2005, en effet, à 14,7% du total de bilan contre 31,2 %, en moyenne, pour les systèmes bancaires de l’ensemble de la zone euro. Si ce facteur peut expliquer, en coupe instantanée 15 , le faible niveau de marge des banques irlandaises, comparativement à leurs homologues européennes, celui-ci ne saurait justifier, en dynamique, leur affaissement, car la part des dépôts dans le total de bilan des IFM a, au final, peu varié depuis 2005.
Il convient de se tourner plutôt vers l’environnement de taux pour comprendre l’érosion des marges. La faiblesse relative des taux à long terme jusqu’au printemps 2010 a été de nature à peser sur les rendements des actifs. Du fait de la prépondérance des prêts à taux variables, la diminution des taux de marché (en liaison avec les baisses successives des taux directeurs) a entraîné une réduction des taux débiteurs et donc, des intérêts reçus par les banques irlandaises. Parallèlement, un phénomène d’intensification de la concurrence dans la collecte des dépôts a été l’œuvre, limitant la capacité pour les banques irlandaises à extraire de la marge sur leur marché domestique. Enfin, les établissements, pour lesquels les fonds « wholesale » totalisent plus de 40% du passif, ont vu le coût de leurs ressources s’élever, reflété par la nette augmentation des primes sur « Credit Default Swap » et dans le sillage de la défiance à leur égard.
En dépit du statu quo monétaire, les marges nettes vont probablement continuer de se resserrer en 2011 du fait : i) de la poursuite de l’intensification de la concurrence sur la collecte des dépôts, ii) plus généralement, d’une nouvelle hausse du coût des ressources financières (liée à l’adoption des nouvelles exigences réglementaires de Bâle 3) et iii) d’un ralentissement de la demande de crédit. Les banques irlandaises auront besoin d’augmenter leurs ressources financières stables et/ou de long terme (i.e. ressources à plus d’un an) pour deux raisons principalement. D’une part, leur dépendance excessive vis-à-vis des sources de refinancement à court terme, et notamment envers la BCE reste pour le moment élevée et celles-ci sont amenées à alléger ce moyen de financement, tôt ou tard, via un renforcement de leur base des dépôts. D’autre part, pour respecter les dispositions liées aux nouveaux ratios de liquidité suite au passage à Bâle 3 (i.e. NSFR qui devrait entrer en application le 1er janvier 2018), les banques irlandaises, comme leurs homologues européennes, seront bien plus fortement contraintes qu’aujourd’hui sur leurs marges de manœuvre quant à la transformation des maturités puisqu’elles devront financer leurs emplois longs par des ressources longues ou stables. Enfin, dans un contexte de désendettement du secteur privé, la baisse des volumes de crédits, qui en découlera, limitera également la reconstitution des marges des banques irlandaises.
De 2001 à 2009, le ratio d’endettement des agents non financiers privés avait progressé significativement, passant de 44,2% à 105,1 % pour les sociétés non financières ou de 49,6% à 123,3% pour les ménages16. En 2010, le taux d’endettement des agents non financiers privés s’est, pour la première fois depuis le début de la décennie, inscrit en baisse (respectivement -9 et -4,4 points pour les SNF et ménages), illustrant le processus de « deleveraging » à l’œuvre en Irlande.
Le retournement conjoncturel survenu lors de la crise s’est traduit par une dégradation brutale de la confiance des agents privés, dont le secteur bancaire qui, fin 2008, a mis un terme à l’octroi massif de crédits. S’agissant des ménages, cette contraction du crédit et le resserrement de leur contrainte de solvabilité se sont accompagnés d’une chute de la valeur des actifs immobiliers qui a eu pour effet retour une nouvelle contraction du crédit et l’enclenchement d’une spirale descendante en matière d’octroi du crédit. S’agissant des entreprises, le fort ralentissement du crédit s’est accompagné d’un tarissement des sources de financements et d’une dégradation de leur santé financière. Les sociétés non financières ont déployé des stratégies de désendettement («deleveraging») expliquant pour partie, la nette diminution de leur taux d’investissement (8,6% en 2010, contre 16,8% en 2007).
En revanche, la nette progression de l’endettement public survenue peu après la crise financière – imputable au freinage des recettes budgétaires lié à la récession économique et aux plans de soutien successifs du gouvernement irlandais au secteur bancaire (quasi-nationalisations de ce secteur d’activité et transferts d’actifs vers la bad bank publique) – ne s’était pas encore infléchie en 2010, malgré le déploiement, dès l’automne 2008, de plusieurs plans d’austérité 17 . Néanmoins, le gouvernement prévoit de ramener son déficit à 7,5% duPIBen2013etàmoinsde3%en2015.La charge de la dette devrait continuer de peser fortement sur le solde budgétaire, d’autant que la nette dégradation de la qualité de la signature de l’Irlande a renchéri son financement sur les marchés.
– Des conditions d’exploitation qui peineront à recouvrer leur situation d’avant crise
Si, en 2009, les banques irlandaises avaient réduit sensiblement leurs effectifs afin de s’adapter au trou d’air économique18, la forte contraction du PNB depuis la crise, combinée à la remontée des frais généraux en 2010, s’est traduite par une envolée du coefficient d’exploitation depuis 2010 (76,1% au premier semestre 2011 et 84,1% en 2010 après 56,1% en 2009).
En 2009, les coefficients d’exploitation des principaux établissements irlandais étaient parmi les plus bas d’Europe, tandis qu’en 2010 et au premier semestre 2011 ceux-ci avaient bondi, en s’établissant devant ceux des banques allemandes (67,0%), britanniques (64,9%), italiennes (63,9%), françaises (61,3%), portugaises (58,7%), espagnoles (47,6%). Au final, le résultat d’exploitation a continué de se replier en 2010 (1 milliard après 3,5 milliards en 2009, contre un niveau moyen d’avant crise de près de 6 milliards) ainsi qu’au premier semestre 2011 (-19,7% par rapport au résultat cumulé des six premiers mois de l’année précédente).
Parallèlement, 2010 et le premier semestre 2011 se sont caractérisés par un coût du risque toujours élevé, bien qu’en diminution par rapport à 2009 (respectivement 238,4% et 179,6 % du PNB, contre moins de 3% avant crise). Les difficultés déjà rencontrées dans le secteur de l’immobilier et les corrections de prix en cours ont conduit les banques irlandaises à passer de lourdes dotations aux provisions et d’importantes pertes. Le coût du risque a ainsi bondi en 2009 (23,2 milliards d’euros) et malgré son ralentissement ensuite (-38% en 2010 et -21,2 % au premier semestre 2011 par rapport aux six premiers mois de 2010), il est demeuré à un niveau sensiblement élevé en 2010 et au premier semestre 2011 (respectivement 14,2 milliards et 4,5 milliards d’euros). Afin d’assainir l’actif des banques, les pouvoirs publics ont mis sur pied, dès avril 2009, une structure de défaisance destinée à regrouper les actifs dépréciés au sein d’une structure juridique ad-hoc, la NAMA (« National Asset Management Agency »).
Selon un mécanisme de défaisance classique, les actifs transférés vers cette entité ad-hoc ont eu pour objectif ultime de donner davantage de temps aux banques irlandaises pour effectuer des cessions d’actifs qui, au point fort de la crise, étaient devenus illiquides du fait d’une contraction de la demande19. Depuis sa création, la NAMA a procédé au rachat de 72,3 milliards d’euros aux banques participantes avec une décote moyenne de 58%. La qualité des actifs bancaires constitue encore aujourd’hui un défi majeur pour le système bancaire irlandais d’autant que la force de frappe de la NAMA tend à se réduire, puisque sa capacité maximale d’achat d’actifs est de 80 milliards. S’agissant des perspectives à venir, le ratio du coût du risque pourrait demeurer à des niveaux élevés sous les effets conjugués de nouvelles corrections des prix de l’immobilier et de l’évolution toujours défavorable du PIB qui resterait à un niveau bien inférieur à celui d’avant crise.
La hausse contenue des frais généraux et le niveau encore élevé du coût du risque en 2010, malgré sa nette diminution, et ont, une nouvelle fois, pesé sur le résultat courant avant impôt, qui comme en 2009, fut négatif (-13,3 milliards d’euros en 2010 après -19,7 milliards). Au premier semestre 2011, malgré des frais généraux et un coût du risque en recul (respectivement -3,2% et -21,2% en variation par rapport au premier semestre 2010), ceux-ci restent significativement élevés (respectivement, 1,9milliard et 4,5 milliards d’euros au premier semestre 2011), ce qui, combiné à la relative faiblesse du produit net bancaire, a conduit les banques irlandaises de notre échantillon à afficher un résultat agrégé courant avant impôt négatif (-3,9 milliards). Les pertes avant prises en compte d’éléments exceptionnels ont été moins marquées au premier semestre 2011 que celles constatées au cours des six premiers mois de l’année précédente mais les incertitudes entourant la reprise économique en 2012 associées à la nécessaire adaptation au nouvel environnement réglementaire lié à la mise en œuvre de Bâle III (augmentation du coût des ressources bancaires) devrait continuer de peser sur le profit des banques.
En outre, si les banques irlandaises de notre échantillon sont parvenues à renouer avec une rentabilité économique et financière positive (respectivement 0,4% et 8,5%) au premier semestre 2011, ce retour à la profitabilité n’a été rendu possible que par des éléments exceptionnels qui ont permis d’embellir temporairement leur situation financière. Or, seule une réelle amélioration des conditions d’exploitation des établissements irlandais pourrait les replacer durablement sur la voie de la rentabilité.
Des risques de crédit et de liquidité toujours prégnants
A la différence de certains groupes bancaires britanniques (HSBC ou Standard Chartered), les banques irlandaises sont principalement centrées sur leur marché domestique, ce qui les rend bien plus vulnérables aux évolutions de la conjoncture nationale. Un examen plus approfondi de la situation des banques irlandaises met en exergue la prégnance de risques de crédit et de liquidité. D’une part, divers éléments ne militent pas en faveur d’une résorption immédiate des risques de crédit (concentration des risques sur le segment hypo- thécaire et nouvelle correction du marché de l’immobilier résidentiel). D’autre part, la normalisation des conditions d’accès à la liquidité n’a pas encore eu lieu, suggérant que le secteur bancaire irlandais pourrait à nouveau éprouver, à moyen et plus long terme, des difficultés en matière de financement de ses ressources.
– Qualité du crédit : la menace n’a pas disparu à court terme
Le retournement du cycle conjoncturel et de l’immobilier résidentiel, segment sur lequel les banques irlandaises étaient massivement présentes, s’est traduit par une nette dégradation de la qualité des actifs bancaires, comme en témoigne l’augmentation sensible de la part des créances douteuses dans le total des encours bruts de crédits octroyés.
S’établissant à moins de 0,8% du total des encours de prêts bancaires avant la crise, les créances douteuses ont crû significati- vement en 2008, passant de 2,6% à environ 9% du total depuis 2009. La part des prêts douteux dans le total des créances devrait rester à un niveau encore élevé en 2011 et 2012, du fait d’un environnement macroéconomique encore dégradé et de la baisse des prix de l’immobilier. Selon nos prévisions, le taux de chômage s’établirait à 14,2% en 2011 et 14,3 % en 2012, tandis que les entreprises ne bénéficieraient pas d’une amélioration de l’activité avant 2013. Dès lors, les banques irlandaises pourraient souffrir d’une nouvelle hausse des taux de défaut.
La forte concentration des portefeuilles de prêts bancaires explique grandement les difficultés dont souffrent les banques irlandaises aujourd’hui ; elle les rendrait extrêmement vulnérables à une nouvelle correction du marché de l’immobilier. Au 31 décembre 2010, près de 80% des portefeuilles de crédit aux ménages étaient constitués de prêts à l’habitat – soit plus de la moitié du portefeuille de prêts des banques irlandaises –, tandis qu’une grande partie des crédits aux entreprises était également concentrée sur le secteur immobilier au sens large (construction, activités et services immobiliers, etc.). Dans la mesure où un grand nombre d’opérations était orienté vers le crédit hypothécaire, il en est résulté une diminution, jusqu’en 2009, du ratio des provisions rapportées aux prêts douteux, les banques irlandaises ayant tablé sur une revente des biens dans un contexte de poursuite de valorisation de la pierre. A l’inverse, le retournement du cycle de l’immobilier résidentiel a provoqué celui des anticipations du secteur bancaire en 2010 qui, encouragé par la Banque centrale d’Irlande, a provisionné davantage de prêts douteux.
Les prix de l’immobilier résidentiel ont certes déjà enregistré une forte correction de 43%, en valeur réelle, entre le pic de 2007 et juillet 2011 mais les ratios prix sur loyer ou prix sur revenu restent à des niveaux encore élevés, laissant encore entrevoir un excès de valorisation et de nouvelles baisses des prix. Il en résulterait une dégradation accrue de la qualité des actifs bancaires dont les banques pâtiraient à double titre, au travers d’une hausse des taux de défaut et d’une revente à perte des biens mis en garantie20. Dans ce contexte, les banques irlandaises éprouveraient d’importantes difficultés pour renouer avec leurs résultats d’avant crise, d’autant que, géographiquement peu diversifiées, elles ne pourraient pas bénéficier de relais de croissance à l’étranger. Les évolutions incertaines de la conjoncture les amèneraient naturellement à anticiper une poursuite de la dégradation de leur qualité de crédit.
– Des conditions d’accès aux ressources bancaires : difficiles et pour longtemps
Les différents plans de soutien n’ont pas été suffisants pour restaurer la confiance des investisseurs à l’égard du système bancaire irlandais. A ce titre, les primes sur « Credit Default Swap », bien qu’en net recul depuis le début de l’année, restent à un niveau très élevé et sont loin d’être rentrées dans le rang, les principales banques irlandaises affichant, en outre, des spreads sur CDS bien supérieurs, en moyenne, à ceux de leurs homologues de la zone euro. Plus généralement, et au-delà de la qualité des actifs, les risques bilanciels qui se sont matérialisés lors de la crise financière, demeurent préoccupants. En premier lieu, les banques irlandaises continuent de mobiliser une part importante de leurs financements via le marché, notamment à court terme sur le marché interbancaire, tandis que leur base de dépôts clientèle – ressource réputée stable – demeure relativement étroite. En outre, dans un environnement de défiance encore forte, les banques irlandaises restent étroitement dépendantes des refinancements BCE.
* Prépondérance des financements de marché et de la dette interbancaire
Comme il a été déjà souligné21, on a assisté, dans un contexte de libéralisation des marché dans les années 1980, à une baisse tendancielle des dépôts clientèle à la faveur d’instruments financiers rémunérés (principalement, titres de dette à long terme), rendant les banques plus dépendantes de l’évolution des conditions de marché et du coût des ressources bancaires de marché, par ailleurs plus volatiles. Bien qu’en recul depuis 2006 (27,6%), les émissions de titres de dette à long terme continuaient, au premier semestre 2011, de représenter une part significative des financements, totalisant environ un cinquième du bilan pour l’échantillon des cinq premiers établissements du pays, comme au Portugal mais contre 16,0% en Espagne, 10,5% au Royaume-Uni et 4,7% en Grèce. Dans la mesure où un grand nombre d’obligations sécurisées a été garanti par des titres publics, la sensibilité au risque souverain s’est renforcée, et encore aujourd’hui, les tensions observées sur les marchés de la dette souveraine irlandaise continuent de peser sur les conditions de financement et/ou exacerbent les problèmes de liquidité.
Confrontées à une situation qui ne s’est pas normalisée, comme en témoigne la politique encore très active de la Banque centrale européenne, les banques irlandaises restent fortement dépendantes des refinancements à court terme sur le marché interbancaire. Elles sont ainsi particulièrement exposées aux tensions sur les marchés bancaires internationaux, ce qui les rend d’autant plus vulnérables à un risque de liquidité. A ce titre, les dettes vis-à-vis des établissements de crédit de la zone euro demeuraient extrêmement élevées en Irlande, totalisant près de 63% du total des dépôts contre environ 36% en zone euro, et près de 26% du total du passif contre 18% en zone euro. A l’inverse, la part des dépôts des agents non financiers restait, au troisième trimestre 2011, à un niveau encore faible en Irlande (totalisant 15,2% du total du bilan, contre 32,7% en zone euro), limitant l’accès aux banques à des ressources les plus stables et les moins coûteuses. En outre, la dépendance des banques irlandaises vis-à-vis des établissements de crédit étrangers situés hors de la zone euro demeurait également relativement importante au troisième trimestre 2011. Si la part des dépôts des IFM non résidentes hors zone euro dans le total de bilan a reculé depuis le début de la crise financière (-6 points environ), elle est restée néanmoins à un niveau significativement élevé: elle totalisait plus du dixième des financements totaux, contre 17,2%, en moyenne, sur la période pré-crise. Cette contraction des prêts interbancaires a illustré, une nouvelle fois, la défiance des banques étrangères vis-à-vis de leurs consoeurs irlandaises. Déjà pénalisées dans l’accès à leur liquidité sur les marchés internationaux, les banques irlandaises, resteraient en proie, dans un avenir proche, à des difficultés, notamment si la confiance à leur égard peinait encore à être de retour.
De par la faiblesse des ressources à court terme stables (dépôts des agents non financiers relativement modestes en proportion du total de bilan) et l’importance des engagements pris à long terme vis-à-vis de la clientèle non financière (concentration des crédits à long terme sur le marché de l’immobilier résidentiel et commercial), le risque de transformation des banques irlandaises était particulièrement élevé. Au troisième trimestre 2011, l’examen de la structure de l’actif et du passif des IFM irlandaises suggère encore une forte asymétrie des échéances et la persistance d’un risque de transformation élevé. Dans leur acception restrictive (titres de dettes émis à plus d’un an, capital et réserves), les ressources longues ne constituaient que 15,2% du bilan pour les IFM irlandaises, contre 25,2% pour celles de la zone euro. Toutefois, le plan gouvernemental d’incitation au « deleveraging », qui assigne pour objectif un recentrage du crédit sur les besoins fondamentaux de l’économie (« core needs »), devrait déboucher, au cours des années à venir, sur une réduction du risque de transformation, en limitant la distribution de prêts au secteur résidentiel qui présentent les maturités les plus longues.
* Dépendance encore forte aux refinancements de la BCE et à ceux de la Banque centrale d’Irlande
La crise financière et la forte défiance généralisée entre les établissements de crédit qui en est résulté, se sont traduites par une raréfaction des financements de marché et une difficulté accrue d’accès au marché interbancaire. Depuis la crise, la BCE et la Banque centrale d’Irlande se sont substituées, en partie, aux marchés afin de fournir les ressources nécessaires aux banques irlandaises et desserrer la contrainte de liquidité. En outre, au printemps 2011, la BCE a assoupli ses facilités de liquidité aux banques irlandaises, en suspendant l’application du seuil minimal d’éligibilité des garanties nécessaires dans le cadre de ses opérations de crédit avec l’Eurosystème, pour les titres de créances négociables émis ou garantis par le gouvernement irlandais. Cette décision s’applique jusqu’à nouvel ordre à tous les instruments de crédit en circulation, ainsi qu’aux instruments nouvellement émis. Cette mesure d’urgence permet aux banques de bénéficier de refinancements illimités et peu coûteux. Elle illustre les conditions encore dégradées des conditions d’accès aux ressources bancaires.
A fin octobre 2011, bien qu’en recul sur les douze derniers mois, les liquidités octroyées dans le cadre de l’ensemble des opérations de refinancement BCE, restaient encore à des niveaux élevés, totalisant près de 101 milliards d’euros, contre 23 milliards, en moyenne, sur la période 2005-2007 d’avant crise, et représentant près de 20% de l’ensemble des financements accordés par la BCE pour un pays dont le PIB ne contribue qu’à hauteur de 2% de celui de la zone euro. Les banques irlandaises demeurent également sous la perfusion des refinancements de la Banque centrale d’Irlande qui, dans le cadre de l’ « Emergency Liquidity Assistance » (« ELA »), alimente en liquidités les établissements ne disposant plus de collatéral éligible à la BCE. Ces prêts atteignaient près de 48 milliards d’euros en octobre 2011, contre, 3,6 milliards, en moyenne, avant crise.
Mesurées à l’aune du total des actifs des IFM, les mesures de soutien en termes de liquidité positionnaient, en septembre 2011, les banques irlandaises (10,9% du total des actifs des IFM y compris « ELA ») derrière les banques grecques (24,7% y compris « ELA ») mais devant les banques portugaises (8,0%), devançant de loin les banques espagnoles (1,9%). En outre, la dépendance des établissements de crédit irlandais aux autorités monétaires reste plus prégnante que pour leurs homologues des autres pays périphériques, puisque les crédits octroyés par la BCE se montaient encore aux environs des deux tiers du PIB de l’Irlande au troisième trimestre 2011 (et jusqu’à 97,8% en prenant en compte le plan national de soutien « ELA »), contre bien moins de la moitié pour la Grèce (mais 60,4% en incluant les liquidités « ELA »), un quart pour le Portugal et 4,4% pour l’Espagne.
Ciel très assombri et peu de chances d’éclaircie dans l’immédiat
L’Irlande, caractérisée par une économie à deux vitesses où coexistent désormais des entreprises nationales, fortement pénalisées par les mesures d’austérité budgétaire et la sévère correction du marché immobilier, et des entreprises multinationales exportatrices présentes sur le territoire en raison d’une fiscalité attractive (IS à 12,54%, le plus bas de la zone euro), devrait mettre de nombreuses années à retrouver ses niveaux d’activité d’avant crise, comme en témoignent nos prévisions de croissance (2,0% en 2013 après 0,2% en 2012). Les fondamentaux de l’économie restent fragiles car au- delà des incertitudes qui pèsent sur la demande interne (poursuite probable de la correction du marché de l’immobilier, taux de chômage élevé, plans de consolidation budgétaire, etc.), l’Irlande, dépendante de ses exportations, n’est pas à l’abri d’un ralentissement de la croissance de ses partenaires commerciaux. Ce contexte de croissance molle implique le maintien à un niveau encore élevé des créances douteuses. Couplé à une demande de crédit en nette décélération, il pourrait peser, par là même, sur les résultats et la profitabilité des banques irlandaises, peu diversifiées géographiquement, et donc, tributaires de la conjoncture domestique.
Malgré les inquiétudes persistantes sur la santé financière des établissements, la cession par le gouvernement de 37% du capital de Bank of Ireland à l’été dernier, pour un montant de 1,1 milliard d’euros, à des investisseurs privés, pourrait être interprétée comme le signe d’un retour progressif de la confiance du secteur privé à l’égard des banques irlandaises. Cela étant, les Price-to-Book à fin décembre 2011 (0,66 pour Bank of Ireland ou 0,20 pour Allied Irish Bank) illustrent encore le faible appétit des investisseurs privés pour les valeurs bancaires irlandaises. En outre, le désengagement progressif de l’Etat est à mettre en regard, moins avec les premiers résultats liés au déploiement de la restructuration du secteur bancaire du printemps dernier, qu’avec le resserrement de l’étau budgétaire, consécutif à la crise bancaire. Le carcan est d’autant plus fort que l’assainissement des finances publiques apparaît comme un gage de crédibilité vis-à-vis tant des marchés que de l’Union européenne ou du FMI.
Le dernier plan gouvernemental du printemps dernier poursuit l’objectif d’une consolidation en profondeur du système bancaire irlandais. Toutefois, l’assainissement des banques irlandaises est loin d’être achevé. D’une part, le poids des créances douteuses dans le total de bilan reste conséquent, suscitant des interrogation s quant à la capacité du système bancaire à renforcer sa solvabilité de manière pérenne. D’autre part, les banques irlandaises continuent d’éprouver des difficultés à mobiliser de nouvelles ressources bancaires. Néanmoins, elles ont pu probablement bénéficier des nouvelles mesures exceptionnelles de prêts de la BCE du 21 décembre dernier (489 milliards pour la zone euro), leur donnant l’accès à des lignes de crédit à trois ans au taux de 1%. La perception du marché sur les perspectives futures ne semble guère optimiste, ce que traduisent les valorisations boursières des établissements irlandais qui restent très faibles et bien en deçà des niveaux d’avant crise ou de celles de leurs consoeurs européennes. Le système bancaire de l’île d’émeraude fera encore, à n’en pas douter, l’objet d’une surveillance étroite, au cours des trimestres à venir, tant des investisseurs privés que des pouvoirs publics, toujours préoccupés par le financement du tissu économique national étroitement dépendant des financements bancaires.
NOTES
- Cf. Philippe Sabuco in Conjoncture BNP Paribas Décembre 2010, « Banques irlandaises : retour sur le mirage celte ».
- Cf. Céline Choulet pour une revue détaillée des résultats in Ecoweek, BNP Pariba,s 11-14 « Banques irlandaises : un soutien public à double tranchant ».
- La Commission européenne dispose que « i) les banques aidées sont tenues de mettre en œuvre un plan de restructuration assurant qu’elles seront viables à long terme sans bénéficier d’aides publiques supplémentaires ; ii) ces banques et leurs propriétaires doivent assumer une part équitable des coûts de restructuration et iii) des mesures doivent être prises pour limiter les distorsions de concurrence dans le marché unique. ».
- Defpa Bank, filiale irlandaise contrôlée à 100% par la banque allemande Hypo Real Estate, a connu une très forte progression de son ratio tier 1 en 2010 (50,8%) et au premier semestre 2011 (58,7%). Cette évolution est imputable à la réduction par sept des actifs pondérés par les risques qui a elle-même résulté du transfert en octobre 2010, pour un montant de 131 milliards d’euros, de portefeuilles de crédits et de titres (hors produits dérivés) vers la structure de défaisance allemande, FMS Wertmanagement.
- Pour répondre aux inquiétudes sur les expositions aux dettes souveraines et mettre en évidence les besoins éventuels en fonds propres, l’EBA a conduit un premier exercice, provisoire et publié le 27 octobre, sur la base des expositions souveraines au 30 juin 2011, puis un second, définitif et présenté le 7 décembre, sur la base des données au 30 septembre.
- Bâle 2.5 vise à durcir les exigences en capital face au risque de marché du portefeuille de négociation (« trading book »). Ses principes ont été énoncés au travers de la directive européenne CRD3, transposée en droit français en novembre 2010 et applicable pour le volet fonds propres au 31 décembre 2011. Plus précisément, ce texte prévoit : 1)une exigence supplémentaire en fonds propres au titre de la VAR stressée, introduite pour corriger la procyclicité de la VAR et qui impose aux établissements de crédit de déployer des scenarii calibrés sur une période de « stress » et non uniquement, sur l’observation des douze derniers mois ; 2) une exigence additionnelle en fonds propres (« incremental risk charge ») destinée à couvrir un défaut ou une dégradation des notations de crédit des émetteurs (crédit, sous-jacent d’un dérivé et support de titritisation) ; 3) une charge additionnelle en capital (« comprehensive risk charge »), reposant sur des stress tests, destinée à mieux prendre en compte le risque de corrélation entre les établissements bancaires ; 4) l’application des exigences de fonds propres du banking book aux actifs titrisés détenus dans le trading book, pour éviter tout arbitrage réglementaire entre le trading book et le banking book.
- Les filtres prudentiels s’assignent pour objectif de pallier les insuffisances des normes IFRS en permettant un retraitement des montants comptables avant de les intégrer dans les fonds propres prudentiels.
- L’exercice de l’EBA se structure autour de : i) une évaluation des besoins en fonds propres consécutifs à l’application de la CRD3 et ii) une appréciation du capital additionnel suite au stress des expositions souveraines à leur prix de marché. Dans le cas des banques irlandaises, le coussin de sécurité supplémentaire pour couvrir les expositions souveraines nécessiterait un renforcement limité en capital de 815 millions d’euros (soit 0,5% des actifs pondérés) largement compensé par la position excédentaire en fonds propres liée à la seule application de la CDR3.
- Les mesures de recapitalisation ont porté sur un renforcement des fonds propres comptables.
- La CRD 4 correspond à la retranscription en droit européen des dispositions réglementaires de Bâle 3.
- L’entrée de l’Irlande dans l’UEM a sûrement permis aux agents non financiers de bénéficier de conditions de crédit plus avantageuses en répercussion d’un spread de crédit plus bas sur le secteur financier.
- A ce titre, il convient de rappeler que les entreprises irlandaises se financent majoritairement par le crédit bancaire en affichant, à décembre 2010, un ratio de crédits sur endettement total de 93 %. En outre, le gouvernement se fondant sur les chiffres de la Banque centrale d’Irlande, estime, à un horizon de 3 ans, le besoin de financement en matière de crédits aux PME et hypothécaires, entre 11 et 16,5 milliards d’euros. Toujours selon les estimations gouvernementales, la capacité de financement du système bancaire nouvellement restructuré s’élèverait à 30 milliards sur le même horizon temporel dont 16 à 20 milliards seraient dédiés aux crédits PME et hypothécaires.
- Cette opération de fusion devrait permettre un amortissement des coûts fixes à plus grande échelle tout en bénéficiant de synergies liées aux complémentarités stratégiques de chacun des établissements.
- Les autres produits d’exploitation comprennent ceux liés aux activités d’assurance, aux produits d’arbitrage et de couverture.
- Par coupe instantanée, on entend l’observation d’un phénomène à un instant donné.
- En 2001, l’endettement des ménages irlandais (49,6% du PIB) était à un niveau comparable de celui de la zone euro (48,5%) ou bien de l’Espagne (48,0%), mais devant celui de la France (34,6 %), et loin derrière celui du Royaume-Uni (71,8 %) des Etats- Unis (94,7%). En quelques années, le niveau d’endettement (en pourcentage du PIB) des ménages irlandais a convergé vers celui de leurs homologues anglo-saxons. Cette dynamique de l’endettement a résulté d’une bulle du crédit où les ménages ont emprunté principalement pour l’acquisition de leur logement. Les anticipations des agents économiques ayant été excessivement optimistes, les risques du crédit ont été sous-évalués, car l’appréciation des actifs immobiliers – alimentés par l’essor du crédit – donnait un sentiment erroné de relative sécurité : parce que les biens immobiliers pouvaient être mobilisés à des fins de garantie, les banques pensaient pouvoir bénéficier de ce gage en cas de difficultés de l’un de leurs créanciers. Mais ce qui semble tenable d’un point de vue microéconomique l’est beaucoup moins dans une approche macroéconomique et, notamment, en cas de baisse brutale et généralisée des prix de l’immobilier.
- Cf. Caroline Newhouse pour une présentation des mesures d’austérité in Conjoncture, novembre 2011, « Irlande : du mieux, à confirmer… ».
- Cf. Philippe Sabuco in Conjoncture, BNP Paribas, Décembre 2010, « banques irlandaises : retour sur le mirage celte »
- Le déploiement de ce dispositif n’est pas sans difficulté puisqu’il se heurte à la détermination des prix des actifs dits « toxiques » qui se matérialise par des pertes au compte de résultat. Néanmoins, le rachat de ces actifs par une agence, généralement publique, à un prix au dessus de la valeur de marché, se traduit par la sortie au bilan des actifs financiers à une valeur de cession certes inférieure à leur valeur comptable et permet d’abaisser les pertes qui auraient été supportées par les banques en cas de cession à bas prix desdits actifs, tout en limitant l’incidence du manque de liquidité de certains marchés sur les bilans et comptes de résultats bancaires.
- En revendant les biens immobiliers mis en garantie en cas de non remboursement de l’emprunteur, les banques exacerberaient de fait, la pression à la baisse des prix de l’immobilier résidentiel, subissant en retour, une nouvelle dégradation de la qualité de leurs créances. 21 Cf. Philippe Sabuco in Conjoncture BNP Paribas Décembre 2010 « banques irlandaises : retour sur le mirage celte ».
Références :
Amis P. Rospars E. [2005], « Surveillance prudentielle et évolution des normes comptables : un enjeu pour la stabilité financière », Banque de France, Revue de Stabilité Financière n°7 http://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/archipel/publications/bdf_rsf/etudes_bdf_rsf/bdf_rsf_07_etu_1.pdf
Central Bank of Ireland [2011], « The financial measure programme: 31 March 2011», Mars
Choulet C. [2011], « Banques irlandaises : un soutien public à double tranchant » BNP Paribas Ecoweek 11-14 / Avril
Haugh D.(2011), « Getting Back on Track : Restoring Fiscal Sustainability in Ireland », OECD Economic Department, N°909, OECD Publishing http://dx.doi.org/10.1787/5kg0t004q1d3-en
Moran J.A. [2011], « Restructuring of the Irish Banking System », March, Presentation on banking reorganisation, document téléchargeable au lien suivant:http://www.finance.gov.ie/documents/pressreleases/2011/mn001presrev.pdf
Newhouse C. [2011], « Irlande : du mieux, à confirmer… », BNP Paribas, Conjoncture, Novembre
OCDE [2011] « Etudes économiques de l’OCDE – Irlande », Octobre
Revue Banque [2011], n°741, Novembre
Sabuco P. [2010], « La dette en héritage (partie 1 – Les banques) » BNP Paribas, Ecoweek 10-40 / Octobre
Sabuco P. [2010], « Banques irlandaises : retour sur le mirage celte», BNP Paribas, Conjoncture, Décembre
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