par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management
L'augmentation de la base monétaire, reflétant une politique monétaire accommodante, est souvent perçue comme devant provoquer inéluctablement une accélération du taux d'inflation. Ce n'est généralement pas vrai à court terme. A moyen terme cela dépend de la situation de l'activité économique.
Si l'économie est au plein emploi alors cette approche est généralement valide à moyen et long terme. Adopter une politique visant à accroitre l'activité alors que l'économie est au plein emploi est forcément générateur de tensions. Pour produire plus, je veux gagner plus puisque le contrat de travail que j'ai me satisfait en nombre d'heures travaillées et en rémunération. Si je dois travailler plus, je veux une rémunération supplémentaire. On perçoit bien ici le caractère inflationniste d'une telle situation. La hausse des salaires sera répercutée sur les prix.
Cependant, Milton Friedman et avant lui le grand Albert Aftalion indiquaient qu'à court terme cette approche n'était pas pertinente.
A court terme, si l'économie n'est pas au plein emploi, les politiques accommodantes et volontaristes ont tendance à faire progresser l'activité sans engendrer de tensions sur l'appareil productif. Les politiques économiques ne créent pas de tensions, elles créent de l'emploi. Il faut que l'activité s'accroisse durablement pour que l'économie se rapproche du plein emploi et provoque des tensions sur la production puis sur les prix. Généralement cependant le temps est long entre la mise en place des mesures et les tensions sur l'appareil productif. Et dans cet intervalle, le risque de voir les prix s'accroitre de façon rapide est très limité. Nous sommes aujourd'hui dans une configuration qui ressemble à celle-ci. Nous sommes tous, français, allemand, américains, chinois, loin du plein emploi.
Cependant, il faut être attentif aux liquidités injectées par les banques centrales. Lorsque ces tensions pointeront, les liquidités ne doivent plus être en excès. Pendant tout la période de transition, entre aujourd'hui et une situation qui se rapprochera du plein emploi, les banques centrales devront avoir un comportement actif pour éponger ces liquidités. Cela reflète la préparation de l'Exit Strategy qui est évoquée dans la presse anglo-saxonne. La difficulté est de savoir à quel moment la mettre en œuvre. Trop tôt c'est prendre le risque de casser la reprise, trop tard c'est prendre le risque de provoquer un choc sur l'économie en devant aller trop vite pour éponger les liquidités.
A titre d'illustration sur la relation entre base monétaire et taux d'inflation, Paul Krugman a, très récemment dans une série de conférences à Londres, évoqué cette question et a illustré son propos par deux graphiques. L'un sur la situation au Japon dans les années 90, l'autre aux Etats-Unis dans les années 30. Ces deux graphiques suggèrent ainsi que tant que l'économie est loin du plein emploi, le risque d'inflation est réduit même lorsque les banquiers centraux sont généreux dans la distribution de leurs liquidités.
Il faut avoir cette approche un peu séquentielle à l'esprit. Ce n'est pas parce que la croissance donne des signaux plus favorables aux USA que des tensions sur l'appareil productif vont apparaître rapidement. Le retour au plein emploi est un préalable sauf à changer les règles de fonctionnement du marché du travail et créer une indexation inadéquate comme en France dans les années 70. Mais tout le monde a retenu la leçon de cette période là.