par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas
Au cours des derniers mois, la situation économique a continué de se détériorer dans la zone euro. Les indicateurs avancés de l’activité économique font état d’une contraction prononcée du PIB au T4. L’inflation est tombée à 1,6% en décembre (son niveau le plus bas depuis novembre 1999), contre 2,1% en novembre. Le ralentissement de la demande, l’élargissement de l’output gap et la baisse des cours des matières premières sont autant de facteurs qui devraient continuer de tirer l’inflation à la baisse au cours des prochains mois. Dans ces conditions, nous pensons que la BCE devrait abaisser de 50 pb son taux de refinancement pour le porter à 2% lors de la prochaine réunion du Conseil des gouverneurs. Le taux de refinancement pourrait être ramené à 1% d’ici à la mi-2009.
Le ralentissement de l’activité économique s’est poursuivi au cours des derniers mois. Les données disponibles pour novembre montrent une poursuite du recul de l’activité dans les grandes économies de la zone euro. En France et en Allemagne, la baisse de la production industrielle a dépassé 3%, m/m, alors qu’elle a probablement été supérieure à 6% en Espagne (seul le glissement annuel, qui a subi une baisse record de plus de 15% a été publié). Les enquêtes de conjoncture et les indicateurs de l’activité économique ont atteint de nouveaux points bas historiques.
L’indice composite PMI, un indicateur très surveillé, a fait état d’une contraction sensible du PIB au T4 (de l’ordre de 1% t/t). Les enquêtes PMI, même si elles rendent compte de façon fiable de la tendance de l’activité, sont de création récente et ne remontent qu’à la fin des années 1990. Cependant, l’enquête sur le sentiment économique réalisée par la Commission européenne, qui existe depuis plus longtemps, a fait état d’une tendance similaire, signe que leralentissement actuel pourrait s’avérer plus sévère que celui observé en 1993, lorsque le PIB s’était contracté de 0,8%. En 2009, le repli de l’activité é pourrait dépasser 2%.
Malaise dans le secteur manufacturier
D’un point de vue sectoriel, c’est le secteur manufacturier qui, tout au moins pour le moment, est la véritable source du ralentissement de l’activité. En décembre, l’indice PMI manufacturier a ainsi plongé à 33,9 points, de loin son plus bas niveau historique, sous l’effet d’un décrochage de la demande intérieure et extérieure. En l’espace de deux mois, les nouvelles commandes à l’exportation ont reculé de près de 8 points. Rappelons que ce sont les exportations qui constituent le principal moteur de la croissance du secteur manufacturier. L’indice PMI manufacturier mondial fait état d’une possible contraction de l’activité industrielle dans les pays de l’OCDE au cours des mois à venir. Dans la même veine, l’enquête de la Commission européenne a révélé que les anticipations relatives à la production industrielle dans la zone euro n’ont jamais été aussi basses, suggérant également une contraction significative de l’activité, au cours des premiers mois de 2009.
Contraction de la demande intérieure
Dans ces conditions, il est très probable que les entreprises revoient à la baisse leurs investissements. La confiance des chefs d’entreprise est entamée par un climat d’incertitude élevée et des perspectives de ralentissement de la demande. Face à des contraintes de capacités de moins en moins fortes, une contraction des bénéfices et un durcissement des conditions du crédit, les entreprises devraient repousser ou réduire leurs projets d’investissement. La consommation privée n’est pas en très grande forme non plus. En décembre, l’indice de confiance des consommateurs a atteint son plus bas historique. Bien que les consommateurs profitent depuis quelques mois de la forte baisse des cours des matières premières, nous n’anticipons pas de reprise de la consommation à brève échéance.
Les entreprises revoient à la baisse leurs prévisions d’embauches. Ainsi, au troisième trimestre, l’emploi a reculé (-0,1% t/t, contre +0,2% t/t au T2) pour la première fois depuis la création de l’UEM. Il faut remonter au début des années 1990 pour retrouver une telle situation Les indices de l’emploi tirés des enquêtes PMI pour les des secteurs manufacturier et tertiaire suggèrent que la tendance pourrait se poursuivre dans les prochains mois. Face aux craintes croissantes d’augmentation du chômage, les consommateurs devraient épargner davantage.
Enfin, la forte baisse des cours des actions depuis quelques mois (l’indice Eurostoxx accuse un repli de 45% depuis la fin de 2007)devrait générer un effet richesse négatif qui devrait peser sur la consommation des ménages au cours des prochains trimestres.
Ralentissement des prêts, mais pas de credit crunch
Les dernières statistiques sur la croissance des prêts publiées par la BCE ne révèlent aucun signe de «credit crunch » dans la zone euro. En novembre, en glissement annuel, le taux de croissance des prêts aux entreprises non financières (ENF) a ralenti à 11,1%, contre 11,9% en octobre, un rythme toujours relativement soutenu quoique en ralentissement. Toutefois, la dernière enquête de la BCE sur la distribution du crédit bancaire fait état d’une probable poursuite du durcissement des conditions au T4, signe que la croissance des prêts aux ENF devrait de nouveau ralentir (voir graphique 5). Dès lors que les entreprises européennes sont davantage tributaires des banques pour leur financement que leurs homologues américaines, une contraction significative de l’offre de crédit pourrait sérieusement affecter l’activité économique.
Les tensions se dissipent sur le marché monétaire
Un indicateur élargi des conditions monétaires et financières dans la zone euro, prenant en compte l’évolution des cours des actions, les taux d’intérêt réels à court et long terme, la croissance des agrégats monétaires, les évolutions des taux de change effectifs réels et Ted spread (c’est-à-dire l’écart entre les taux interbancaires à 3 mois et les taux des emprunts d’Etat sans risque à 3 mois), montre que celles-ci restaient relativement tendues en novembre, sous l’effet de la baisse des cours des actions et de l’intensification des tensions sur le marché monétaire, notamment après la chute de Lehman Brothers.
La crise financière avait affecté le bon fonctionnement des marchés monétaires en empêchant la répercussion des taux des banques centrales sur les autres taux d’intérêt comme les taux bancaires à court et long terme. A l’issue de l’assouplissement de décembre, M. Trichet, rejoignant d’autres membres du Conseil des gouverneurs, a souligné qu’une pause dans le processus d’assouplissement monétaire ne pouvait être exclue, la BCE souhaitant évaluer l’impact de ses précédentes baisses de taux sur l’économie. Néanmoins, les conditions monétaires et financières se sont probablement de nouveau détendues en décembre, profitant notamment du repli des taux interbancaires à court terme. Le 9 janvier, l’Euribor 3 mois se situait à 2,70% (contre 3,5 % le 5 décembre, le lendemain de la baisse de taux décidée par la BCE) et se situe désormais seulement 20 pb au-dessus du taux de refinancement.
Inflation : tendance à la baisse
Selon l’estimation préliminaire d’Eurostat, l’inflation a reculé de 2,1% en novembre à 1,6% en décembre, son niveau le plus bas depuis novembre 1999. Ce ralentissement résulte en grande partie des prix de l’énergie, sous l’effet de la baisse des cours pétroliers en décembre (le cours du baril de brut a abandonné 13 dollars, soit 11 euros entre novembre et décembre).
Au cours des prochains mois, le ralentissement de l’inflation devrait se poursuivre grâce aux effets de base liés à l’énergie, à la baisse des coûts des facteurs de production, à la diminution de la demande et à l’élargissement de l’output gap. L’inflation devrait, en particulier, évoluer en territoire négatif durant l’été du fait d’une base de comparaison plus favorable (en juillet 2007, les cours du baril de brut avaient atteint 147 dollars).
Toutes les conditions sont donc réunies pour de nouvelles baisses des taux. Depuis la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE en décembre, la situation économique a continué de se détériorer et l’inflation a ralenti. La BCE devrait, selon nous, abaisser son taux de refinancement de 50 pb pour le porter à 2% lors de la prochaine réunion du Conseil des gouverneurs ; il pourrait être ramené à 1% d’ici à la mi-2009.