par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Sans surprise, la Banque Centrale Européenne a finalement baissé son taux refi de 25pb, le portant pour la première fois depuis sa création sous le seuil de 1% à 0,75%. Par ailleurs, les deux autres taux de la BCE ont également été abaissés de 25pb, le taux de la facilité de dépôt passant à 0,0%. Ainsi, les réserves des banques déposées à la BCE ne seront plus rémunérées.
Sur le volet non conventionnel, la BCE n’a rien annoncé de nouveau après l’assouplissement des collatéraux décidé récemment et surtout les mesures prises lors du sommet des 28 et 29 juin (possibilité pour le MES1 de recapitaliser directement les banques.
La BCE légitime son mouvement par la nette dégradation de l’économie et les risques baissiers portants sur la croissance de la zone euro alors que les risques sur l’inflation restent équilibrés. En effet, les raisons ne manquent pas pour justifier l’action de la BCE : 1/ la récession européenne couplée à de fortes incertitudes sur les perspectives de croissance au second semestre, liées non seulement à la crise souveraine mais également à la nouvelle détérioration de la conjoncture mondiale ; 2/ les tensions persistantes sur le marché interbancaire et les difficultés rencontrées par certaines banques pour se financer ; 3/ la perte de confiance des agents dans la zone euro2.
On peut cependant se poser la question de l’efficacité d’une telle mesure. En théorie, la politique monétaire a un effet sur l’économie réelle via différents canaux de transmission. Pour autant, dans certaines situations, ces canaux peuvent s’avérer inefficients.
En général, le principal canal est celui du crédit : en baissant le taux de refinancement des banques, la banque centrale pilote la liquidité et agit sur la capacité des banques à octroyer des crédits. Lorsque les taux diminuent et que l’accès à la liquidité est facile, les banques peuvent être plus souples dans leur politique de crédit et réduire les taux des prêts qu’elles octroient, soutenant ainsi la demande. Cependant, la situation actuelle des banques européennes est fragilisée par la dégradation économique et la forte incertitude sur les marchés (dévalorisation des actifs, marché interbancaire grippé,…) et par les contraintes imposées dans le cadre de la mise en place des nouvelles règles de Bâle 3. Ainsi, malgré la faiblesse du taux refi et une allocation illimitée de la liquidité par la BCE, les nouveaux crédits octroyés par les banques européennes ont nettement ralenti. Le bas niveau du refi n’est pas répercuté dans les taux de crédit aux agents privés, l’offre reste contrainte et la demande de prêt est également faible reflétant l’incertitude des agents.
Le canal du prix des actifs : la réduction des taux courts a un effet baissier sur les taux longs rendant les investissements en actifs risqués plus attractifs (notamment les actions). Là encore, la forte incertitude sur l’issue de la crise européenne est un obstacle au bon fonctionnement de ce canal de transmission.
Le canal du taux de change : la baisse des taux d’intérêt rend les placements de la zone moins attractifs, toutes choses égales par ailleurs, et a donc un effet baissier sur le taux de change, favorable aux exportations. L’impact de la baisse du refi sur le taux de change pourrait être limité dans le cas présent par le fait que les actions de la banque centrale diminuent le risque d’éclatement de la zone euro et l’aversion pour le risque, favorisant ainsi la monnaie unique. Outre ces canaux économiques et financiers, un assouplissement de la politique monétaire a un impact sur la confiance des agents privés. Or la confiance est un élément primordial dans le processus de décision économique des ménages pour l’arbitrage consommation/épargne et des entreprises dans leur choix d’investissement.
Au total, si certains canaux de transmission ne fonctionnent plus, notamment celui du crédit, et si l’impact des autres canaux est incertain, la baisse de taux de la BCE a néanmoins un effet positif sur le coût de financement des banques et permet également de maintenir les anticipations de taux courts à un niveau très faible ce qui est favorable à de nombreux emprunteurs endettés à taux variables. Enfin, après ce retour à la politique conventionnelle, la BCE risque d’être contrainte dans les mois qui viennent à revenir vers le non conventionnel.
NOTES
- MES : Mécanisme Européen de Stabilité, FESF : Facilité Européenne de Stabilité Financière
- Edito Eco Hebdo du 26-06-12 « Le nécessaire retour de la confiance »