par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• Le président de la BCE a réussi le tour de force de ne pas décevoir le marché tout en délivrant « uniquement » une baisse de taux de 25 pdb qui était largement anticipée.
• Le taux de dépôt a été maintenu à 0%, mais une petite phrase de M. Draghi («nous sommes ouverts d'esprit au sujet des taux négatifs »), qui tient largement du bluff de notre point de vue, a eu un fort impact sur les taux de marché et sur l'euro.
• Dans l'ensemble, le ton toujours très « dovish » du communiqué et de la conférence de presse de la BCE suggère qu’un nouvel assouplissement monétaire reste possible, si les perspectives d’activité et d’inflation le justifient. Une autre baisse du taux Refi serait probablement l'option privilégiée par la BCE dans un premier temps.
• La BCE table, toutefois, toujours sur une reprise au second semestre et son analyse des risques pesant sur la stabilité des prix n’a été modifiée qu’à la marge, malgré la forte baisse de l’inflation en avril. Le statu quo pourrait donc prévaloir à court terme, à moins d’une révision significative des prévisions du staff le mois prochain.
• La BCE a, par ailleurs, étendu ses procédures d’appels d’offres illimités et à taux fixe jusqu’à la mi-2014, soit sur un horizon de temps deux fois plus long que lors des précédentes annonces de ce type. En ce qui concerne un soutien spécifique aux PME, des « consultations » ont démarré avec d’autres institutions européennes, dont la BEI, afin notamment de promouvoir le marché des ABS adossés à des prêts aux PME, mais de nombreux détails pratiques restent inconnus à ce stade.
Le président de la BCE, Mario Draghi, a envoyé plusieurs signaux très « dovish » lors de la conférence de presse de cette semaine, suggérant qu’un nouvel assouplissement monétaire restait possible, via des mesures tant conventionnelles que non-conventionnelles. Bien que la décision d’abaisser le taux Refi n’ait pas été prise à l’unanimité, Draghi a indiqué qu’un «très fort consensus était en faveur d’une baisse de taux » et qu’au sein de ce consensus, une nette majorité avait privilégié une baisse de 25pdb. Comme nous l’anticipions avant la réunion, quelques membres du Conseil des Gouverneurs ont probablement plaidé pour un geste plus fort sur les taux (de 50 pdb).
Par ailleurs, la BCE continuera à « surveiller très attentivement » toutes les informations qui lui parviendront, tout en maintenant un réglage monétaire accommodant « aussi longtemps que nécessaire », assumant de nouveau une forme de guidage implicite des anticipations. Enfin, les commentaires plus explicites de M. Draghi quant à un éventuel taux de dépôt négatif (« nous sommes ouverts d’esprit à ce sujet ») ont provoqué une forte baisse des taux euros et de la monnaie unique, suggérant qu’une telle mesure ferait partie de l’arsenal nucléaire que la BCE pourrait être amenée à utiliser dans un scénario noir, celui d’une spirale déflationniste en zone euro. Nos propres prévisions d’inflation (amenée à se stabiliser, voire rebondir légèrement à court terme) et de croissance (reprise graduelle toujours attendue au second semestre) sont compatibles avec un statu quo monétaire, mais compte tenu de l’incertitude entourant ce scénario central, nous ne pouvons pas totalement exclure une nouvelle baisse de taux et/ou d’autres mesures non- conventionnelles dans les mois à venir.
Pourquoi la BCE a-t-elle baissé ses taux ?
Plusieurs facteurs expliquent le geste de la BCE et son ton plus accommodant. En premier lieu, la dégradation des perspectives économiques et le net ralentissement de l’inflation ont renforcé la justification « fondamentale » d’une baisse de taux. Plus récemment, les pays du cœur de la zone euro ont été affectés de manière plus directe par l’affaiblissement des perspectives de croissance dans la périphérie et rien ne permet de garantir un fort rebond de l’économie allemande à court terme.
Parallèlement, le taux de chômage devrait continuer d’augmenter dans les mois qui viennent, répondant avec retard à la contraction de l’activité, ce que le communiqué de la BCE mentionne par ailleurs plus explicitement ce mois-ci. En retour, ces incertitudes pesant sur la reprise économique menacent de peser sur les perspectives et les anticipations d’inflation, alors que la BCE reconnaît, d’ores et déjà, qu’elle devrait manquer sa cible à moyen terme (la prévision médiane du staff de la BCE en termes d’inflation HICP s’établit à 1,3% pour 2014, contre une cible « proche, mais en dessous de 2% »).
Une baisse de taux a également d’autres effets positifs dont la BCE est bien consciente, à commencer par une économie de l’ordre de 1 a 2 Mds € pour les banques commerciales dépendantes des opérations de refinancement de la BCE (LTRO), dont le coût est indexé sur le taux de Refi. Une baisse du taux directeur, ainsi que des anticipations de taux futurs moins élevées, pourraient également freiner les montants hebdomadaires des remboursements de LTRO à trois ans par les banques, et par là même limiter les pressions à la hausse sur les taux de marché (Eonia) et sur la devise. Le taux de la facilité de prêt marginal a été abaissé de 50 pdb, à 1,0%, comme nous l’avions anticipé, afin de maintenir un corridor de taux symétrique de +/-50 pdb autour du Refi. Cette décision pourrait soutenir à la marge les banques dépendantes des facilités de liquidité d’urgence, même s’il n’est pas certain que le coût moyen de l’ELA soit revu à la baisse lui aussi.
Comment les risques d’inflation sont-ils perçus par la BCE et pourquoi est-ce important ?
La caractérisation des risques inflationnistes était un des sujets les plus importants de cette conférence de presse, d’un point de vue macro-économique. Si la BCE n’a pas changé de manière explicite son évaluation des risques en matière de stabilité des prix à moyen terme, elle a distillé de façon subtile certains signaux plus accommodants dans son communiqué de presse, indices qui par le passé ont souvent été suivis d’un changement de ton plus explicite. Tout d’abord, la BCE a indiqué que les risques sur la stabilité des prix « sont globalement équilibrés à moyen terme», là où le mois dernier ils « continu[ai]ent d’être globalement équilibrés ». Ensuite, ces risques « prennent en compte » les décisions de la BCE sur les taux et la liquidité. Ces commentaires suggèrent que les perspectives d’inflation restent fortement dépendantes des données à venir. Toute mauvaise surprise entraînerait probablement une révision à la baisse des risques sur la stabilité des prix, ce qui serait un signe clair d’un assouplissement supplémentaire, vraisemblablement via une nouvelle baisse de taux dans un premier temps.
Par conséquent, les données à venir seront une nouvelle fois particulièrement importantes à court terme, avant la mise à jour des prévisions du staff de la BCE le mois prochain. Nos propres prévisions tablent sur un léger rebond de l’inflation rebondisse en mai, depuis un point bas de 1,2% a/a en avril, ce qui nous laisse penser que la BCE ne baissera pas le taux Refi sous le seuil de 0,50%. Les commentaires de Mario Draghi, décrivant le ralentissement récent de l’inflation comme un phénomène résultant de la baisse des prix de l’énergie et d’un recul temporaire de certains prix des services (effet « vacances de Pâques »), laissent également penser que la BCE n’a pas fondamentalement changé de position sur l’évolution des prix. Enfin, les anticipations d’inflation sont toujours décrites comme « solidement ancrées », en ligne avec le mandat de la BCE.
Quelles sont les autres décisions prises par la BCE ce mois-ci?
La BCE a également pris un certain nombre de décisions sur d’autres sujets, même si aucune d’entre elles ne semble avoir eu d’impact majeur sur le marché. En termes de conditions de liquidité, les procédures d’appels d’offres illimités et à taux fixes ont été prolongées jusqu’à la mi- 2014 pour toutes les opérations de refinancement, y compris les LTRO réguliers à trois mois. Aucune autre opération de LTRO n’a été annoncée et il n’y a eu aucune allusion à de nouvelles initiatives, lors de la session de questions/réponses.
Concernant le très attendu programme de soutien aux PME, la BCE a indiqué que les consultations avaient débuté avec d’autres institutions euro- péennes dans l’optique de « promouvoir le fonctionnement du marché des ABS adossés à des prêts aux entreprises non financières ». M. Draghi a ensuite ajouté que cette initiative inclurait la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et qu’il faudrait trouver des solutions concrètes pour que ces prêts soient évalués de manière plus efficace et transparente. Le président de la BCE a également précisé que si la dernière enquête sur les conditions d’accès au financement pour les PME avait signalé une amélioration dans certains pays, elle restait par ailleurs compatible avec un resserrement des conditions de crédit dans le reste de la zone euro. Dans l’ensemble, un programme d’aide aux PME bien conçu serait un facteur positif pour la croissance, mais l’impression que continue de véhiculer la BCE est que sa mise en œuvre prendra du temps et que rien ne permet de garantir son efficacité pour relancer le crédit dans la périphérie. Ainsi, des mesures plus radicales, à l’instar de rachats directs d’actifs, ne peuvent pas être totalement exclues si les conditions de crédit se détériorent de façon significative avant qu’un tel programme ne soit mis en place.