par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas
Depuis l’aggravation des turbulences financières en octobre 2008, la BCE s’est engagée dans ce que l’on peut considérer comme une politique monétaire non conventionnelle indirecte. Depuis octobre 2008, les opérations principales de refinancement sont effectuées par le biais d’une procédure d’appel d’offres à taux fixe, la totalité des soumissions étant servie. Les mesures ainsi adoptées ont entraîné une nette augmentation du bilan de la BCE et un allégement des tensions monétaires.
Les mesures non conventionnelles doivent demeurer exceptionnelles. Toutefois, la sortie des politiques non conventionnelles (directes comme indirectes) doit s’effectuer progressivement.
Politique monétaire conventionnelle…
Depuis la faillite de Lehman Brothers, la BCE a, à la fois, mis en œuvre des mesures conventionnelles et non conventionnelles pour stimuler l’économie et réduire les tensions sur les marchés monétaire et financier. Avant de définir ce que l’on entend par politique monétaire non conventionnelle, il convient de préciser le sens de la politique monétaire conventionnelle. Le principal objectif de politique monétaire de la BCE est le maintien de la stabilité des prix à moyen terme. Pour ce faire, la Banque s’est fixé pour objectif de maintenir l’inflation en dessous du niveau de 2%, mais proche de celui-ci, à moyen terme. Un objectif qu’elle s’emploie à atteindre en ajustant ses taux directeurs. Elle fixe en particulier le taux de soumission minimal, à savoir le taux refi, pour ses opérations de refinancement. La BCE détermine de cette manière, dans des circonstances normales, le taux d’intérêt cible au jour le jour du marché monétaire interbancaire (l’Eonia), en ajustant l’offre de monnaie à ce taux cible dans le cadre de ses opérations d’open market. Pour réduire au minimum les risques d’exposition du bilan de la Banque centrale, toutes les opérations destinées à fournir des liquidités prennent la forme d’opérations de cession temporaire contre un ensemble d’actifs éligibles. L’Eonia, taux auquel les institutions de crédit se prêtent les unes aux autres à 24 heures, est un taux de marché, et partant, il est appelé à fluctuer librement.
Concrètement, il s’inscrit dans une fourchette dont la limite supérieure et la limite inférieure sont, respectivement, définies par la facilité permanente de prêt marginal1 et le taux d’intérêt de la facilité de dépôt2. Le premier est un taux de pénalité auquel les banques doivent toujours emprunter à la BCE.
Le second est le taux d’intérêt au jour le jour rémunérant les dépôts effectués auprès de la BCE.
Dans des circonstances normales, par conséquent, la BCE ne prête pas directement au secteur privé non-financier. Ses contreparties sont toujours des institutions de crédit. Les taux directeurs déterminent les taux du marché monétaire qui déterminent à leur tour les taux d’intérêt des prêts et dépôts, pratiqués par les banques à l’égard des particuliers et des sociétés non financières.
… et politique monétaire non conventionnelle
Lorsque l’économie subit un choc négatif tel que les taux d’intérêt ont déjà été ramenés à zéro, les autorités monétaires n’ont d’autre alternative pour stimuler la demande agrégée que de recourir à des mesures non conventionnelles. On peut également mettre en œuvre une politique monétaire non conventionnelle lorsque les taux directeurs ne sont pas à zéro. En effet, si le canal de transmission de la politique monétaire par les taux d’intérêt ne fonctionne quasiment plus, un nouvel abaissement des taux d’intérêt sera sans incidence ou presque sur la demande agrégée.
On entend donc par “politique monétaire non conventionnelle” toutes les mesures visant à influencer directement le coût et la disponibilité du financement externe des banques, des particuliers et des sociétés non financières (Bini Smaghi 2009)3.
Politiques non conventionnelles « directes » (ou « exogènes »)
La politique non conventionnelle peut être séparée entre politique « directe » (« exogène ») et « indirecte » (« endogène »).
Les mesures de politique monétaire « directe » consistent, pour la Banque centrale, à acheter des titres privés ou publics.
Lorsque l’objectif est d’influencer les taux d’intérêt à long terme des actifs financiers dans leur ensemble, quelque soit leur risque (obligations publiques ou privées, commercial paper…) on parle d’assouplissement quantitatif. Toutefois, le plus fréquemment, les mesures de politique monétaire quantitative consistent à acheter de titres d’Etat aux banques (Bini Smaghi, 2009, note 3).
L’objectif est alors double. D’une part, l’achat d’obligations souveraines contribue à réduire le rendement des obligations d’entreprise de même échéance, normalement émises avec une marge par rapport aux obligations d’Etat. Le coût de financement des entreprises s’en trouve ainsi réduit. De plus, grâce aux liquidités supplémentaires obtenues, les banques vont probablement accorder de nouveaux crédits, assouplissant les conditions financières pour le secteur privé. De cette manière, la Banques centrale décide du montant des actifs qu’elle souhaite acheter et son bilan augmente en conséquence.
Toutefois, le risque de perte croît également avec la taille de leur bilan. En effet, si le programme de la Banque centrale atteint son but, une fois que les conditions économiques commencent à s’améliorer, le rendement des obligations à long terme augmente et le cours des obligations d’Etat diminue. La Banques centrale peut dès lors encourir des pertes significatives.
Toutefois, la Banque centrale peut aussi avoir intérêt à atténuer les tensions sur un marché en particulier. Elle peut ainsi vouloir réduire les spreads entre les rendements des actifs côtés sur des marchés particulièrement perturbés et ceux négociés sur des marchés fonctionnant plus correctement. A l’évidence, le bilan de la Banque centrale augmentera également dans ce cas ainsi que les risques supportés par les autorités monétaires. Les instituts d’émission court-circuitent ainsi, en un sens, les établissements de crédit, en finançant directement les sociétés non financières ou en réduisant leurs coûts de financement.
Politiques indirectes (ou endogènes) non conventionnelles La Banque centrale peut faire croître son bilan autrement qu’en achetant directement des actifs, notamment en augmentant le montant des fonds fournis aux institutions de crédit contre des actifs éligibles. Les collatéraux éligibles peuvent inclure des actifs se négociant sur dont les marchés sont nettement perturbés.
Le bilan de l’institut d’émission augmente alors, mais de manière temporaire car les actifs, remis à la banque uniquement à titre de garantie, sont restitués aux institutions de crédit à l’échéance des opérations de refinancement. Ce type de politique peut être qualifié d’indirecte ou d’endogène car l’accroissement du bilan n’est pas décidé directement par la Banque centrale, mais dicté par les besoins de liquidité des établissements de crédit.
BCE : mesures non conventionnelles « indirectes »
On peut considérer que la BCE mène une politique monétaire non conventionnelle « indirecte » ou «endogène ». Depuis octobre 2008, les opérations principales de refinancement sont effectuées par le biais d’une procédure d’appel d’offres à taux fixe, la totalité des soumissions étant servie. De plus, la Banque a décidé de maintenir ces mesures aussi longtemps que cela sera nécessaire, et au moins jusqu’à la fin de 2009. Le 7 mai, la BCE a également rallongé l’échéance maximale de ses opérations de refinancement de 6 à 12 mois. En octobre 2008, la BCE a, par ailleurs, décidé d’élargir la liste des garanties acceptées dans le cadre de ses opérations de refinancement, une mesure qui restera en vigueur jusqu’à la fin de 2010. La BCE agit ainsi sur la courbe de taux selon l’horizon concerné par ces opérations de refinancement. Une opération de refinancement à 12 mois et dont le montant est entièrement alloué a une incidence sur le taux du marché monétaire de même échéance. De plus, comme la Banque s’est engagée à maintenir cette procédure jusqu’à la fin de 2009, la courbe de taux à 1 an et demi sera également influencée.
Ainsi que l’a souligné le Président Trichet, ces mesures sont destinées “à encourager les banques à maintenir et accroître le crédit à la clientèle… et à assouplir les conditions de financement des banques et des entreprises”. M. Trichet qualifie ces opérations de credit easing. («indirect » ou « endogéne »).
L’éclatement de la crise financière a marqué le début d’un accroissement significatif du bilan de la BCE). Depuis lors, les taux du marché monétaire se sont nettement repliés, grâce, d’une part, aux réductions du taux refi qui a été baissé de 325 pb depuis octobre 2008 (et des taux des facilités permanentes) et, d’autre part, de l’atténuation des tensions sur le marché monétaire. Ainsi, le coût de la liquidité à trois mois, mesuré par l’écart entre l’Euribor à trois lois et le swap de même échéance contre Eonia, a reflué substantiellement au cours des derniers mois.
Par ailleurs, du fait de l’ample liquidité fournie par la BCE, l’Eonia, qui, dans des conditions normales, fluctue autour du taux refi, s’est alors approché du taux d’intérêt de la facilité de dépôt, devenu de facto le taux directeur de référence. Toutefois, la demande de liquidités de la part des institutions de crédit a commencé depuis peu à baisser, compte tenu de l’engagement pris par la BCE de maintenir les opérations de refinancement aux conditions actuelles (adjudications à taux fixe et totalité des soumissions servie) aussi longtemps que cela sera nécessaire, et au moins jusqu’à la fin de 2009, ce qui a rassuré les banques. Conséquence logique, les sommes replacées en dépôt à la BCE ont considérablement diminué. Avec le repli de l’excédent de liquidités, l’Eonia est alors remonté, se rapprochant du taux refi.
… et mesures de credit easing « direct » pour une faible part
Le 7 mai, la BCE a décidé “en principe” d’acheter des covered bonds de la zone euro émises par des institutions de crédit et adossées à des prêts hypothécaires ou à des prêts du secteur public. Ce marché a été sévèrement touché par la tempête financière, l’effondrement du marché immobilier dans nombre de pays européens et les inquiétudes suscitées par les produits titrisés. Ces mesures, dont les détails seront communiqués la semaine prochaine lors de la réunion du Conseil des gouverneurs, peuvent être rangées dans la catégorie de la détente directe du crédit. Toutefois, le montant de cette opération reste plutôt faible. Selon les déclarations de M. Trichet, le programme pourrait s’élever à environ 60 Md€, soit l’équivalent de 0,5% du PIB de la zone euro, ce qui semble négligeable par rapport aux interventions des autres banques centrales. La BoE a en effet décidé d’acheter des actifs représentant environ 10% du PIB britannique (toutefois l’essentiel des actifs acquis sont ou seront des Gilts).
La stratégie de sortie de la BCE
Les mesures non conventionnelles doivent demeurer exceptionnelles. Pour mettre un terme aux mesures de politique monétaire non conventionnelle « directe » («exogène »), la Banque centrale doit vendre des actifs, diminuant ainsi la liquidité. Lorsqu’il s’agit de mesures « indirectes » (« endogènes »), comme celles adoptées par la BCE, l’opération apparaît encore plus facile. Dès que les conditions reviendront à la normale sur les marchés monétaire et financier, les banques commerciales auront moins besoin du soutien de la BCE pour s’approvisionner en liquidité. Les prêts interbancaires sont en effet plus intéressants que les opérations d’emprunt ou de dépôt de liquidité auprès de la BCE lorsque les marchés monétaires fonctionnent correctement et qu’un climat de confiance règne entre les opérateurs. Le bilan de la Banque centrale diminue automatiquement avec la demande de liquidités.
La sortie des politiques non conventionnelles (directes comme indirectes) doit se faire progressivement afin d’éviter de perturber les marchés. S’agissant du dénouement des mesures «directes », comme les achats de covered bond libellés en euros, des ventes importantes de ces actifs peuvent entraîner un élargissement significatif des spreads, haussant les coûts de financement pour le secteur privé et provoquant des pertes en capital non négligeables pour les prêteurs..
Le calendrier de sortie des politiques non conventionnelles est également crucial. La suppression des mesures endogènes non conventionnelles doit précéder les hausses de taux d’intérêt. Enfin, l’annonce d’un durcissement monétaire trop précoce risque d’agir comme un frein sur les marchés financiers si la confiance n’est pas totalement restaurée, annulant ainsi les résultats préalablement obtenus.
NOTES
(1) Les contreparties peuvent utiliser la facilité de prêt marginal pour obtenir des banques centrales nationales, contre des actifs éligibles, des liquidités à 24 heures à un taux d’intérêt prédéterminé. Cette facilité vise à satisfaire les besoins temporaires de refinancement des contreparties. Dans des circonstances normales, le taux d’intérêt de la facilité constitue un plafond pour le taux d’intérêt du marché au jour le jour.
(2) Les contreparties peuvent avoir recours à la facilité de dépôt pour constituer des dépôts à 24 heures auprès des banques centrales nationales. Les dépôts sont rémunérés à un taux prédéterminé. Dans des circonstances normales, le taux d’intérêt de la facilité constitue un plancher pour le taux de l’argent au jour le jour.
(3) Bini Smaghi L. (2009) “Conventional and Unconventional Monetary policy” Keynote lecture at the International Center for Monetary and Banking Studies (ICMB), 28 avril.